Comment jugez-vous le mercato niçois et plus globalement ce début de saison?
Il a fallu de la résilience. C’est un peu comme ça qu’on l’a vécu en interne parce que le contexte du football français est difficile avec la chute vertigineuse des droits télé donc il faut s’adapter. Et ensuite c’est la vie d’un mercato, parfois il y a des aléas. ça a rajouté à la complexité économique. On a eu quatre situations médicales qui ont fait qu’on n’est pas allé au bout de certains transferts. Königsdörffer et d’autres (il refuse de les évoquer en raison du secret médical). On aurait pu forcer certaines situations mais on a choisi de protéger le club, contrairement à certaines décisions prises par le passé. Au final, quand on regarde le résultat, on est retombé sur nos pieds mais ça n’a pas été facile.
Au delà des aléas, n’y a-t-il pas eu aussi des ratés?
Peut-être que sur certains postes, on se dit qu’on aurait pu faire un peu différemment, mais jusqu’à parler de raté, non. L’épisode Mahdi Camara, on ne l’a absolument pas vécu comme un raté. D’ailleurs, l’agent du joueur nous a donné l’opportunité de nous aligner avec l’offre du Stade Rennais. A partir du moment où on a un accord avec un joueur et qu’un club propose pratiquement le double, il n’était absolument pas cohérent pour nous de donner suite.
La plus grosse réussite du mercato, c’est finalement la somme récoltée sur les ventes?
On ne doit pas réfléchir comme ça. ça fait déjà deux années de suite où on a une balance nette positive de 30 millions d’euros entre les ventes et les achats. Ce n’est pas un hasard, c’est un objectif extrêmement clair en interne. Au-delà même des ventes effectuées, il faut regarder aussi ce qu’on a investi (30 millions d’euros). Pratiquement le double de l’été dernier (17 millions d’euros). Pourquoi ? Parce qu’ on a été capable de valoriser certains joueurs. La préoccupation principale était surtout de construire le meilleur effectif possible dans un cadre économique donné.
Les supporters ont du mal à comprendre pourquoi les belles ventes n’ont pas été suivies par le recrutement de valeurs sûres…
Il y a deux ans, l’OGC Nice touchait 30 millions d’euros de droits télé, l’année dernière 15 millions, cette année, ça ne sera pas au-dessus de 8 millions. On est revenu à un niveau de droits télé inférieur à ce qui se faisait dans les années 2000. L’impact est juste cataclysmique. Les clubs français sont de base très dépendants des transferts, ils ont quasiment tous un déficit opérationnel très important. Ce gap ne fait que s’accroître année après année. On ne fait que compenser des pertes. Si Ineos n’était pas là, parce qu’ils ont encore investi plus de 30 millions d’euros pour faire vivre le club cette année, soit un peu plus que ce que la DNCG avait demandé, on recrute 0 joueur car on n’a tout simplement pas de budget pour le faire. C’est difficile, il y a aussi les contraintes du fair-play financier, mais on est loin d’être une exception dans le football français. Quand je suis arrivé il y a trois ans, on sortait du mercato le plus onéreux de l’histoire du club. Ce modèle économique n’était pas viable. Notre objectif, c’est de réduire notre masse salariale et maintenir une bonne performance sportive en faisant émerger aussi des jeunes du centre de formation. On a un très bon exemple avec la vente d’Evann Guessand. On est sur le bon chemin.
Nice est désormais condamné à ne tenter que des paris, dans des championnats mineurs?
Le fait de recruter des joueurs méconnus, ce n’est pas nécessairement des paris. C’est un terme que je n’aime pas. Moi, je suis très heureux si, chaque année, on est « condamné », comme vous dites, à prendre des Bombito. Quand vous regardez l’histoire du Gym, hormis des noms comme Ben Arfa ou Balotelli, le club a toujours cherché à faire émerger des joueurs comme Seri ou d’autres. C’est le rôle d’un club de football d’y parvenir par la formation et par le recrutement. On n’est pas le Real Madrid. On ne peut pas se dire, tiens, on a perdu Evann et, demain, on va recruter exactement son pendant. De la même façon que quand Lille perd Jonathan David ou Lyon Rayane Cherki.
Pensez-vous que l’effectif s’est affaibli?
