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Pourtant, une récente étude publiée dans le journal Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) vient tempérer cet optimisme. Des chercheurs, dont José Andrade de l’Institut Max Planck pour la recherche démographique, analysent des données massives et concluent que la longévité humaine atteint un plafond. Leurs projections indiquent qu’aucune génération née après 1938 n’atteindra une espérance de vie moyenne de 100 ans. Ce ralentissement inattendu interroge nos modèles sociaux et économiques, fondés sur une croissance continue de la durée de la vie.

Les études montrent que la longévité atteint un plafond malgré les avancées

Le XXe siècle a été marqué par des gains sans précédent en matière de durée de vie. Cette progression fulgurante était principalement portée par la réduction drastique de la mortalité infantile, grâce aux avancées de la médecine, à l’amélioration de l’alimentation et des conditions d’hygiène. Les statistiques montrent que les enfants nés dans les années 1950 avaient une probabilité bien plus faible de mourir jeunes que ceux nés cinquante ans plus tôt. Cependant, cette tendance s’est essoufflée pour les cohortes nées après 1938.

Les travaux de Héctor Pifarré i Arolas et Carlo Giovanni Camarda, s’appuyant sur la Base de données sur la mortalité humaine, démontrent que les gains deviennent marginaux. Même dans les populations les plus favorisées, comme celles du Japon ou de Hong Kong, la courbe plafonne. Les chercheurs soulignent que la quasi-élimination des décès précoces a épuisé ce levier de progrès. Désormais, l’allongement de la vie ne peut provenir que de gains chez les personnes très âgées, un défi autrement plus complexe.

La pandémie de Covid-19 a, par ailleurs, mis en lumière la fragilité de ces acquis, causant un recul notable de l’espérance de vie dans de nombreux pays, des États-Unis à l’Europe. Cet événement a rappelé que les habitudes de vie, l’accès aux soins et les inégalités restent des facteurs déterminants. La lutte contre l’obésité ou la consommation d’alcool devient donc un enjeu de santé publique tout aussi crucial que la recherche médicale de pointe.

Pourquoi les progrès scientifiques ne suffisent pas toujours à franchir le cap des 100 ans

Si la médecine a fait des miracles pour traiter les maladies chroniques, elle se heurte aujourd’hui à la biologie fondamentale du vieillissement. Le corps humain possède une résilience limitée ; ses cellules ne peuvent se diviser indéfiniment. Stuart Jay Olshansky, expert en gérontologie, explique que nous avons largement exploité les « gains faciles » et que nous faisons maintenant face à la frontière ultime de la longévité humaine. Les projections les plus optimistes butent sur cette réalité biologique.

Les données recueillies dans des pays comme la France, la Suède ou la Corée du Sud sont sans équivoque : la proportion de centenaires restera infime. Même en imaginant des percées majeures en géroscience, leur déploiement à l’échelle de toute une population prendrait des décennies. De plus, les inégalités sociales et économiques freinent la diffusion uniforme des innovations. Une étude parue dans Nature Aging (revue scientifique) confirme que l’âge maximum observé chez les femmes et les hommes stagne, malgré les avancées.

La prévention joue un rôle clé, mais son impact a ses limites. Promouvoir une alimentation saine et lutter contre la sédentarité permet de gagner quelques années de vie en bonne santé, mais pas de repousser le plafond de verre des 100 ans en moyenne. La complexité des interactions génétiques et environnementales rend toute prévision audacieuse hasardeuse. La maladie d’Alzheimer, par exemple, résiste encore largement à nos traitements.

Au-delà des chiffres : l’impact sociétal d’une vie qui s’allonge

Ce plafonnement de la longévité a des implications profondes pour les politiques publiques. Pendant des décennies, les gouvernements ont ajusté les systèmes de retraite et de dépendance sur l’hypothèse d’une augmentation constante. La stabilisation de l’espérance de vie remet en cause ces modèles. Les projections démographiques doivent être révisées, ce qui aura un impact direct sur le financement de la protection sociale.

L’enjeu n’est plus seulement de vivre plus longtemps, mais de vivre mieux. Les années gagnées ces dernières décennies ne sont pas toujours synonymes de bonne santé ; elles s’accompagnent souvent d’une prolongation de la période de dépendance et de maladies chroniques. Ce phénomène pèse lourdement sur les systèmes de soins et les familles. La population vieillissante nécessite une refonte en profondeur de l’offre médico-sociale, un défi que des pays comme l’Italie ou l’Espagne ont déjà du mal à relever.

Les inégalités face à la longévité se creusent. L’écart d’espérance de vie entre les catégories socio-professionnelles reste important, voire s’aggrave dans certains pays comme les États-Unis. Les habitudes de vie (tabagisme, alcool, obésité) et l’accès inégal aux soins de qualité sont des facteurs déterminants. Une étude menée en Australie et en Suisse montre que le niveau de revenu et d’éducation influence directement le nombre d’années vécues en bonne santé.

Vers une nouvelle approche de la longévité et de la santé publique

Face à ce constat, la priorité absolue est le virage vers la prévention. Investir dans la santé publique pour agir sur les déterminants de la santé (logement, nutrition, activité physique) est plus que jamais nécessaire. La lutte contre l’obésité infantile ou la promotion d’une alimentation équilibrée sont des leviers puissants pour améliorer la qualité de vie des futures générations, même sans repousser la limite absolue.

La géroscience, discipline émergente qui étudie les mécanismes biologiques du vieillissement, offre des pistes prometteuses. Au lieu de cibler une maladie spécifique, elle vise à ralentir le processus de vieillissement lui-même. Cependant, les chercheurs comme ceux de l’Institut Max Planck pour la recherche démographique restent prudents : ces innovations mettront du temps à faire leurs preuves et à être accessibles à tous.

L’objectif n’est donc plus une course au record de longévité, mais l’optimisation de la « santé span » – la période de vie en bonne santé. Cela implique une reconfiguration complète des politiques publiques, de l’aménagement des villes à l’organisation des soins. Des pays comme le Japon ou la Suède, pionniers en la matière, montrent que cet investissement est non seulement souhaitable mais aussi économiquement viable pour des sociétés confrontées au vieillissement de leur population.

Référence :

https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2519179122