Par
Julie Bossart
Publié le
6 sept. 2025 à 6h38
Elle est présentée par la presse spécialisée comme l’une des plus importantes opérations de ventes de bureaux en Europe depuis la pandémie de Covid-19. Mercredi 3 septembre 2025, les Américains de Blackstone se sont officiellement emparés du centre d’affaires Paris-Trocadéro.
Le fonds new-yorkais, premier propriétaire d’immobilier non résidentiel au monde, a déboursé 700 millions d’euros pour acquérir cet ensemble haut de gamme du 16e arrondissement. Soit deux fois plus que ce qu’avait dépensé la société d’investissement allemande Union Investment pour l’acquérir en 2003 (285 millions). Derrière cette transaction, preuve sonnante et trébuchante que le marché des bureaux n’a pas dit son dernier mot, se cache aussi une histoire passionnante de patrimoine parisien et de banque nationale.
La Seine fait des siennes
Le centre d’affaires Paris-Trocadéro s’inscrit en effet parmi les plus beaux ensembles architecturaux de Paris. D’une superficie de 41 234 m2, l’immeuble occupe un triangle délimité par les avenues Kébler et Raymond-Poincaré, et dont la pointe donne sur la place du Trocadéro. À l’intérieur, 30 000 m2 de bureaux, mais aussi des appartements de luxe, des restaurants, des cafés, business center, crèche, conciergerie… Une configuration bien éloignée de celle imaginée par son fondateur : la Société générale.

Le centre d’affaires Paris Trocadéro est un ensemble de bureaux et de logements de plus de 40 000 m2 donnant sur la célèbre place du 16e arrondissement. (©JB/actu Paris)
Nous sommes en 1864. Paulin Talabot, dirigeant de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM), et Eugène Schneider, maître de forges et gérant de Schneider et Cie, fondent le 4 mai de cette année-là la Société générale. Les deux hommes veulent alors favoriser le développement du commerce et de l’industrie en France. Le siège social est installé rue de Provence, puis boulevard Haussmann – il déménagera dans les tours jumelles Chassagne et Alicante de La Défense, à Puteaux, en 1995.
À la suite de la crue de la Seine, en 1906, mais, surtout, de « celle du siècle », en 1910, qui inondera 20 000 immeubles sur près de 500 ha en plein cœur de Paris, les caves du siège de la rue de Provence prennent l’eau, manquant d’emporter à tout jamais archives, titres et œuvres d’art détenus par la banque. La Société générale cherche un lieu sûr pour ses activités de placement et de conservation de titres, à l’époque matérialisés sur support papier, éclairait dans une chronique publiée en 2012 Ingrid Nappi-Choulet, professeure et chercheure à l’Essec.
« L’âge d’or des opérations en blanc »
La banque jette son dévolu sur la butte Chaillot, où elle fera ériger un complexe à structure métallique Eiffel. En son centre, une impressionnante tour forte de 15 000 m2, 30 m de hauteur, 46 m de diamètre avec système défensif pour protéger les œuvres d’art et titres des clients.
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Au centre du bâtiment s’est longtemps élevée une tour forte de sept niveaux dont le but était de conserver les œuvres d’art et titres des clients de la banque. (©National Archives at College Park)
À peu près à la même époque, la banque connaît une faste période portée par « l’âge d’or des opérations en blanc », relève Ingrid Nappi-Choulet. En 1985, l’agrément pour la construction de bureaux non affectés et destinés à la vente ou à la location, ainsi que celui pour leur reconstruction ou leur réhabilitation, est supprimé. La Société générale profite de cette libéralisation du marché pour réhabiliter l’ensemble de l’avenue Kléber et ouvrir son actif au marché locatif.
La tour forte, dont la raison d’être est déjà été remise en question par la dématérialisation progressive des titres, est démolie, remplacée par un jardin intérieur. Des niveaux de parking sont créés, la structure et les façades en pierre de taille sont conservées, logements et commerces prennent place. Le 112, avenue Kléber est intronisé comme étant le premier centre d’affaires de Paris. L’opération reçoit en 1992, à l’occasion du célèbre Marché international des professionnels de l’immobilier (Mipim), le prix de la qualité architecturale, de l’innovation technique de construction ou de rénovation. Mais elle défraie aussi la chronique, glisse Ingrid Nappi-Choulet.
Compenser la perte de logements
« Lancée en pleine euphorie immobilière des années 1980, l’opération est livrée en 1991, alors que le marché entre en pleine récession. Les loyers sont alors les plus élevés de la capitale, entre 4800 et 5000 francs (HT, HC). » Par ailleurs, les encours des crédits bancaires accordés aux professionnels du secteur ont quasiment triplé sur les trois années 1988-1990. « En 1992, l’encours total est estimé à 328 milliards de francs [50 milliards d’euros], 40 % des crédits sont considérés comme des créances douteuses. »

Le hall de l’immeuble plus que centenaire, classe et feutré, donne sur un jardin intérieur. (©JB/actu Paris)
Enfin, la restructuration a reposé sur la destruction d’une partie des logements utilisés par la Société générale pour ses salariés. Pour compenser la perte de logements qui ont connu un changement d’usage, la Sogeprom, la filière immobilière de la banque, est contrainte à acquérir sept immeubles dans Paris pour les transformer en logements, puis les revendre à la découpe.
Un nouveau tournant intervient en 2003, lorsque le centre d’affaires est racheté par l’investisseur allemand Difa (futur Union Investment), déjà propriétaire du centre d’affaires Paris-Victoire, dans le 9e arrondissement. Vingt ans plus tard, le prestigieux immeuble de l’avenue Kléber bat pavillon américain. La finalisation de la transaction doit intervenir au quatrième trimestre 2025.
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