Je pense que la réalité du football français fait qu’il n’est pas possible de garder ses meilleurs joueurs, mais je ne sais pas si le terme « affaibli », est celui que j’utiliserais et ce n’est pas pour faire de la langue de bois. Quand on dit ça, ça équivaut à trouver des excuses. L’ensemble des clubs français est impacté par ce qui se passe. Donc, oui, on a perdu des joueurs importants, mais l’année dernière, on avait perdu Thuram et Todibo… C’est à nos joueurs de se révéler. Mohamed-Ali Cho, Jérémie Boga peuvent être capables de rebondir. Terem Moffi qui a eu une grosse blessure, doit revenir et élever son niveau de jeu. On a des joueurs dans l’effectif qui peuvent prendre cet envol: des plus jeunes ou des cadres qui doivent confirmer.
« Un effectif mais pas encore une équipe qui se dégage »
On imagine que le match contre le Havre ne vous a pas fait très plaisir.
C’est ma 4e saison ici, et la 4e fois qu’on ne fait pas des débuts en fanfare. Avec une victoire contre Nantes, on sera en avance par rapport à l’année dernière. Ce qui a été embêtant contre Le Havre, au-delà du résultat, c’est le contenu. Aujourd’hui, on a un effectif, mais on n’a pas encore une équipe qui se dégage. On est très conscients qu’on doit faire tous beaucoup mieux. Le niveau d’engagement vu contre le HAC, ce n’est absolument pas ce qu’on a envie de montrer. ça appartient aux joueurs de créer leur propre histoire. Je crois dur comme fer qu’on va y arriver.
La plus-value, vous l’attendez de la part des recrues ? Ou surtout des cadres qui doivent revenir de blessure?
Elle est collective. Nos recrues ont été très exposées très rapidement. Il faut leur laisser prendre confiance. Il y a aussi eu des blessures, des joueurs qui ont pu avoir des araignées dans la tête par rapport au mercato et qui n’ont pas autant répondu présent qu’on attendait. Mais je ne suis pas là pour pointer du doigt. On doit mieux faire, point barre. La saison est encore longue, on aura des victoires, de belles émotions, un parcours d’Europa League qui équivaut à un parcours de Ligue des champions, sans les revenus qui vont avec (sourire).
Comprenez-vous l’inquiétude autour du club?
Je l’ai déjà ressentie à mon arrivée ou quand Francesco Farioli et Florent Ghisolfi sont partis. Quand tu n’enchaînes pas de très bons résultats et qu’en plus, tu as un contenu assez décevant, c’est normal. Notre rôle, ce n’est pas d’être des éponges par rapport à cette inquiétude. On est dans un club du sud, où parfois l’amplitude des émotions peut être assez importante. On doit se concentrer sur ce que l’on doit faire. L’important c’est d’être cohérent et d’expliquer qu’on n’est pas les seuls dans cette situation.
Cette stabilité des émotions, avez-vous réussi à la maintenir pendant le mercato?
Avec Franck et Florian, on est restés soudés. ll y a eu des moments difficiles, mais c’est normal, on n’est pas des robots. On a été résilients et la plus belle démonstration, c’est la prolongation de Franck.
Le nouveau président du Gym se sait désormais plus exposé. Photo Dylan Meiffret.
« A ce poste, vous dites plus souvent non que oui »
Le coach disait, il y a peu, qu’être dans les 7 premiers et performer en Ligue Europa n’était pas possible actuellement. L’avez-vous fait changer d’avis?
Quand Franck dit ça, il ne nous apprend rien car cette phrase-là a été prononcée au lendemain de Benfica. On n’a pas besoin d’être Einstein pour savoir qu’entre les absents du moment et le mercato qui n’était pas terminé, on n’avait pas l’effectif nécessaire. C’est une situation à un instant T que l’on partage tous à 2000%. Aujourd’hui, quand vous regardez notre effectif sur le papier, on considère que les conditions sont réunies pour se battre pour les objectifs du club: le top 7 et avoir un bon niveau de performance en Ligue Europa. Si on y parvient, ça sera la première fois dans son histoire que le club se qualifierait pour la troisième fois consécutive en Coupe d’Europe. Potentiellement, on peut faire un truc inédit. Et si pour X raisons, on n’est pas exactement dans ce niveau de performance, à partir du moment où on a fait les choses de façon cohérente en interne, on fera mieux par la suite.
Les clubs qui font la Ligue des champions deviennent de plus en plus riches et l’écart se creuse avec les autres. Comment lutter?
