La colère se réveille avant l’aube, ce mercredi 10 septembre. La journée de la veille s’était terminée sur un point d’interrogation : comment se traduirait à Rennes le mouvement Bloquons tout, né spontanément sur les réseaux sociaux pendant l’été ? Imprévisible, confessaient des sources policières. Le jour J, dès 6 h du matin, le ton est donné. Quatre lycées mobilisés, dépôt de bus paralysé… Surtout, à quatre points différents, des centaines de militants, organisés via des AG autonomes et des messageries cryptées, tentent de bloquer la rocade en mode commando.

Rapidement deux points chauds se dégagent. À ViaSilva, à l’est de la ville, les manifestants s’emparent d’un rond-point permettant d’accéder, entre autres, aux sièges d’entreprises du numérique. C’est surtout vers le sud que les regards se tournent. Environ mille personnes se réunissent au métro Henri Fréville et parviennent à déjouer le dispositif policier pour ériger des barricades, porte d’Alma. Dans le groupe, beaucoup de jeunes masqués. Certains n’en sont pas à leur première. Le mouvement du 10 septembre donne visiblement l’occasion aux groupes radicaux rennais, qui s’étaient déjà illustrés pendant la réforme des retraites, de revenir sur le devant de la scène.

Un bus incendié sur la rocade

Dans les bouchons, les automobilistes prennent leur mal en patience. Un militant remonte la file de voitures, une boîte de bonbons à la main. « Ça rend l’attente un peu moins longue, c’est important de créer du lien avec les gens car là on bloque et ça emmerde tout le monde. » Émeric, au volant, ne le contredit pas : « Je rentrais après ma journée de boulot. Je comprends le mouvement mais j’aurais aimé retourner chez moi. » Yannick aussi patiente. « J’espère qu’il n’y aura pas de violence ni dégât sinon ce sera récupéré au niveau politique. »

Espoir douché : vers 8 h 30, une épaisse fumée noire s’échappe d’un véhicule sous le pont, à quelques mètres de la barricade. Un bus du réseau Star est en flammes. Parmi les manifestants, la rumeur circule selon laquelle des galets de gaz lacrymogènes auraient provoqué l’incendie. Le récit du conducteur, qui sortait du dépôt à vide pour aller prendre son service, est tout autre. Une poignée de militants se sont introduits à l’intérieur en lui donnant l’ordre de partir. Choqué, l’homme est pris en charge. Le pont, léché par les flammes, est endommagé. Le bus est entièrement calciné.

Le bus, un véhicule thermique datant de 2011, a été entièrement ravagé par les flammes lors du blocage de la rocade sud de Rennes, près de la porte d’Alma, ce mercredi 10 septembre.Le bus, un véhicule thermique datant de 2011, a été entièrement ravagé par les flammes lors du blocage de la rocade sud de Rennes, près de la porte d’Alma, ce mercredi 10 septembre. (Le Télégramme/Romain Leroux)

À de multiples reprises, les gendarmes mobiles font usage de la force pour dégager la voie. Les manifestants sont repoussés et finissent par s’échapper par les quartiers sud. Il est environ 10 h 30. La préfecture annonce avoir totalement libéré la rocade rennaise. La portion entre la porte d’Angers et celle d’Alma reste cependant fermée dans le sens intérieur toute la journée. La circulation sur le pont est interdite aux plus de 44 t jusqu’à la fin de l’année.

10 000 à 15 000 personnes dans la manifestation

Place, à la mi-journée, à la manifestation dans le centre-ville. Deux syndicats, Solidaires et Sud-PTT, ont déposé un parcours en préfecture. L’ambiance, festive et familiale, tranche avec les images de la matinée. Entre 10 000 et 15 000 personnes battent le pavé. Un étiage haut, alors que les grandes organisations, qui peinent parfois à rassembler une fraction de ce chiffre, n’avaient pas appelé à défiler. Signe qu’à Rennes, le 10 septembre parvient à mobiliser largement, malgré des revendications floues.

Une pancarte croisée à la manifestation dans le centre-ville de Rennes, ce mercredi 10 septembre.Une pancarte croisée à la manifestation dans le centre-ville de Rennes, ce mercredi 10 septembre. (Le Télégramme/Romain Leroux)

« La nomination de Lecornu comme Premier ministre m’a poussé à venir, s’indigne Julien, 21 ans, étudiant en école d’ingénieur. Sans gouvernement, il y avait moins d’intérêt à manifester. Avec son arrivée à Matignon, on a l’impression qu’on se fout du monde. » Sylvie et Jean-Sébastien, eux, n’auraient loupé ça pour rien au monde. « La seule question, c’est quelle société on veut pour demain ? On nous parle d’austérité alors qu’on vit un chaos climatique. » L’affluence est forte mais le public qui défile reste classique à l’aune des derniers mouvements sociaux à Rennes. Loin, donc, du profil gilets jaunes, auquel certains s’attendaient.

Et maintenant ?

Classique, la suite l’est aussi : un groupe s’échappe de la place de la République pour remonter à Sainte-Anne. Là, un feu de poubelle est allumé, au milieu de centaines de manifestants, scandant des slogans sous l’œil des forces de l’ordre qui finissent par disperser la foule au gaz lacrymogène et au canon à eau. Jusqu’en début de soirée, hommes en bleu et jeunes en noir jouent au chat et à la souris dans les rues du centre historique. Au total, sur la journée, près de 36 personnes ont été interpellées.

Un feu de poubelle a été allumé à Sainte-Anne, ce mercredi 10 septembre. Comme un air de déjà-vu…Un feu de poubelle a été allumé à Sainte-Anne, ce mercredi 10 septembre. Comme un air de déjà-vu… (Le Télégramme/Claire Staes)

Et maintenant ? C’est la question à l’ordre du jour de l’Assemblée générale qui doit se tenir dans la soirée, dans le quartier de Cleunay. Une nouvelle journée de mobilisation, cette fois intersyndicale, est prévue pour le 18 septembre. Sur les boucles de discussion, certains appellent à ne pas attendre pour de nouvelles actions. L’automne sera-t-il chaud dans une capitale bretonne où le mouvement contre la réforme des retraites a laissé des traces ? Cette journée a d’emblée placé le niveau de tension au plus haut.