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Rédaction Lorraine

Publié le

5 sept. 2025 à 16h42

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné, jeudi 4 septembre, la France pour la réponse judiciaire apportée à des accusations de violences sadomasochistes, et réaffirmé que le consentement était « révocable ».

La Cour, basée à Strasbourg, était saisie par une femme née en 1983 qui accusait son responsable hiérarchique de viols et violences sexuelles.

Une relation sadomasochiste entamée avec son chef de service

Celle-ci, identifiée par ses initiales E.A. pour protéger son anonymat, était préparatrice en pharmacie à l’hôpital de Briey (Meurthe-et-Moselle) en 2010, quand elle a entamé une relation sadomasochiste avec un chef de service, K.B., né en 1967.

Elle a porté plainte en 2013 contre lui pour « viol avec torture et actes de barbarie par une personne abusant de son autorité« , « violences physiques et psychologiques » et « harcèlement et agression sexuels ».

Un contrat signé entre les deux protagonistes

Mais le prévenu, condamné en première instance pour violences volontaires et harcèlement sexuel, a été totalement relaxé en 2021 par la cour d’appel de Nancy, les juges estimant que, les deux protagonistes ayant signé un contrat « maître/chienne » régissant leur relation, celle-ci était consentie.

Ayant épuisé les voies de recours en France, la plaignante a saisi la CEDH.

Des « lacunes du cadre juridique » français

Dans un arrêt rendu jeudi, la Cour lui a donné raison, pointant du doigt les « lacunes du cadre juridique » français ainsi que « des défaillances rencontrées lors de sa mise en œuvre », parmi lesquelles les « conditions d’appréciation du consentement de la requérante par les juridictions ».

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La Cour a réaffirmé que le consentement devait « traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances ».

« Dès lors, aucune forme d’engagement passé – y compris sous la forme d’un contrat écrit – n’est susceptible de caractériser un consentement actuel à une pratique sexuelle déterminée, le consentement étant par nature révocable », a souligné la cour.

La France reconnue coupable : la requérante « très soulagée »

La France, reconnue coupable de violation des articles 3 (interdiction de la torture) et 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention européenne des droits de l’homme, devra verser à la requérante 20 000 euros au titre du dommage moral et 1 503,77 euros pour ses frais de justice.

Celle-ci « est très soulagée de cette décision qui, enfin, la restaure dans sa dignité », a réagi son avocate Me Marjolaine Vignola. « C’est la démonstration de la défaillance, non seulement du cadre législatif qui est jugé lacunaire, mais de l’appréciation des violences sexuelles par les juridictions françaises », a-t-elle déclaré à l’AFP.

Une « victimisation secondaire » subie

La cour a reconnu en outre la « victimisation secondaire » subie par la requérante, c’est-à-dire le fait qu’elle ait été traitée elle-même comme fautive, du fait de questions déplacées ou de remarques culpabilisantes lors de la procédure.

En opposant à E.A. la signature d’un contrat passé avec son supérieur, « la cour d’appel de Nancy l’a exposée à une forme de victimisation secondaire, un tel raisonnement étant à la fois culpabilisant, stigmatisant et de nature à dissuader les victimes de violences sexuelles de faire valoir leurs droits devant les tribunaux », a taclé la CEDH.

Examen des circonstances environnantes : « un des gros ratés » dans l’affaire

Pour Nina Bonhomme Janotto, juriste à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), l’arrêt va « imposer aux juges, notamment sur la question du consentement, d’aller regarder les circonstances environnantes », estimant que cela avait été « un des gros ratés » dans cette affaire où « les leviers de pression » exercés sur la jeune femme n’ont pas été examinés.

« L’auteur des faits était son supérieur, elle était beaucoup plus jeune, et elle était endettée auprès du centre hospitalier et donc elle ne pouvait pas en partir à moins de rembourser les frais qui avaient été déboursés pour sa formation », a-t-elle rappelé.

La France déjà condamnée dans une autre affaire récemment

C’est la deuxième fois en quelques mois que la France est condamnée par la CEDH pour la réponse judiciaire apportée à des accusations de violences sexuelles.

En avril, la cour, bras judiciaire du Conseil de l’Europe, avait estimé que la justice française avait « failli à protéger » trois mineures qui dénonçaient des viols. Selon les juges strasbourgeois, les circonstances des faits et le consentement des adolescentes n’avaient pas été suffisamment pris en compte.

Définition du viol : une proposition de loi en cours d’examen pour la modifier

Avec l’arrêt de jeudi, Me Marjolaine Vignola espère qu’une condamnation puisse « motiver le gouvernement français à rendre effective une loi qui soit plus protectrice des femmes » et pousser les juges à « améliorer leur interprétation de la loi ». En droit français, le viol est défini comme une pénétration imposée par « violence, contrainte, menace ou surprise ».

Une proposition de loi en cours d’examen au Parlement vise à modifier cette formulation, définissant le viol comme « tout acte sexuel non consenti » et le consentement comme « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable ». De cette façon, comme c’est déjà le cas en Espagne ou en Suède, il ne reviendrait plus aux victimes de prouver la contrainte, mais aux mis en cause de démontrer que le rapport était consenti.

Avec AFP.

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