Ils ont un sacré pouvoir de nuisance. Alors forcément, quand ils ne sont pas contents, les agriculteurs ne se privent pas d’actions marquantes. En déversant du fumier devant les préfectures ou les enseignes de grande distribution. En bloquant les routes avec leurs imposantes remorques. Ou en ralentissant le trafic avec leurs tracteurs lors d’opérations escargots. Bloquer, les paysans savent faire. Mais ce mercredi, la plupart d’entre eux ne devraient pas se mobiliser pour le mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre.

Sur les trois syndicats que compte la profession, seul un appelle ses adhérents à se joindre aux actions. Classée à gauche, la Confédération paysanne « se sent entièrement légitime à participer à ce mouvement », s’estimant « en convergence avec l’ensemble des colères qui s’agrègent », a expliqué son porte-parole Thomas Gibert.

Mais elle sera seule car ni la FNSEA, syndicat majoritaire classé au centre-droit, ni la Coordination rurale, plus à droite, n’appellent leurs adhérents à se mobiliser. « On n’a donné aucune consigne. S’il y a des gens qui se mobilisent, ce sera de leur initiative personnelle », assure Etienne Leray, porte-parole des Jeunes agriculteurs, la branche « jeune » de la FNSEA. « On a encore des gens en récolte. Ce n’est pas du tout le bon moment pour se mobiliser. Surtout auprès de mouvements qui nous ont causé du tort », poursuit Quentin Le Guillous, également membre des JA.

« Ces mouvements ne nous intéressent pas »

Même son de cloche chez Michel Bloc’h, président de l’Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne (UGPVB) : « Il n’y aura aucune mobilisation, rien, zéro. Les agriculteurs ne sont pas du tout dans ce mouvement-là. J’ai lu dans le journal qu’un Français sur deux soutenait le mouvement. Eh bien je n’en fais pas partie et le monde agricole, très majoritairement, non plus. Ces mouvements-là ne nous intéressent pas beaucoup », assure l’éleveur.

Dans les rangs des paysans, certains avouent même craindre ce mouvement social consistant à « tout bloquer ». « On ne s’y associe pas. Je vous avoue que je suis un peu dubitatif. Ça peut même nous faire un peu peur. Parce qu’on a des flux en continu à gérer dans nos exploitations. Et que si les routes ou si certains sites sont bloqués, ça peut nous empêcher de travailler », témoigne Jean-Alain Divanac’h, producteur de lait et de porcs et président de la chambre d’agriculture du Finistère.

« On est plutôt inquiets »

Il n’est pas le seul à partager ses craintes. « On peut comprendre les revendications, mais on est plutôt inquiets », embraye Laurent Kerlir, éleveur laitier du Morbihan qui préside la puissante chambre d’agriculture de Bretagne. La suspension des livraisons de nourriture, le moindre accès aux abattoirs ou encore le blocage de lieux stratégiques comme le marché de Rungis pourraient affecter les paysans si la mobilisation était d’ampleur. « Si cela dure une journée, ça ira. Mais si ça dure dans le temps, il faut que ces gens se rappellent qu’il y en a qui travaillent », prévient le JA Quentin Le Guillous.

Après avoir fêté la chute de François Bayrou, de nombreux militants de gauche envisagent de participer à la journée "Bloquons tout" du 10 septembre.Après avoir fêté la chute de François Bayrou, de nombreux militants de gauche envisagent de participer à la journée « Bloquons tout » du 10 septembre. - Estelle Ruiz/Hans Lucas

La profession a pourtant bien des choses à dire en cette rentrée. Chahutée par les sécheresses, la canicule estivale, les accords de libre-échange avec le Mercosur ou la multiplication des cas de dermatose nodulaire et de fièvre catarrhale ovine, l’agriculture française est en détresse. Mais elle se mobilisera donc peu mercredi, préférant attendre l’automne pour envisager des actions. En attendant, aussi, de pouvoir juger un gouvernement.