Qui se souvient du rapport Draghi? Il y a exactement un an, il sonnait l’alarme sur le déclin dangereux de la compétitivité européenne. Il avait fait beaucoup de bruit à l’époque. Mais depuis? Rien! Il a été rapidement oublié, les politiques étant passé à autre chose. Pourtant, il reste d’actualité et résonne particulièrement dans la France de 2025 confrontée à la crise de la dette. Car si celle-ci résulte d’une dépense excessive, elle s’explique aussi par une capacité déclinante à créer de la richesse.
Electrochoc. Cri d’alarme. Danger existentiel. Le moins que l’on puisse dire est que le rapport sur la compétitivité de l’Europe remis le 9 septembre 2024 par Mario Draghi, ancien directeur de la banque centrale européenne (BCE), à la présidente de la commission européenne, avait fait parler de lui. Il marquait une salutaire prise de conscience sur le déclin de l’Europe, dont il identifiait bien les symptômes.
Il rappelait d’abord une évidence factuelle: l’Europe est confrontée à un ralentissement de la croissance depuis le début des années 2000, principalement en raison d’un retard de productivité, creusant l’écart économique avec les États-Unis et la Chine. Elle est désormais confrontée à des défis liés aux changements démographiques, à la perte de ses principaux fournisseurs d’énergie et à son retard technologique. Pour maintenir la croissance et répondre aux nouveaux besoins d’investissement, l’Europe doit stimuler la productivité. Sans cela, elle risque de compromettre ses ambitions en matière de technologie, de climat, d’indépendance et de bien-être social. Pour préserver ses valeurs fondamentales, concluait le rapport, elle doit procéder à des changements radicaux afin d’accroître la croissance et la productivité.
La recommandation la plus importante du rapport concernait l’innovation: dans ce domaine, il est crucial que l’Europe recentre ses efforts sur la réduction du fossé qui la sépare des États-Unis et de la Chine, en particulier dans le domaine des technologies avancées. Il est vrai que notre retard dans toutes les grandes technologies nouvelles, des biotechnologies à l’IA, est alarmant. L’Europe ne possède pratiquement aucun champion dans ces domaines, à quelques notables exceptions près (ASML par exemple).
Bien-sûr, le rapport avait des lacunes très fortes, comme je l’avais souligné à l’époque, notamment pour les pistes de solutions qu’il proposait qui tenaient, en gros, de la bonne vieille politique industrielle avec ses ‘grands’ plans, ses ‘grands’ financements, et son focus sur la R&D sans que soit prononcé le mot d’entrepreneuriat. Mais enfin, le cri d’alarme était là.
Depuis la publication du rapport, pourtant, c’est peu dire que la situation ne s’est pas améliorée. Les pistes qu’il avançait ont elles été suivies? Quasiment pas. Selon une récente analyse du European Policy Innovation Council (EPIC), environ 10% seulement ont été mises en œuvre. On avait annoncé Sainte Geneviève, on a finalement eu Cassandre.
Plus de modèle social sans innovation
Le déclin de l’innovation en Europe est en soi un problème fondamental car il n’y a pas de puissance sans économie forte, et pas d’économie forte sans innovation. Mais ce déclin a aussi des conséquences très concrètes. À l’heure des périls géopolitiques, l’Europe doit se réarmer rapidement et fortement. Avec une économie déclinante par manque de compétitivité, elle n’en aura tout simplement pas les moyens.
Elle n’aura pas non plus les moyens de maintenir son système social. C’était en effet un des mérites du rapport que de rappeler le lien entre celui-ci et l’innovation. Bien souvent, la défense de la productivité et de la compétitivité semble abstraite, voire bassement matérielle. C’est un truc d’économistes ou pire, de capitalistes, alors que l’UE se veut idéaliste; elle travaille sur le social et la qualité de la vie, pas sur la compétitivité – honni soit qui mal y pense! Or, nous ne pourrons conserver notre modèle social si nous continuons notre déclin en matière économique, car nous ne pourrons plus le financer. C’est l’urgence de cette prise de conscience que le rapport soulignait. C’est aussi parce qu’elle a un modèle social et une qualité de vie à défendre que l’UE doit redevenir innovante et compétitive.
L’enjeu face au mur de la dette
L’avertissement du rapport résonne tout particulièrement dans la France de 2025, notamment dans le débat actuel sur la dette et les déficits des régimes sociaux. En substance, l’Etat français vit au-dessus de ses moyens. Il y a donc deux leviers d’action: soit réduire son train de vie, soit créer plus de richesse. Le débat s’est principalement focalisé sur le premier levier: comment trouver des sources d’économie directement (en réduisant des budgets ou des prestations) ou indirectement en taxant plus. Le second levier a été très peu évoqué. Il est pourtant fondamental. Car comme le soulignait récemment Dominique Reynié, il n’y a pas de niveau de protection sociale qui soit trop bas ou trop haut. Il y a simplement le niveau de protection sociale qu’on peut se payer. Plus un pays est riche, plus il peut être généreux dans sa protection sociale. Plus il s’appauvrit, moins il peut l’être. Or nous nous appauvrissons par manque de compétitivité et d’innovation.
Définir une véritable politique de l’offre
La principale leçon du rapport Draghi, plus que jamais d’actualité, est donc que la création de richesse doit redevenir la priorité de la France et de l’Europe. Il s’agit de définir une véritable politique de l’offre, dans le langage des économistes. Face aux défis géopolitiques et sociaux actuels, cette orientation n’est plus seulement souhaitable, elle est devenue indispensable, et urgente.
✚ Pour aller plus loin, lire mes articles précédents: 📄Compétitivité de l’Europe: l’occasion ratée du rapport Draghi, 📄Et si l’optimisme était une bonne idée? Le pari de Pascal de l’innovation, 📄Face aux attaques d’Elon Musk et de Donald Trump : la réponse de l’Europe doit être l’innovation.
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