À la fin de l’été, il n’est pas rare que des Strasbourgeois(es) se retrouvent nez à nez avec des chauves-souris dans leur appartement. Une visite de courtoisie qui dure rarement plus d’une nuit. Mais quelles sont les causes de ce drôle de voisinage ? Pokaa est allé écouter ces petits mammifères volants pour mieux les comprendre.

Chaque année, le même rituel. À l’approche du 15 août, j’invite mes colocataires à fermer toutes nos fenêtres à la tombée de la nuit. Même en cas de canicule. Les derniers/ères arrivé(e)s me demandent immanquablement pourquoi. Et je dois alors expliquer que notre appartement sert parfois de halte à de drôles de visiteuses nocturnes… les chauves-souris.

Tout a commencé en 2020, par une fin août un peu fraîche. Alors que deux de mes colocataires regardaient la télévision dans le salon, fenêtres ouvertes, une chauve-souris est entrée. Puis deux, 10, 20 et jusqu’à 40 congénères, tournant en rond autour du plafonnier sous les yeux de notre chat rendu fou par tant d’activité. Il a fallu battre en retraite et leur laisser la pièce pour la nuit.

chauve-souris Pipistrelle commune en vol. © Ludovic Jouve – médiathèque du Plan national d’action en faveur des chiroptères / Capture d’écran

Une décoration impromptue

Le lendemain matin, tout le monde était parti. Ou presque. Un petit mammifère volant s’était caché derrière un cadre et a fait un peu de résistance avant de trouver la sortie.

Attrapé par un coloc qui voulait le voir de plus près, il lui a mordillé la paume avant de s’échapper. Ce faisant, il lui a également offert un petit rendez-vous au Centre antirabique de Strasbourg pour un rappel de vaccin contre la rage…

chauve-souris Crotte de chauve-souris. © A.Me / Pokaa

Depuis, les chauves-souris se sont faites discrètes. Peu de rencontres directes à une heure tardive, mais quelques indices de leur passage découverts au petit matin. Comme de nombreuses crottes sur les murs et les canapés du salon ou la table de la cuisine. Bien qu’elles ressemblent à celles des souris, il est peu probable que des rongeurs aillent poser leur pêche à deux mètres du sol.

Mais alors, pourquoi ? Pourquoi ces visites nocturnes ? Pourquoi à la fin du mois d’août chaque année ? Est-ce lié au fait que nous habitons à côté du parc du Contades ? Est-ce un appel à enfiler une cape pour jouer les justiciers/ères masqué(e)s dans Strasbourg-Gotham city ? L’un d’entre nous dormirait-il dans un cercueil sans que nous le sachions ? Que risquons-nous à avoir ce type de voisinage ?

chauve-souris

Faun_Pat_220

© Kevin Gruau et Ludovic Jouve – médiathèque du Plan national d’action en faveur des chiroptères / Captures d’écran

Mauvaise réputation

Pour répondre à toutes ces questions – ou presque –, je me suis rendue à une animation organisée par le Groupe d’étude et de protection des mammifères d’Alsace (GEPMA) au parc de l’Orangerie. À 20h, nous sommes une petite vingtaine de badauds à suivre Ségolène Antoine, notre guide, dans les allées du parc. La chiroptérologue – ou spécialiste des chauves-souris – commence par faire le tour des rumeurs qui courent sur ces petites bêtes.

« Qu’avez-vous déjà entendu à leur sujet ? » « Elles vivent en groupe ? » « Oui ! Quoi d’autre ? Vous n’avez jamais entendu qu’elles se prenaient dans les cheveux ? », demande la spécialiste avec malice. « Si ? Il faut savoir que les chauves-souris peuvent détecter un cheveu suspendu à plusieurs mètres. Il y a donc peu de chances qu’elles s’y emmêlent. En réalité, c’est ce qu’on disait aux femmes à une époque pour les dissuader de sortir la nuit… »

chauve-souris Pipistrelle commune de très très près. © Gilles San Martin – médiathèque du Plan national d’action en faveur des chiroptères / Capture d’écran

Autre idée reçue ? « Elles boivent du sang. » « Il existe trois espèces de chauves-souris vampires, précise Ségolène Antoine. Mais elles vivent en Amérique. En réalité, elles sont toutes petites et se contentent surtout de laper le sang de plaies déjà existantes sur de grands animaux. Elles sont intéressantes car leur salive fluidifie le sang. »

En Europe en revanche, la plupart des chauves-souris sont insectivores. Elles participent notamment à réguler les populations de moustiques… Pour ce faire, elles sont remarquablement bien équipées avec un système d’écholocalisation performant et des mains-ailées qui rendent leur vol « beaucoup plus précis que celui d’un oiseau ». Contrairement à une idée largement répandue : elles ne sont pas aveugles. Mais elles ne voient pas mieux qu’un humain la nuit.

chauve-souris Pipistrelle commune en vol. © Ludovic Jouve – médiathèque du Plan national d’action en faveur des chiroptères / Capture d’écran

Des jeunes squatteuses

Tandis que la nuit tombe sur le parc de l’Orangerie et que les moustiques assaillent le petit groupe de visiteurs/ses attentifs/ves, Ségolène Antoine poursuit sa présentation sur ces drôles de mammifères.

