Le rideau tombe sur quinze années d’un prix devenu incontournable. Ce jeudi 4 septembre, la photojournaliste indépendante Nicole Tung est consacrée lauréate de la 15e – et ultime – édition du Prix Carmignac du photojournalisme. L’annonce s’est faite dans le cadre du célèbre festival Visa pour l’image qui se tient à Perpignan jusqu’au 14 septembre. Son enquête, menée durant neuf mois en Thaïlande, aux Philippines et en Indonésie avec le soutien de la Fondation Carmignac, y lève le voile sur l’un des secteurs les plus opaques au monde : la pêche industrielle en Asie du Sud-Est.
Dans une région qui fournit plus de la moitié du poisson consommé sur la planète, Nicole Tung documente les coulisses d’une industrie marquée par la surpêche, la pêche illégale, les abus envers les travailleurs migrants et les ravages environnementaux.
Oranee Jongkolpath, 30 ans, vétérinaire au Centre thaïlandais de recherche et de développement sur les ressources marines et côtières de la province de Rayong, s’apprête à nettoyer une tortue ayant subi une double amputation à Prasae, en Thaïlande, le samedi 18 janvier 2025.
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© Nicole Tung pour la Fondation Carmignac
Ses images révèlent des réalités rarement visibles : des marins soumis à la servitude pour dettes en Indonésie, des ouvriers triant des cargaisons de poissons destinées aux usines de farine animale en Thaïlande, des tortues amputées par des filets abandonnés en mer… Nicole Tung met en lumière les paradoxes d’un secteur vital pour des millions de familles, mais menacé par ses propres excès.
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Des bouleversements contemporains
À travers son travail, la photographe s’attache également à révéler les dynamiques géopolitiques qui exacerbent la crise. Aux Philippines, la militarisation croissante des mers par la Chine rend des zones de pêche entières inaccessibles, privant les communautés locales de leurs revenus. En Thaïlande, les réformes introduites après les révélations sur l’esclavage en mer en 2015 risquent d’être affaiblies par le rapprochement entre le gouvernement et les grands acteurs de l’industrie.
Des dockers birmans trient différentes espèces de poissons après le déchargement d’un navire thaïlandais à Ranong, en Thaïlande, le jeudi 23 janvier 2025.
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© Nicole Tung pour la Fondation Carmignac
Née à Hong Kong et diplômée de l’université de New York, Nicole Tung s’est forgée une réputation sur certains des terrains les plus sensibles de la dernière décennie. De la guerre en Syrie aux manifestations pro-démocratiques de Hong Kong, en passant par les séquelles laissées par l’État islamique en Irak et en Syrie, elle a documenté de front les bouleversements contemporains. Pour Harper’s Magazine, le Washington Post ou le New York Times, elle couvre depuis 2022 l’invasion russe de l’Ukraine. Lauréate de nombreux prix et finaliste du Pulitzer en 2025 avec l’équipe du New York Times, elle met au cœur de son travail les visages et les histoires de celles et ceux qui subissent directement les crises.
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L’ultime Prix Carmignac du photojournalisme
Nicole Tung est la 15e et dernière lauréate du Prix Carmignac du photojournalisme.
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Contrairement aux éditions précédentes, le reportage de Nicole Tung ne donnera pas lieu à une exposition. La Fondation Carmignac a en effet choisi de suspendre le prix après cette 15e édition. Créé en 2009, ce prix prestigieux offrait chaque année 50 000 euros et une visibilité exceptionnelle à un photojournaliste engagé dans une zone de tension. Sa disparition laisse un vide considérable dans le paysage du photojournalisme, tant il avait permis de révéler des réalités souvent occultées.
Avec ce reportage, Nicole Tung signe donc non seulement un travail essentiel sur un pan invisible du commerce mondial et la surexploitation des océans, mais aussi la dernière page d’une histoire qui aura marqué la photographie documentaire.
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