C’est très compliqué. On fait partie des clubs qui peuvent lutter pour faire la C1, on n’est pas passé très loin ces deux dernières années, mais on sait pertinemment que notre modèle, aujourd’hui, ce n’est pas celui d’un club qui, chaque année, joue la C1. On n’a pas 65 000 spectateurs de moyenne (comme Marseille), on n’a pas l’avantage fiscal de Monaco et on n’est pas le Paris-Saint-Germain. Et le modèle multi-clubs de Strasbourg fait qu’ils investissent énormément d’argent sur une politique de trading, ce qui leur permet d’avoir un effectif avec de jeunes joueurs de très grande qualité. Donc c’est surtout ces 4 clubs-là, pour moi, à l’instant T, qui émergent. Derrière, il faut que nous, on soit extrêmement performant dans tout ce qu’on fait, et pourquoi pas surperformer certaines années. On espère que les droits télé de la Ligue 1 vont remonter. Sinon, ce gap va augmenter…
Vous parlez du modèle de Strasbourg. Pourquoi, vous et Manchester United, n’utiliseriez pas cette voie?
L’année dernière, on ne pouvait pas avoir de liens. Les règles initiales de UEFA étaient de n’effectuer aucune transaction entre les clubs sur plusieurs mercatos, dont celui qui vient de s’achever. Finalement, en juin, l’UEFA a assoupli cette règle. Sauf que ce n’était absolument pas prévu, à la différence de Chelsea et Strasbourg qui travaillent depuis un long moment sur ce partenariat multi-clubs. Chelsea sort d’une saison où ils ont fini en Ligue des champions et ont gagné la Coupe du monde des clubs, alors que Manchester est dans une saison de reconstruction. Il est concentré sur sa capacité à rebondir sur le court terme. Le projet multi-clubs va se développer. Pas comme Strasbourg-Chelsea, ça sera un modèle différent. Je n’ai aucune raison de croire que ça n’arrivera pas, parce que c’est dans l’intérêt de tout le monde.
Voir Manchester dépenser autant est difficile à accepter pour de nombreux supporters.
Je ne suis pas là pour me faire l’avocat de Manchester. Ils ont fait quoi l’année dernière en interne ? Ils ont pris des décisions très difficiles (plusieurs centaines de licenciements, ndlr). Ici, ça ne sera pas le cas pour la simple raison que j’ai toujours considéré que la protection de l’emploi est importante. C’est peut-être moins visible que quand on parle de sportif mais ce n’est pas moins important. Ils font 800 millions d’euros de chiffres d’affaires, ils ont des revenus de Premier League qu’on n’a pas. Je peux comprendre la perception au premier abord, mais je pense qu’il faut être capable d’appréhender la situation de façon un peu plus large.
Il y a une sorte de flou qui persiste sur les intentions d’Ineos. L’actionnaire veut-il vendre?
J’ai demandé à Ineos de s’exprimer pour clarifier et montrer qu’il n’y a aucune ambiguïté sur leur positionnement. Je suis comme Saint-Thomas, je crois que ce que je vois. Et moi, ce que je vois, c’est qu’économiquement, Ineos nous a toujours beaucoup accompagnés. Depuis l’arrivée de Jean-Claude Blanc, ils nous ont laissés travailler dans un environnement sain.
Il n’y a donc pas une mise en vente claire de l’OGC Nice?
À ma connaissance, non, mais il faudra poser la question quand vous aurez le représentant d’Ineos (Jean-Claude Blanc devrait s’exprimer prochainement). Vous savez, la notion de vente, j’en entends parler depuis des mois. Comme c’est le cas à Monaco, Toulouse, Angers… Ce n’est pas pour autant que ces clubs ne peuvent pas avancer. Moi, ce que je vois, c’est un actionnaire qui protège le club économiquement et qui laisse les gens bosser. Ce sont déjà deux cases cochées qui sont plutôt rares.
Vous avez cette image de « Mr Ineos ». Avez-vous l’impression de faire le sale boulot?
