C’est une somme. Le 19 août dernier, le Tribunal de Paris a condamné Chantal Goya et son époux, l’auteur-compositeur Jean-Jacques Debout, à verser 2 182 545 euros et 25 centimes à la Caisse de crédit municipal de Bordeaux. Par la voix de son avocate, le couple se refuse à commenter « une affaire relevant du domaine privé ». Il a fait appel de cette décision. La Ville, autorité de tutelle de la banque, préfère, elle aussi, la discrétion. Au moins jusqu’au réexamen du dossier. Mais le premier jugement est exécutoire. Il s’applique d’ores et déjà.

L’interprète de « Bécassine » et « Pandi Panda » est liée à la Caisse de crédit municipal de Bordeaux depuis avril 2018. À l’époque, « la banque des pauvres », spécialiste du prêt sur gage, se lance dans les prêts dits « à haute valeur ». Une politique atypique, en rupture avec son histoire. Les anciens dirigeants ont depuis été débarqués et condamnés pour l’avoir menée sans vigilance. L’aventure a plongé la caisse dans une tourmente dont elle n’est toujours pas sauvée. En septembre 2024, le crédit municipal a annoncé la suppression de 60 emplois, d’ici à la fin 2026. Les deux tiers de ses effectifs. Une restructuration massive.

Payer les impôts

Concrètement, entre 2017 et 2020, l’établissement bancaire a accordé des sommes à six ou sept chiffres à plusieurs emprunteurs contre des biens ou du patrimoine incertain. Une Ferrari en pièces détachées. Des Dali à l’authenticité douteuse. Ou des droits Sacem de gloires de la chanson. Tributaire d’une dette de 1,65 million d’euros au Trésor public, le couple Goya-Debout a ainsi souscrit un prêt de 2,215 millions d’euros sur cinq ans. En gage, les seuls droits Sacem de Jean-Jacques Debout.

Cette plume de la chanson française a servi Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Barbara, Dalida ou Yves Montand. Pourtant, au moment de souscrire, le couple est endetté à hauteur d’1,9 million d’euros. Il est inscrit au Fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP). La carrière de la chanteuse, 76 ans à l’époque, est derrière elle. Les grandes heures de son époux sont passées. Cela n’empêche pas le Crédit municipal de Bordeaux de lâcher les millions.

Selon une note de la direction des risques datée du 11 septembre 2021, la banque exige seulement trois déclarations de revenus et une attestation de loyer annuel. « Aucun élément sur les charges, ni sur le patrimoine [du couple] ne figure au dossier », précise le jugement du Tribunal de Paris, citant la Cour des comptes.

La Caisse de crédit municipal de Bordeaux a l’apanage du prêt sur gage aussi appelé « le Clou » ou « ma Tante ».

La Caisse de crédit municipal de Bordeaux a l’apanage du prêt sur gage aussi appelé « le Clou » ou « ma Tante ».

Archives Guillaume Bonnaud/ « Sud Ouest »

Violation du secret bancaire

En 2023, la Caisse de crédit municipal de Bordeaux exige le remboursement. Les emprunteurs contestent devant le tribunal judiciaire. Ils estiment n’avoir pas été suffisamment mis en garde des risques d’endettement excessif du prêt dit « in fine ». Dans ce type de contrat, les intérêts sont remboursés au fur et à mesure et le capital seulement à la fin, en une seule fois. L’établissement bancaire aurait, par ailleurs, « manqué à ses obligations de prudence et de loyauté qui lui imposaient de ne pas contracter » avec le couple. Chantal Goya et Jean-Jacques Debout sollicitaient aussi un paiement de 100 000 euros pour violation du secret bancaire et préjudice d’image. Plusieurs articles sont parus dans la presse sur les déboires du Crédit municipal et de ses emprunteurs.

Le tribunal a rejeté l’essentiel de leurs demandes. La justice estime que le couple savait dans quoi il s’engageait. Durant la négociation du contrat et jusqu’à la signature, « les époux étaient conseillés à la fois par un spécialiste du droit économique et par un courtier en financement », écrit le juge des contentieux de la protection. « Ils étaient parfaitement avertis de la nature du prêt in fine, qu’ils ont choisi en toute connaissance de cause, étant pressés de régler leur dette auprès du Trésor public afin d’éviter de subir des majorations. »

Ristourne de 74 500 euros

Le magistrat chargé de l’affaire leur donne partiellement raison sur un point : le Crédit municipal s’est montré plus que négligent dans l’analyse de leur dossier, avant d’accorder le prêt. En compensation, le tribunal a acté l’effacement d’une partie des intérêts de l’emprunt. 74 451 euros au total. Soit l’équivalent des intérêts impayés entre les 30 avril 2021 et 31 octobre 2022.

« La Cour des comptes a examiné scrupuleusement les conditions d’examen de la solvabilité des emprunteurs pour expliquer que celles-ci ont été désastreuses », justifie le jugement. À l’image de la gestion de la Caisse de crédit municipal à la fin des années 2010.