Peut-on sanctionner un journaliste pour des propos tenus en privé ? À Radio France oui, semble-t-il. Enfin, cela dépend de qui l’on parle. Quand l’affaire concerne le Grand Méchant Loup Rachida Dati, la direction de la radio de service public a tôt fait de se coucher et de montrer le ventre.

France Inter a suspendu d’antenne « à titre conservatoire » son éditorialiste politique Thomas Legrand, vendredi soir, suite à la diffusion par un mensuel d’extrême droite, L’Incorrect, d’une vidéo prise à l’insu des participants dans un restaurant parisien, montrant une discussion entre lui, son confrère Patrick Cohen et des responsables socialistes, Luc Broussy, président du conseil national du PS et l’eurodéputé Pierre Jouvet. Il y était question de la ministre de la Culture, Rachida Dati et de sa candidature aux élections municipales à Paris en mars 2026 : « Nous, on fait ce qu’il faut pour Dati, Patrick et moi », assure Thomas Legrand dans la vidéo.

La ministre a immédiatement dégainé sur X, demandant que des mesures soient prises contre les deux chroniqueurs. « Des journalistes du service public et Libération affirment ” faire ce qu’il faut ” pour m’éliminer de l’élection à Paris. Des propos graves et contraires à la déontologie qui peuvent exposer à des sanctions. Chacun doit désormais prendre ses responsabilités. » L’éditorialiste « ne sera pas à l’antenne ce dimanche », a donc déclaré la radio. Interrogé par l’Agence France-Presse, Legrand s’est expliqué : « Mon travail est de combattre les mensonges de Mme Dati et son attitude face à la presse. Je ne la combats pas politiquement. »

Ce n’est pas la première fois que Rachida Dati a maille à partir avec un chroniqueur du service public. En juin dernier, son passage à l’émission C à vous de France 5 avait tourné vinaigre. Patrick Cohen l’avait interrogée sur ses démêlés judiciaires, car elle est renvoyée devant le tribunal correctionnel pour corruption et trafic d’influence, soupçonnée de lobbying illégal au Parlement européen au profit de l’ex PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn. Furieuse, Rachida Dati avait répliqué en menaçant son intervieweur de déclencher une enquête contre lui à la suite d’accusations de harcèlement au travail relayées par Mediapart. Ambiance.

Ce n’est malheureusement pas la première fois que la radio de service public, sous cette direction, sanctionne a priori, sans délai ni conciliation, un de ses collaborateurs. Mais pour des propos tenus en privé, c’est assez rare. Et de plus en plus inquiétant quant à son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Mais sans doute n’est-ce que pour montrer patte blanche dans la perspective d’une holding qui mettrait tout entier entre les mains de l’exécutif.