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Une jeune fille née en 2015 a obtenu cet été son baccalauréat en candidate libre. Record de précocité, confirmé par l’Éducation nationale. Mais derrière l’exploit, un organisme de formation qui interroge revendique sa méthode. De quoi nourrir les doutes du monde éducatif, inquiet d’une forme de dérive.

Le bac, symbole du passage vers l’âge adulte, a été décroché cette année par une élève… de 9 ans. L’information, avancée ce vendredi 5 septembre par France Info et confirmée par le ministère de l’Éducation nationale, fait sensation : jamais un candidat n’avait franchi ce cap si tôt. En 1989, le précédent record était détenu par un garçon de 11 ans et 11 mois.

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Selon les données recueillies, la jeune fille – née en France, de nationalité grenadienne et aujourd’hui scolarisée à Dubaï – a passé ses épreuves en candidate libre à Paris. Elle a obtenu son diplôme sans mention, grâce aux rattrapages. Sa famille n’a pas souhaité témoigner. Seule une marraine a confirmé que l’enfant disposait d’un QI « normal ».

Un exploit médiatisé par un organisme

Si le ministère s’est gardé de tout commentaire, c’est un acteur extérieur qui s’est empressé d’occuper le terrain : Isoset. Cet organisme, à l’origine spécialisé dans la formation informatique, revendique l’accompagnement de la fillette. Depuis l’annonce, il s’efforce de communiquer pour vanter sa « méthode Aleph », censée permettre à des enfants ordinaires de « gagner des années » d’études en supprimant les redondances du système scolaire classique.

« C’est une pédagogie structurée qui évite les répétitions et aborde plus tôt certaines notions », explique Hugo Sbai, 25 ans, avocat et ancien enfant prodige qui a obtenu son bac à 12 ans. Aux côtés de son frère Mathieu, il est la figure de proue d’Isoset. L’organisme affirme avoir déjà permis à des adolescents de décrocher un master à 14 ans ou un doctorat à 17 ans.

Des promesses qui inquiètent

La campagne de communication, menée à grand renfort de superlatifs – « record légendaire », « révolution éducative » –, laisse perplexe nombre de spécialistes. « Quand je lis le site internet, c’est une arnaque pédagogique », tranche Sébastien Ponnou, psychanalyste et maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris 8, sollicité par France Info. Pour lui, « l’intérêt de l’enfant passe au deuxième plan ».

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Même son de cloche chez les observateurs du système scolaire, qui soulignent que l’école n’est pas seulement une accumulation de connaissances, mais aussi un espace de socialisation. « Est-ce qu’on va devoir adapter les universités à des étudiants de 10 ou 12 ans ? » s’interroge Véronique Fay, spécialiste de l’éducation sur BFMTV. Au ministère, certains évoqueraient ainsi, en réaction, l’idée d’un « âge plancher » pour se présenter au bac, afin d’éviter une course aux records.

Des antécédents controversés

Le nom des Sbai n’est pas inconnu. Derrière la méthode Aleph se profile aussi le « Village de l’emploi », centre de formation informatique auquel la famille a été associée et qui a déjà été mis en cause pour pratiques abusives : formations bâclées, élèves endettés, pressions pour les retenir. Libération rappelait dès 2022 que l’organisme avait suscité une enquête pour ces dérives.

Dans ce contexte, la réussite de la fillette de 9 ans apparaît moins comme un simple exploit scolaire que comme un jalon d’une stratégie de visibilité. Les mots employés par Isoset renforcent les soupçons : l’institution évoque même la possibilité de « généraliser l’obtention du bac à 15 ans », pour accélérer l’entrée dans le monde du travail. Une vision jugée utilitariste, qui choque les pédagogues.

Faut-il mettre des limites ?

L’histoire aurait pu rester celle d’une enfant hors norme. Mais elle révèle une tension plus large : l’école doit-elle encourager l’accélération à tout prix ? « Le but de la pédagogie n’est pas d’aller plus vite, mais de cultiver le désir de savoir, et cela prend du temps », rappelle Sébastien Ponnou.

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Si la fillette restera dans les annales comme la plus jeune bachelière de France, le débat qu’elle suscite, lui, ne fait que commencer. Derrière les records, c’est la place de l’enfant dans un système éducatif pensé pour grandir autant que pour apprendre qui est remise en cause.