L’éditorialiste a été rapidement suspendu “à titre conservatoire” par France Inter, après la publication d’une vidéo le mettant en cause. Une opération gagnante pour la droite et l’extrême droite, et inquiétante pour la défense du journalisme.
Thomas Legrand a été filmé à son insu par un média d’extrême droite lors d’une rencontre informelle avec son collègue Patrick Cohen et deux cadres du PS. Photo Sophie Carrère pour Télérama
Publié le 08 septembre 2025 à 18h00
Mis à jour le 08 septembre 2025 à 18h22
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Après la publication de la vidéo du magazine d’extrême droite l’Incorrect et la suspension « à titre conservatoire » de Thomas Legrand, de nombreuses questions demeurent. Pour rappel : le média d’extrême droite a publié vendredi des vidéos non autorisées d’une discussion informelle entre deux journalistes stars du service public, Thomas Legrand et Patrick Cohen, et deux cadres du Parti socialiste. Une phrase ambiguë, prononcée par Thomas Legrand, a allumé la mèche : « Nous, on fait ce qu’il faut pour Dati, Patrick [Cohen] et moi. »
Cette affaire interroge la stratégie de France Inter, et sa porosité aux attaques de la « bollosphère » (Europe 1, CNews, le JDD) et de l’extrême droite. Thomas Legrand a été suspendu rapidement, fixant la focale sur la radio publique. Tout en critiquant des méthodes « illégales et déloyales », la directrice de France Inter, Adèle Van Reeth, dans un courrier adressé aux équipes, justifie ce choix en précisant que ces « propos peuvent prêter à confusion et alimenter la suspicion quant à l’utilisation de notre antenne à des fins partisanes ». Quant à Patrick Cohen, plus en retrait dans les vidéos, la direction d’Inter n’a pas jugé qu’il méritait le même traitement. Parallèlement, la SDJ de Radio France a apporté son soutien aux deux journalistes. La direction de Radio France, qui a fait du lien de confiance avec les auditeurs (de plus en plus nombreux) son mètre étalon, n’a visiblement pas souhaité laisser place au doute ou être prise en défaut. Thomas Legrand reprendra-t-il l’antenne ce dimanche ? D’après nos informations, il aurait présenté, ce matin, à la rédaction d’Inter, ses excuses pour les conséquences éventuelles de cette affaire.
Déstabilisation du service public
Dans la foulée, la machine de guerre médiatique de Bolloré s’est mise en branle : l’affaire est largement commentée par la bollosphère. Elle vient renforcer la stratégie de déstabilisation politique de l’audiovisuel public, projet idéologique et industriel, pour imposer le narratif de l’extrême droite. Ces vidéos seraient la preuve par l’image des arguments martelés à l’antenne depuis plusieurs années : l’audiovisuel public pratiquerait l’absence de neutralité, la collusion et le manque d’impartialité — tout cela avec l’argent du contribuable. Peu importe l’absence de contexte, la marge d’interprétation des séquences, les explications de Thomas Legrand et de Patrick Cohen qui dénoncent la méthode — ils ont annoncé vouloir porter plainte pour atteinte à l’intimité de la vie privée —, tout en expliquant que ces rencontres informelles font partie de l’exercice journalistique.
Parallèlement, cette séquence est un parfait carburant pour les ennemis politiques du service public : ces vidéos seraient une preuve de son dévoiement au profit de quelques-uns. Marine Le Pen appelle sur X à sa privatisation, tandis que Jean-Luc Mélenchon, fidèle à sa position antisystème, tweete contre « la caste [qui] choisit ses masques politiques ». Elle renforce Rachida Dati dans son bras de fer avec le service public, avec en toile de fond son projet de loi de holding de l’audiovisuel public, très contesté à Radio France. La ministre de la Culture et de la Communication a fustigé, vendredi soir, sur X « des propos graves et contraires à la déontologie, qui peuvent exposer à des sanctions ». Le député Jérémie Patrier-Leitus (Calvados, Horizons), vice-président des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et fervent partisan de la réforme, a saisi l’Arcom, qui va examiner l’affaire.
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Quels effets une telle polémique peut-elle avoir sur les auditeurs et les téléspectateurs ? Alors que la confiance dans les médias n’a jamais été aussi faible, elle renforcera probablement l’opinion des convaincus, sèmera peut-être le doute chez les sceptiques, ceux qui peuvent basculer d’un côté ou de l’autre. Chez les plus radicaux, elle confortera l’idée que tous les coups sont permis dans la guerre culturelle façon Trump.