Il en existe environ 1400 espèces dans le monde : la plus grande mesure presque la taille d’un homme, mais ne mange que des fruits, et la plus petite fait la taille d’un pouce. En France, on en répertorie 36 espèces, dont 23 sont présentes en Alsace.

chauve-souris

chauve-souris

chauve-souris

chauve-souris

© A.Me / Pokaa

Elles vivent dans des troncs creux, des grottes, des greniers ou sous les toitures de vieux bâtiments où elles ne seront pas dérangées pour hiberner. Des endroits dont la température varie peu, pour que leur sommeil hivernal soit le moins coûteux possible en énergie. « Pour les chauves-souris, tout commence en automne, retrace la chiroptérologue. C’est la saison de la reproduction. Chaque femelle va s’accoupler avec plusieurs mâles et chasser pour faire des réserves en vue de l’hibernation. »

Ensuite, ces petits mammifères choisissent un gite d’hibernation où elles vont ralentir leur respiration, baisser leur température et… passer l’hiver. Après la reproduction, les femelles conservent le sperme dans leur corps : la fécondation n’a lieu qu’au printemps, quand les conditions environnementales sont réunies. Les jeunes naissent l’été, dans des communautés matriarcales où les femelles qui n’ont pas eu de petits s’occupent de ceux de leurs congénères quand elles vont chasser. Ces « nounous » représentent un tiers de l’effectif.

chauve-souris Les chauves-souris chassent par écholocalisation, en poussant des cris très brefs dans plusieurs directions. © A.Me / Pokaa

Des chasseresses efficaces

À la fin de l’été, les jeunes prennent leur envol. Les femelles retournent dans les colonies qui les ont vu grandir, mais les mâles doivent aller faire leur vie ailleurs. Inexpérimentés, ils sont parfois un peu optimistes quant aux endroits qui pourraient les accueillir. « C’est à ce moment-là que l’on observe des intrusions chez les habitants, sourit Ségolène Antoine. Ce sont des animaux sociaux. Quand l’un d’eux pense avoir trouvé un bon endroit, il en appelle parfois d’autres. » Si un petit gang arrive en force dans votre salon, il y a des chances pour qu’il y ait un « gîte » de chauves-souris pas loin.

« Laissez les fenêtres grandes ouvertes, fermez les portes et éteignez les lumières, conseille la spécialiste. Elles trouveront la sortie par elles-mêmes. » Ce sont des animaux sauvages : il faut éviter de les toucher. Si un de ces petits mammifères tombe au sol ou apparait mal en point, il faut alors se munir de gants ou d’un tissu épais. Mais le mieux reste de faire appel à des spécialistes comme le Pôle médiation faune sauvage – dont le GEPMA fait partie – ou SOS chauves-souris.

chauve-souris Colonies de pipistrelles communes. © Ludovic Jouve – médiathèque du Plan national d’action en faveur des chiroptères / Capture d’écran

Après un peu plus d’une heure d’exposé, la nuit n’est pas loin de tomber. Ségolène Antoine sort de son sac des « batbox » et les distribue à l’assemblée. Ces petits boitiers permettent de capter les ultrasons émis par les chauves-souris et de les retranscrire dans le spectre audible pour l’homme quand l’appareil est dirigé vers elles. Il faut changer de fréquences en fonction de l’espèce que l’on souhaite débusquer. Certaines « crient » à 20 KHz, d’autres à 40 ou 45. Chaque crépitement de l’appareil est l’occasion de lever le nez pour tenter d’apercevoir les mammifères en vol.

« Il fait chaud, c’est le début de la nuit : cela va être une période de forte activité », prévient Ségolène Antoine. Silencieuses et alertes, elles volent avec agilité sous la cime des arbres de la grande allée de l’Orangerie. En une nuit, chacune est capable de dévorer jusqu’à 3000 insectes. Un petit quart d’heure après le coucher du soleil, un constat s’impose pour le petit groupe de visiteurs/ses en observation : « On sent moins les moustiques, non ? »