La Saint-Gilloise Odile Nasri est décédée le 1er janvier 2021 à Toulon. Depuis, sa sœur Fadila se bat pour que le « suicide forcé » soit reconnu par la justice. Mais malgré un non-lieu prononcé en avril dernier, la famille garde espoir face à un « angle mort du féminicide ».
« Solaire », « rayonnante », « joyeuse ». Les compliments ne manquent pas dans la bouche de Fadila Nasri pour qualifier sa sœur Odile, de trois ans sa cadette. Une personne exubérante qui connaîtra toutefois un destin tragique. Au petit matin du 1er janvier 2021, le corps de la Saint-Gilloise de 50 ans est retrouvé inanimé sur une plage de Toulon. Une mort causée par une prise conséquente de médicaments. Mais pour Fadila, le geste de sa sœur n’est pas anodin. Elle est persuadée que « les dix années d’emprise » de son mari, ont poussé sa sœur à commettre ce geste irréparable.
Quatre années de procédure
Une affaire qui a connu de nombreux rebondissements. Car si la mort est reconnue naturelle, une nouvelle infraction, née du Grenelle des violences conjugales de 2019, a été inscrite dans la loi en juillet 2020. Il s’agit des circonstances aggravantes de « suicide » et de « tentative de suicide » pour des faits de harcèlement moral. « Quand j’ai lu ce que cela signifiait, je me suis dit : c’est exactement ça ! », se souvient Fadila. Elle évoque notamment un isolement financier et psychologique dont aurait été victime sa petite sœur.
Avec ses frères, Fadila dépose alors plainte en mai 2021, faisant de ce dossier le premier cas traité par la Justice sous la qualification de « suicide forcé ». « Il y a d’abord eu un classement sans suite du parquet de Toulon, mais finalement le parquet a ouvert une information judiciaire pour harcèlement par conjoint ayant entraîné le suicide de la victime », souligne Me Victor Zagury, l’avocat de la famille Nasri. Mais après quelques années d’instruction, Fadila et ses frères font face à une ordonnance de non-lieu du magistrat instructeur en novembre 2024. Décision pour laquelle ils interjettent appel.
Éléments jugés insuffisants pour la chambre d’instruction
Et le 28 avril dernier, le couperet tombe pour la famille Nasri. La chambre d’instruction confirme l’ordonnance de non-lieu, le dossier est classé faute d’éléments suffisants pour caractériser le délit. « Une grosse injustice, commente Fadila Nasri. Il y a eu plusieurs auditions dont celle d’une ex-compagne qui parle de violences, de contrôle économique sévère, d’emprise. Comme pour ma sœur ». Selon elle, le parquet s’est appuyé sur les expertises psychiatriques qui font état d’une « fragilité antérieure » d’Odile, faisant notamment référence au décès de leurs parents lorsque la fratrie était encore jeune. « Ça m’a blessé, car les témoignages de ses anciens collègues et fréquentations démontrent le contraire », assure Fadila.
« On est face à un angle mort du féminicide »
Pour Me Zagury, cette décision de la chambre de l’instruction montre la complexité de traiter ces affaires de « suicide forcé ». « Sauf dans l’évidence probatoire, il est difficile de caractériser l’emprise psychologique », admet-il. Une difficulté confirmée par Yaël Mellul, avocate pénaliste à l’origine de ce décret. « Malgré les indices graves et concordants allant dans le sens du suicide forcé dans l’affaire d’Odile, les magistrats ont buté par manque de formation », soutient-elle. Pour elle, depuis l’adoption du décret en 2020, « il n’y a eu aucune volonté politique pour faire avancer ces dossiers sur le suicide forcé. On est face à un angle mort du féminicide ».
Seules deux peines ont été prononcées jusqu’à présent pour harcèlement moral ayant conduit au suicide de son ex-compagne : une première en 2023, en Seine-et-Marne, où le prévenu a été condamné à sept ans de prison. La seconde est une peine de neuf ans, en novembre 2024 à Belfort, finalement réduite à six ans en appel en avril dernier. L’avocate ne perd cependant pas espoir. « Dans la sphère du travail, la responsabilité employeur est déjà reconnue dans certains cas », souligne-t-elle.
Une lueur d’espoir partagée par Fadila Nasri. Car si les possibilités judiciaires sont maintenant limitées pour l’affaire de sa soeur, elle se dit toujours déterminée. « Son dossier laisse une trace judiciaire. Puis il y a toujours la possibilité qu’il y ait une réouverture d’enquête si de nouveaux éléments surgissent », conclut-elle.