Par

Thomas Bernard

Publié le

7 sept. 2025 à 16h32

Dictaphone et cahier à la main, Elisabeth de Gentil-Baichis arpente les couloirs du service oncologie et de soins palliatifs du CHU de Nantes. Elle ne porte pas la blouse blanche mais elle rencontre les patients de l’hôpital. Elle ne prodigue pas de soins médicaux, elle est une oreille attentive. Son outil de travail n’est pas le stéthoscope, le sien ce sont les mots. Elisabeth est biographe hospitalière. La biographie hospitalière permet à une personne atteinte d’une maladie grave de raconter son histoire à un professionnel formé et de recevoir gratuitement son récit. La biographie est proposée à des patients « où il n’y a plus d’espoir de guérison ». Un métier récent et peu connu qui apporte au-delà des soins, un temps de transmission. Découverte.

Des salles de la classe à la biographie

Peu connue du grand public, la profession de biographe hospitalière a été créée en 2007 par Valérie Milewski, à l’hôpital de Chartres. Une vingtaine de biographes hospitaliers sont en exercice dans des établissements de santé en France. Un diplôme universitaire (DIU de biographie hospitalière) a été lancé lors de la rentrée 2025 à la Faculté de Médecine et Maïeutique de Lille, en partenariat avec l’Université de Strasbourg.

Elisabeth fait partie de l’association Passeurs de mots et d’histoires, fondée en 2010. Une association qui a formé une cinquantaine de biographes hospitaliers en France.

Institutrice en primaire pendant quatre ans, Elisabeth décide de changer de voie professionnelle après « un événement difficile dans sa vie ».

Déposer quelque chose par écrit permettait que le fardeau soit moins lourd à porter, j’ai découvert les bienfaits de l’écriture. C’est ce qui m’a donné envie d’aller vers un métier tourné vers l’écriture.

Elisabeth de Gentil-Baichis
Biographe hospitalière à Nantes

Elle laisse l’animation des salles de classe pour vivre la solitude de l’autrice, en écrivant des livres (deux ont été édités) puis en devenant biographe à partir de 2020. Après avoir suivi une formation en 2023, l’écrivaine se spécialise dans la biographie hospitalière.

« Pendant un an, j’ai été bénévole à la maison de Nicodème pour découvrir l’accompagnement en soins palliatifs. Je voulais voir comment ça résonnait en moi, si j’étais à l’aise et si c’était ce que je voulais. Ce qui était le cas », explique la Parisienne d’origine.

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Pour se lancer, l’ancienne institutrice a dû trouver des financements auprès de mécènes et expliquer sa démarche à des professionnels de santé. Une convention est signée avec l’hôpital en juillet 2024.

Depuis l’automne 2024, la biographe hospitalière, en concertation avec le corps médical, propose aux personnes en situation palliative de se raconter puis de recevoir gracieusement un livre relié.

Pour exercer sa profession (rétribution et impression du livre), Elisabeth est financée par deux donateurs principaux : la fondation SantéDige et par l’association Leucémie Espoir Atlantique Famille (LEAF). « Il faut qu’on trouve, en général, à peu près 25 000 euros par an », note la biographe.

« Un pas de côté par rapport à la maladie »

Un professionnel de santé présente la démarche aux personnes gravement malades hospitalisées. L’équipe soignante fait l’intermédiaire avec la biographe. Si la personne accepte, Elisabeth rencontre le patient dans sa chambre d’hôpital ou à son domicile.

Au cours des échanges, l’écrivaine est « dans l’écoute et l’accompagnement » tandis que la personne dicte son récit tout en se replongeant dans des souvenirs. « Rires », « émotions » et « moments de légèreté » rythment les interactions entre la biographe et les patients.

Un temps de transmission au cours duquel « on se recentre sur soi ». « Je propose aux patients un projet de vie pour faire un pas de côté par rapport à la maladie », confie Elisabeth.

La chose la plus importante, c’est de rester très fidèle à la parole de la personne, notre travail, c’est de reconstituer un puzzle. Souvent, les informations arrivent un peu dans tous les sens. Notre but en tant que biographe hospitalier : c’est de passer du langage oral au langage écrit, et de mettre le récit en forme.

Elisabeth de Gentil-Baichis
Biographe hospitalière à Nantes

La biographie suit le fil chronologique de la vie, narrée par l’interlocuteur. Ce dernier s’approprie le récit. « C’est la personne qui est l’auteur. Je ne signe pas le livre, c’est son nom qui apparaît », précise la biographe.

Pour conclure la narration, Elisabeth propose au patient d’écrire son portrait chinois pour terminer le « récit de façon légère ». À travers les ouvrages, les biographes hospitaliers permettent  « de dire au revoir » aux proches.

Lors de son entretien, divers coloris du livre sont présentés au patient. « Dans l’association, on veut que ce soit un très beau livre, parce que c’est un livre qui pourra être transmis de génération en génération. Et qui représente la valeur de la vie de la personne », ajoute la passionnée des mots.

Un livre relu par les personnes, si elles en ont les capacités. Après sa rédaction, le manuscrit est imprimé et fabriqué par un relieur d’art. L’ouvrage est offert à la personne gravement malade ou un destinataire qu’elle aura désigné, si elle est décédée.

Une aventure forte en émotions

« Valéria Milewski dit toujours « ne s’attendre à rien pour être prêt à tout ». C’est vraiment quelque chose que j’ai en tête tout le temps, parce que quand on rentre dans une chambre, c’est une aventure qui commence et on ne sait pas du tout ce qui va se passer », témoigne Elisabeth.

Une aventure forte en émotions, au cours de laquelle la professionnelle est suivie par une psychologue une fois par mois. « Dans mon métier, les deux moments les plus émouvants sont : quand j’apprends le décès de la personne et puis, le moment où je remets le livre aux familles », livre la biographe.

J’écoute la vie. C’est pour cela que le moment d’émotion c’est quand j’apprends que la vie s’arrête et que je perçois la tristesse des personnes endeuillées. Mais mon travail ne concerne que la vie.

Elisabeth de Gentil-Baichis.

En dix mois d’exercice, l’autrice a accompagné 23 personnes. Un accompagnement ponctué de « rencontres incroyables ». Épanouie, Elisabeth de Gentil-Baichis qualifie, avec le sourire, sa profession de biographe hospitalière comme : « le plus beau métier du monde ».

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