« Ouvrez! Police… ». Silence ou presque.
Derrière cette porte, on prostitue une enfant. À 15 ans, on est toujours une enfant. C’est l’UNICEF qui le dit. La prostitution, à cet âge-là, encore plus, on n’y consent pas. Les victimes mineures sont sous emprise. C’est le code pénal qui l’énonce en aggravant les peines.
Dans une société effarée de découvrir que Gisèle Pélicot, une femme d’un certain âge peut être droguée, offerte à des inconnus, violée par son propre mari, où cette victime d’actes ignobles a été figée en héroïne (malgré elle) de la lutte contre les violences faites aux femmes, on s’émeut peu (ou pas) des traumatismes subis par Lucie, 15 ans, dont le corps frêle a été souillé par plusieurs hommes.
Une fugue qui tourne au cauchemar
Le mercredi août, les policiers de la brigade anticriminalité de Toulon pénètrent dans un logement situé près de la Maison des têtes, tout juste située derrière l’hôtel de ville de Toulon. Il est midi. Ils découvrent une chambre Airbnb transformée en lupanar.
Deux clients sont interpellés. Ils ne seront pas poursuivis d’après nos informations (le parquet n’a pas souhaité communiquer sur ce dossier impliquant une mineure). Une ado de 15 ans et une jeune majeure de 18 ans sont découvertes, surveillées par un jeune proxénète armé d’un couteau.
Effrayée, Lucie, qui doit faire sa rentrée cette semaine au collège, est conduite au commissariat central pour être entendue. Elle a seulement 15 ans et, depuis un an, sa vie a pris une tournure plus sombre. Fille de parents séparés, elle est entrée en rébellion.
En plein été, elle a fugué à des centaines de kilomètres de chez elle, pendant plusieurs semaines, pour rejoindre un garçon « rencontré » sur les réseaux sociaux.
Une mère qui se bat
Il lui a promis la belle vie dans le sud, le soleil, la plage, l’argent facile. Elle y a cru. Elle a rejoint Paris, a pris un train pour Toulon en plein été pour s’amuser pendant que ses parents craignaient le pire.
« Elle l’a fait car elle le voulait bien ». « Que font les parents ? ». « Elle prend du bon temps en vacances à Toulon ». Ces commentaires, la maman de Lucie les a entendus. Avec rage.
Sa fille n’est pas une adulte. Physiquement, malgré ses faux cils, ses ongles manucurés et son maquillage, elle a l’air d’avoir 12 ans. « Depuis un an, je ne peux plus travailler. Je m’occupe de ma fille, sans que l’on puisse vraiment m’aider. Je ne peux pas la laisser seule ».
Naïve, certainement fragilisée psychologiquement, en quête d’attention, Lucie s’est réfugiée dans son autre monde: les réseaux sociaux. Son téléphone est devenu son troisième poumon. Un véritable danger pour des jeunes filles. Elle a mis un pied dans l’adolescence en vacillant. Elle prend le virtuel pour du réel.
« Bien évidemment que je fais tout agir, pour protéger ma fille. Je l’aime. J’ai demandé l’aide des services sociaux, je suis allée aux urgences quand elle fait des crises de nerfs. A part la sédater pour qu’elle comate durant trois jours, il n’y a eu aucune solution pérenne. Il faudrait une rupture radicale avec son quotidien ».
Le placement en foyer? « Elle a fugué et j’ai dû batailler pour qu’on la recherche ».
Des jours en enfer
Comme le mentionne Claude Ardid dans son livre-enquête « À Coeurs perdus » (Editions Mareuil), les proxénètes viennent récupérer les filles mineures devant les foyers, où – comme nous l’a confirmé le conseil départemental du Var (en charge des foyers de protection de l’enfance)-, il n’existe pas de moyens de coercition, ni de couvre-feux. Ce ne sont pas des prisons.
À bout de solution, à bout de force, cette maman remonte le fil de plusieurs jours d’enfer. Jusqu’à ce jour où elle a pris le train pour rejoindre la ville-préfecture, pour qu’on l’écoute. Coïncidence, c’est ce même jour où des policiers démantèlent un site de prostitution.
« On m’a téléphoné pour me dire que l’on avait retrouvé ma fille. C’était un soulagement, mais en même temps ce que je craignais était arrivé: la prostitution ». Les membres de l’ARPD sont effondrés, mais malheureusement presque pas étonnés.
« La prostitution des mineurs est un fléau, dans toutes les couches de la société. Regardez, à Toulon, on prostitue une mineure dans un silence assourdissant », ne décolère pas Karine Ragot.
