REPORTAGE – La poupée la plus célèbre du monde s’est retrouvée cet été au centre d’un affrontement idéologique contraignant un maire à se soumettre à la censure. La diffusion en plein air du film mardi soir a donc été vécue comme une forme de «résistance».
Barbie contre «barbus» ? C’est en tout cas ce que suggérait jusqu’ici la polémique autour de la diffusion contrariée du film de Greta Gerwig cet été à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Organisée par la municipalité le 8 août dernier dans la cour de l’école élémentaire Arthur Rimbaud, cité Londeau, la projection avait été annulée le jour même sous la pression et les menaces d’habitants du quartier. L’œuvre, pourtant moderne et féministe, donnait à voir, selon ses détracteurs, une image dégradante de la femme, mais surtout, était accusée de faire la promotion de l’homosexualité… Le maire communiste de Noisy, Olivier Sarrabeyrouse, qui n’était pas sur place au moment des faits, avait rapidement dénoncé une forme d’«obscurantisme» et de «fondamentalisme» et déposé plainte contre X.
Un mois après avoir ainsi cédé à la censure dictée par quelques-uns, l’édile a retenté sa chance avec une nouvelle projection en plein air mardi soir, au même endroit. Pas tant pour «provoquer» que pour faire passer un message : «Un groupe de jeunes n’a pas à décider ce qui est bon ou mauvais pour les autres». Difficile, du reste, de savoir ce qu’en pensent les habitants de cette cité enclavée que ceinturent l’A3 et la départementale 116. Pas très loquaces, certains se montrent même menaçants quand il s’agit d’évoquer la poupée blonde. «C’est clair qu’ils ne discuteront pas avec vous», confie le maire. Avant de reprendre : «Et c’est dommage !»
Un débat très politique
Dans la cour de récré, il n’y a pas foule. Une quarantaine de personnes a fait le déplacement. Bien loin des 200 à 300 âmes que la municipalité dit en moyenne accueillir lors de ces projections cinématographiques. Beaucoup d’élus, d’adjoints, de figures communistes locales. Pas de sécurité renforcée, si ce n’est la présence de quatre agents de la police municipale. «Ça va très bien se passer», assure le maire. Avant la projection, la Ville a pris l’initiative d’organiser un débat sur le thème de la censure. «Un acte de résistance», selon l’expression d’un des participants. Ces derniers doivent répondre à la question suivante : «Que faire quand la création culturelle est prise pour cible ?» Intéressant. En quelques minutes pourtant, les échanges prennent une tournure très politique. Olivier Sarrabeyrouse, qui arbore fièrement sur sa veste un drapeau de la Palestine, avait pourtant promis de ne pas jouer sur ce terrain-là. C’est raté. Le chef de cabinet du maire, qui porte quant à lui un keffieh enroulé dans sa banane en bandoulière, passe le micro aux uns et aux autres.
«Multinationales», «société de consommation», «Dieudonné »… Bingo ! Ce serait oublier l’«extrême droite». Car c’est bien sa faute si un sujet «comme il en existe plein d’autres ici» (selon les mots du maire), a été la source d’un «emballement médiatique» que personne ne semble comprendre. «L’extrême droite a envenimé le débat !», lance-t-on dans l’assemblée. Et que dire encore des «identitaires catholiques», pas épargnés eux non plus. De temps à autre tout de même, un modérateur tente de recentrer le débat. Il explique combien il est important de montrer à la jeunesse des films comme Barbie, plutôt que de la laisser se cultiver seule sur internet, où elle s’expose à des images autrement violentes.
Un problème religieux
Ladite jeunesse n’est pourtant pas nombreuse ce mardi soir. Une petite bande d’adolescents du quartier, baskets aux pieds et survêtements sur les épaules a fait le déplacement. Elle se tient un peu à l’écart, pas ravie. «Moi je ne veux pas débattre», déclare sans fard l’un de ces adolescents, âgé de seize ans. Une journaliste l’interroge : «C’est un problème religieux qui vous oppose à ce film ?». «Oui, c’est religieux», échappe-t-il, avant de se reprendre, tandis que deux femmes lui font des grands gestes consternés. «Non ce n’est pas religieux, c’est moral !», se ravise-t-il dans la seconde.
«On n’a pas envie que nos petites sœurs, même nos mères, tombent sur ce film. Elles ne sont pas habituées à ça», lâche un autre ado. Ce que ne comprend pas ce jeune homme, c’est comment la fantasque comédie américaine a été retenue par les habitants. «Il y a eu un vote via le mensuel et le site de la ville», soutient le maire. «Oui, enfin il y a eu treize votes…», corrige un opposant. En fin de compte, ils ne sont plus qu’une poignée de «résistants» lorsque la projection démarre enfin, emportant avec elle la polémique l’espace d’un moment.