Ce tour d’Europe, c’est l’Ocean Race qui a débuté le 10 août en Allemagne et dont l’arrivée est prévue au Montenegro le 21 septembre. Une course en équipage et avec escales, qui valorise le collectif. Ils sont cinq à bord. Il faut savoir qu’en équipage, on pousse le bateau à son maximum. Les skippers qui se relaient ont constamment le pied au plancher. Ensemble, ils vont passer des heures côte à côte dans l’intimité d’un cockpit, à épouser le moindre mouvement de la coque ; des nuits tronçonnées par les quarts, recroquevillés contre des parois de carbone dénudées, où le sifflement du bateau résonne sous leurs peaux.
Qu’est-ce qui rend cette course particulière ?
Chaque bateau embarque un reporter d’images qui est là uniquement pour capter les moments clés de l’aventure. C’est l’Ocean Race qui a démocratisé cette démarche. Et c’est absolument fascinant d’observer les skippers surveiller la mer, tirer sur les bouts, réfléchir à leur progression, ou réagir parfois aux conditions violentes. On entend comment ça parle, on voit comment ça bouge. J’ai en mémoire une manœuvre délicate et décisive de Franck Cammas et son équipage, en 2012, sur l’étape Lisbonne-Lorient, par 80 kilomètres heure de vent, avec des creux de 8 mètres, une vidéo qui circule encore sur internet, absolument prodigieuse ! L’organisation de course a aussi exigé l’installation de caméras partout dans le bateau, branchées 24h/24, avec un direct prévu chaque jour vers 16h30. Derrière les objectifs, on trouve des têtes bien faites plutôt que des têtes brûlées. Mais dans cette forte proximité, on a l’impression étrange de suivre une télé-réalité, une sorte de boat story !
C’est pourtant un sport qui a forgé sa légende autour du mystère en mer !
Tout à fait ! En 1989, durant le premier Vendée Globe, l’organisateur voulait, pour les télés, que les concurrents jettent des cassettes aux bateaux venus à leur rencontre, mais la majorité des skippers refusa. Et si on remonte à Moitessier, il prit le départ du Golden Globe en 1968 sans radio, passant outre les réglementations. Il ne voulait pas perdre son atout maître : la paix intérieure. Aujourd’hui, le loup de mer granitique n’existe plus. Le marin moderne est connecté. L’époque n’est plus la même, et l’image fait désormais partie intégrante de la course comme de nos existences !
Que révèle cette surveillance permanente pour les marins et pour le public ?
Chez certains skippers, cette transparence dérange parfois, elle peut être qualifiée d’invasive, et peut modifier la présence à bord. Côté public, l’écueil serait de se concentrer sur les moments forts. Le temps long qui existe en mer s’efface derrière une quête d’éclats ! L’océan devient un décor en streaming, plutôt qu’un lieu où les trajectoires se devinent. Le risque est de devenir un spectateur passif, glissant de vidéo en vidéo, sans chercher à tisser un récit sportif.
Et puis, cette augmentation croissante de vidéos peut créer l’illusion de l’immersion. On est au plus près, on voit tout, mais paradoxalement, on ne sent plus grand-chose. Alors que l’inconnu, lui, enflamme la réflexion et les émotions !
Alors comment saisir au mieux l’essence de cette course ?
Vouloir tout montrer peut enfermer dans une logique de spectacle. La trace de l’expérience semble avoir autant d’importance que l’expérience elle-même, alors que l’essence de la voile, c’est avant tout l’éphémère d’un sillage…
Comme souvent, tout est question d’équilibre ou de bonne gîte, pourrais-je dire ! Explorons certaines vidéos, car elles révèlent de manière inédite l’intimité d’une stratégie et la beauté des trajectoires, mettons-les en relation avec la cartographie, puis fermons les yeux, laissons les vents sculpter nos propres sensations. Vous le savez, les choses que vous imaginez sont souvent plus belles que la réalité !