Globalement, ces dernières années, environ 50 000 nouveaux cas annuels de cancer broncho-pulmonaire sont diagnostiqués en France. En 2020,12,6 % des cancers du poumon concernaient des personnes non-fumeuses, contre 7,2 % seulement en 2000 (étude KBP-2020).
En plus d’une progression inquiétante, « on constate que 80 à 90 % de ces cancers du poumon dits ‘du non-fumeur’ surviennent chez les femmes », précise le Pr Nicolas Girard, oncologue et pneumologue à l’Institut Curie (Paris).
Pourquoi une telle importance parmi le sexe féminin ? « Les raisons précises sont mal connues, mais un rôle possible des facteurs hormonaux est envisagé. »
Un certain type de tumeurs bronchopulmonaires chez le non-fumeur
Chez les personnes n’ayant jamais fumé, les cancers du poumon sont le plus souvent ce que les oncologues appellent des adénocarcinomes, c’est-à-dire des tumeurs qui se développent préférentiellement dans les alvéoles pulmonaires (petites structures où se font les échanges gazeux), plutôt que des carcinomes épidermoïdes, qui apparaissent surtout dans les bronches.
De plus, il s’agit dans la majorité des cas de cancers dits « non à petites cellules » (catégorie de cancers du poumon la plus fréquente), associés à des mutations génétiques spécifiques.
« En effet, les personnes non-fumeuses présentent souvent des ‘altérations’ particulières de certains gènes, capables à elles seules de transformer une cellule normale en cellule cancéreuse, explique le Pr Girard. C’est notamment le cas de la mutation du gène EGFR (récepteur du facteur de croissance épidermique), la plus courante : elle est retrouvée dans environ 50 % des tumeurs pulmonaires chez les non-fumeurs, contre moins de 10 % chez celles rencontrées chez les fumeurs. D’autres altérations ont également été identifiées – une quinzaine à ce stade – parmi lesquelles la mutation ALK, présente chez près de 20 % des patients, ou encore ROS1, observée chez environ 15 %. »
L’impact de la pollution de l’air se précise
La pollution de l’air contribue en partie à l’apparition des cancers du poumon chez les non-fumeurs, comme l’ont montré diverses études épidémiologiques et expérimentales.
« Son rôle peut être attribué aux particules fines présentes dans l’air, qui, en raison de leur petite taille (≤ 2,5 microns, PM2,5), sont capables de pénétrer profondément dans le parenchyme pulmonaire, indique l’oncologue. L’inhalation de particules fines (PM2,5) créerait alors un microenvironnement inflammatoire dans le parenchyme pulmonaire (le tissu fonctionnel des poumons, ndlr), favorisant le développement du cancer du poumon en stimulant l’expression de mutations déjà présentes dans ce tissu sain, comme les mutations spontanées du gène EGFR. »
Une étude française de 2024 à partir de cette fameuse cohorte KBP-2020 citée plus haut, a analysé ce lien. Pour chaque ville de résidence des 9 000 patients atteints d’un cancer broncho-pulmonaire, un niveau d’exposition aux principaux polluants (particules fines PM2,5 et PM10, ozone, dioxyde d’azote et radon) a été calculé.
Les résultats montrent notamment que les personnes vivant dans des zones fortement polluées ont un risque accru de 50 % de développer un cancer du poumon avec mutation EGFR qui est une mutation bien plus souvent rencontrée dans les cancers du poumon du non-fumeur.
Ce niveau de risque est comparable à celui du tabagisme passif (mais reste tout de même 15 fois plus faible que celui du tabagisme actif).
L’identification de signatures mutationnelles favorisées par la pollution
L’étude Sherlock-Lung (Université de Californie- San Diego et National Cancer Institute) parue en juillet dernier dans Nature confirme l’impact de la pollution, à partir des tumeurs pulmonaires de 871 patients n’ayant jamais fumé, issus de 28 sites dans le monde.
Ils ont mis en évidence un lien fort entre d’une part l’exposition à la pollution de l’air et, d’autre part, l’augmentation de certaines mutations clés de l’ADN favorisant le développement du cancer chez les non-fumeurs (EGFR, KRAS…) mais aussi de signatures mutagènes (sortes d’empreintes moléculaires des expositions passées) telles SBS4, SBS5…, en particulier celles liées au vieillissement et au développement de cancers.
« La pollution augmente le nombre total de mutations, en particulier dans les voies connues de dommages à l’ADN. Nous constatons que la pollution atmosphérique est associée à une augmentation des mutations somatiques, y compris celles qui correspondent aux signatures mutationnelles connues attribuées au tabagisme et au vieillissement », commente Marcos Díaz-Gay, co-auteur principal de l’étude (Centre national espagnol de recherche sur le cancer, Madrid).
Les chercheurs ont également observé une relation dose-réponse : plus une personne était exposée à la pollution, plus les mutations étaient nombreuses au sein de la tumeur.
L’étude montre aussi que la pollution de l’air accélère le raccourcissement des télomères, (segments d’ADN aux extrémités des chromosomes).
Or, des télomères plus courts favorisent la multiplication incontrôlée des cellules et donc l’apparition potentielle de mutations cancéreuses. Normalement, un gène (TP53) stoppe ces cellules ou déclenche leur mort, mais son action devient inefficace sous l’effet de mutations liées à une forte exposition à la pollution.
A noter : Le radon, présent dans l’environnement extérieur, et l’amiante, sont deux autres facteurs de risque chez les personnes n’ayant jamais fumé.
Sources : Etudes KBP-2020 (CPLF 2022, et 2024) ; Díaz-Gay, M., Zhang, T., Hoang, P.H. et al. The mutagenic forces shaping the genomes of lung cancer in never smokers. Nature 644, 133–144 (2025) ; Survie des personnes atteintes de cancer en France métropolitaine 1989-2018 – Poumon/Santé publique France décembre 2020 ; Swanton C et al. Lung adenocarcinoma promotion by air pollutants. Nature. 2023 Apr;616(7955):159-167 ; Interview du Pr Girard (2025).