Je ne suis pas là pour me plaindre. ça fait trois ans que je suis directeur général. À ce poste, vous dites plus souvent non que oui, ça fait partie du job. Réduire la voilure, c’est une demande que je considère légitime. Quand je suis arrivé, j’ai cru que j’avais rejoint un actionnaire-état. Il fallait investir des montants largement supérieurs à 100 millions d’euros pour que le club puisse juste passer l’année. Ce mode de fonctionnement n’est sain pour personne. On a divisé par plus de 3 le besoin de cash du club en 3 ans. On ne se rend pas compte de l’effort effectué. Le modèle économique était très dangereux. Mais réduire des coûts ne sera jamais une stratégie, c’est un moyen par lequel on doit passer, une nécessité. Il faut être intelligent. On continue d’investir: on vient de changer toute une pelouse au niveau du centre de formation pour 700 000 euros. On a modifié des choses au stade pour améliorer le sentiment d’appartenance, on met 30 millions d’euros sur le marché des transferts. On continue de garder une structure forte au niveau de la performance.
« Jean-Pierre était un formidable paratonnerre »
Vous attendiez-vous à être président si vite?
Non, pas particulièrement. Avec Jean-Pierre (Rivère), la relation a été très bonne et s’est construite sur la durée. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup, qui a un côté intuitif et une intelligence de situation. Ma nomination, je l’ai vécue comme une belle marque de confiance. Comme quelque chose de positif. Je sais que ce n’est pas facile mais je suis content de le vivre. C’est en situation d’inconfort qu’on progresse. Je suis plus exposé, parce que Jean-Pierre (Rivère), de par ce qu’il représente, était un formidable paratonnerre. Le démarrage avec ce mercato m’a mis tout de suite dans le feu de l’action.
Avez-vous le sentiment qu’il y a une relation de confiance à reconstruire avec les supporters?
On les a rencontrés il n’y a pas longtemps. Le plus important, c’est de dire les choses, même celles qu’on fait moins bien. La confiance, non seulement ça prend du temps, mais c’est fragile. Ce n’est jamais un dû ou un acquis, donc ça se construit, et il faut le faire avec humilité. Je construis ma relation avec les supporters, avec les collectivités. Comme dit Ferran Soriano (directeur général du City Group), quand on est dans un club de football, c’est comme être un poisson dans un aquarium. Tout le monde regarde et tout le monde juge. Je ne m’en plains pas.
Votre personnalité est-elle compatible avec un club du sud comme Nice?
J’ai grandi à Paris mais aussi en Colombie, qui a un côté quand même assez latin. Je suis marié avec une Sud-américaine, notre langue à la maison c’est l’espagnol. Mon rôle, c’est de m’adapter, avec ma personnalité, qui peut à certains égards correspondre au territoire, et à d’autres un petit peu moins. Je ne le vis pas comme une faiblesse, c’est juste un état de fait. Le plus important, c’est nos valeurs: être direct, faire preuve d’authenticité.
Fabrice Bocquet rencontré au centre d’entraînement de l’OGC Nice ce vendredi. Photo Dylan Meiffret.
C’est dit
Les blessures
« Ce n’est pas une fatalité. Depuis janvier, on a recruté un docteur vraiment top (Jean-Marc Laborderie). on a fait évoluer l’équipe kiné et la cellule performance. La direction a soutenu le sportif dans ses choix. On a pas mal de blessures (5) qui nous suivent de l’année dernière et nous impactent. En principe d’ici fin septembre, on aura récupéré l’intégralité de notre effectif (hormis Abdelmonem et Youssouf). »
Le maillot Away
« Je considère qu’on a trois très beaux maillots. Le Home, ce n’est pas un sujet. Le Third non plus car, c’est un territoire d’expression qui est libre. On est loin d’être les seuls à le penser. Concernant le maillot Away, j’entends ce qui a été dit et je le partage. Si c’était à refaire, au lieu du vert, je pense tout simplement qu’on aurait mis un col noir, et c’était parfait. Je le prends pour moi. L’année prochaine, on fera différemment. »
La gestion d’un club de football
« C’est un raccourci intellectuel d’opposer foot et entreprise. Mais si on pense qu’en appliquant juste des méthodes d’entreprise standard dans un club de foot sans prendre en compte le côté humain, on se plante. La base de tout, c’est la performance sportive. On pense au foot quand on renforce une équipe de performance alors qu’il n’y en avait pas au début, quand on remet en place un projet de centre de formation, quand on recrute un directeur sportif ou quand on fait venir des entraîneurs de la trempe de ceux qu’on a aujourd’hui, quand on continue d’investir malgré un contexte économique difficile. »
Sa candidature au CA de la Ligue
« C’était important parce que le Gym fait partie des clubs qui comptent en France. J’y vais en me disant que je n’ai pas grand chose à perdre avec un état d’esprit serein et la volonté d’apporter ma fraîcheur. »