Le soutien de l’ARPD
Sur place, elle est épaulée par Roger, un ancien gendarme, bénévole de l’association de recherches des personnes disparues (ARPD), ces volontaires que les familles appellent lorsqu’elles se trouvent dans l’impasse face à des fugues et des disparitions.
Ce sont eux qui participent notamment à l’émission Appel à témoins sur M6 pour retrouver des disparus, pour élucider des cold case. « On n’est pas là pour se substituer à la justice, mais on peut compter sur des bénévoles qui ont une certaine expérience comme Roger », explique Karine Ragot, la vice-présidente régionale de l’ARPD.
Prestations et tarifs envoyés dans un texto par erreur
Quelques jours auparavant, le père, la grand-mère et des amis de Lucie ont reçu un étrange message groupé où il était question de prestations et de tarifs. « Je n’avais plus de doute sur ce qu’il était en train de se passer. J’ai écrit au procureur de la République de Toulon. J’ai reçu un mail m’indiquant que les personnes compétentes en prendrait connaissance. Mais… rien ».
En lisant Var-matin, elle apprend que le parquet de Créteil est compétent sur ce dossier. « J’avais l’impression d’être baladée, pas prise au sérieux ».
Elle tient debout cette maman native du Sud, on ne sait pas comment. Une fois dans les locaux du commissariat, elle va être entendue. Pas plus de vingt minutes, en présence de sa fille. « J’avais des choses à dire, mais pas en présence de ma fille que je n’avais pas vu depuis des semaines! ».
« Je voulais porter plainte pour séquestration et enlèvement »
Elle voulait porter plainte pour enlèvement et séquestration, on lui répond que les poursuites pour proxénétisme c’est suffisant, explique-t-elle. Elle demande un examen médico-légal, gynécologique et une expertise psychologique pour sa fille. « On m’a dit de l’emmener moi-même aux urgences ».
La seule chose à laquelle cette mère pense c’est de la mettre à l’abri et de l’éloigner le plus rapidement de Toulon. « Je veux rentrer », ne cesse de répéter Lucie. Devant le commissariat de Toulon, loin de chez elles, mère et fille ne savent plus quoi faire. « C’est débrouillez-vous! », ne décolère pas Mme Ragot. Elles seront accueillies dans une famille avant de reprendre le train le jeudi matin.
Le vendredi, la mère de Lucie reçoit un appel du commissariat. « On m’a dit que je pouvais venir à l’audience. Je suis à plus de 800 km. Je n’y comprends rien ».
Un renvoi du proxénète présumé en… comparution immédiate
Le proxénète présumé, un garçon de 21 ans, fait alors l’objet d’un renvoi devant le tribunal correctionnel de Toulon, dans le cadre d’une comparution immédiate pour proxénétisme aggravé, port d’arme blanche et refus de donner le code d’accès à son téléphone.
Tout a dû être géré, pour les proches, à la va-vite, au milieu d’une situation dramatique.
Le vendredi 29 août 2025, le prévenu n’a pas été jugé. Il a nié les faits et il a demandé un délai pour préparer sa défense
Des observations de l’avocat: » Je pensais que le dossier n’était pas complet »
Aux intérêts de la jeune victime et grâce à la réactivité du barreau de Toulon, Me Lucas Mas a fait des observations sur la procédure de comparution immédiate. « En découvrant le dossier, j’ai pensé qu’il manquait des pièces de procédure, qu’il n’était pas complet ».
Il a relevé qu’un tel dossier « très grave » nécessite l’ouverture d’une information judiciaire. Des téléphones ont été saisis, il faut les expertiser selon lui, pour comprendre l’ampleur de l’affaire, pour identifier les clients et les poursuivre.
Un site Internet aurait diffusé les « petites annonces » mettant en lien les adultes avec les deux jeunes filles.
A-t-elle été droguée? A-t-elle pris des substances illicites? Aucun prélèvement n’a été effectuée.
« Il s’agit de faits de viols sur une mineure! Ce n’est pas la première fois que le mis en cause est entendu pour proxénétisme ».
Un complément d’enquête évoqué
Dans la salle d’audience, d’autres avocats s’émeuvent. Me Morgan Daudet-Maginot, avocat d’une association de lutte contre le proxénétisme demande, lui également, parle de l’importance d’un complément d’enquête.
La prochaine audience a été fixée au mercredi 8 octobre par le vice-président du tribunal judiciaire Philippe Plantard. Il a prononcé un mandat de dépôt et le placement en détention provisoire dans un centre pénitentiaire.
L’individu a été écroué jusqu’à son jugement sur les faits.
La maman de Lucie fait tout de son côté pour que sa fille retrouve la vie d’une collégienne de 15 ans.