Par

Antoine Blanchet

Publié le

11 sept. 2025 à 20h02

« Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce qui aurait pu se passer sur sa santé ». On sent une pointe de lassitude dans la voix de la présidente. Aux comparutions immédiates du tribunal de Paris, les coups de pied au visage sont une sorte de routine. Ce jeudi 11 septembre 2025, le discours est le même que pour les autres affaires de ce type. « On dit tout le temps ça dans cette enceinte et les gens s’en fichent, mais on peut tuer des gens comme ça ». Face à elle, Antoine N., piteux, ne bronche pas. « Dans quel monde vous vivez ? », lui lance la magistrate.

Trois mots pour une bagarre

Le monde du prévenu semble de prime abord le même que celui de milliers de personnes. Face au tribunal correctionnel, ce réceptionniste originaire de Sarcelles relate cette journée festive qui s’est transformée en poursuites pénales. Le 21 juin 2025, le jeune homme de 28 ans à la barbe brune s’est rendu avec des copains sur les quais de Seine pour célébrer la fête de la Musique. Au cours de la soirée, un autre groupe se pose à côté du prévenu. Un homme, sa compagne et une amie – les trois victimes du dossier.

Antoine N. s’approche alors du groupe. Il demande à l’homme s’il a un joint de cannabis à lui dépanner. À l’inverse, la victime affirme que le prévenu lui a proposé de la drogue de but en blanc. Face à l’insistance de cet individu affublé d’un T-shirt bleu, le couple et leur amie décident de partir. Ce dernier les suit. « Je viens vers lui pour lui dire qu’on va pas le déranger », affirme-t-il à la barre. « Bouge de là », lui rétorque la victime. Dans le monde du prévenu, ces trois mots s’apparentent à un casus belli. « La manière de comment il me l’a dit, ça m’a piqué », résume l’intéressé. La situation se tend. Antoine N. insulte le jeune homme puis lui met une gifle. Commence l’empoignade.

Quelques secondes devenues virales

S’il y a de l’eau dans le gaz, il y a soudain du gaz dans les yeux. La compagne de la victime vient de sortir une bombe à poivre et asperge les deux hommes. Antoine N. est aveuglé et sent qu’on lui tire sa sacoche. « Je crie à mes amis qu’on me la vole ». Il s’agit en fait de l’amie du couple. Dans sa version à elle, elle relate avoir confondu avec le sac de son ami pour y remettre son téléphone tombé au sol.

La bagarre continue entre les deux hommes. La victime et son amie tombent au sol. « À ce moment, le coup de gazeuse, mes affaires… Je disjoncte », reconnaît Antoine N.. Dans son monde à lui, la colère le pousse à prendre de l’élan puis à frapper le visage de la jeune femme. Ces quelques secondes d’extrême violence, la caméra d’un téléphone les capture. La vidéo tournera en boucle sur les réseaux sociaux. « L’homme au T-shirt bleu », va choquer des milliers d’internautes.

« Ma mère et ma sœur ne me parlent plus »

Face au tribunal, l’intéressé n’en mène pas large. Au fur et à mesure du sermon de la présidente, sa voix s’éteint peu à peu. « Vous imaginez si tout le monde faisait comme vous quand on les vole ? », lance la magistrate. « C’est futile, je sais », émet d’une voix presque inaudible l’intéressé. Il affirme à plusieurs reprises avoir honte. Il faut dire que sa vie a été marquée par cet épisode. « Ma sœur et ma mère ne parlent plus depuis la vidéo », souffle-t-il. Il nie toutefois avoir voulu pousser son adversaire dans la Seine, ce que les victimes et un témoin ont allégué aux enquêteurs.

Les deux autres comparses d’Antoine N. ne sont pas plus fiers de leur soirée. Le premier est suspecté d’avoir mis une balayette à l’amie du couple. Le second de l’avoir agressée avec l’objet de défense tombé au sol. Tous deux nient ces violences. « J’ai juste pris la sacoche. J’ai pas eu de contact avec ses membres », affirme l’un. « J’étais dans une démarche de séparer », assure l’autre.

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Des victimes encore choquées

Si cette demi-minute de pugilat a choqué les réseaux, elle a aussi durablement marqué les victimes. L’homme et son amie frappés par Antoine M. se sont vus octroyer tous les deux cinq jours d’incapacité totale de travail. Le retentissement psychologique serait considérable, affirme leur avocate.

Côté parquet, les faits sont limpides. « Ce sont des violences gratuites qui n’ont pas lieu d’être lors d’une fête de la musique », fustige la procureure. Elle veut une peine ferme pour Antoine N. Ce dernier n’est pas inconnu de la justice. Il a été condamné en 2024 à 10 mois de prison avec sursis pour trafic de drogue. Une peine d’un an de prison, dont six mois avec sursis, est requise contre lui. Pour ses deux comparses, cinq mois avec sursis sont demandés par la magistrate.

Face à la juge et ses deux assesseurs, Me Maximilien Fourt, l’avocat d’Antoine N. a fait de la bombe au poivre le sel de sa plaidoirie. « On a quelqu’un qui se met dans cet état, car il était aspergé par une gazeuse. Le poivre lui monte un petit peu à la tête », affirme le conseil. « Vous avez quelqu’un qui a été violent pour la première fois de sa vie », continue le pénaliste.

« On a évité le drame »

Finalement, le tribunal condamne Antoine N. à 18 mois de prison, dont neuf avec sursis probatoire avec obligation de soin, de travail et d’indemniser les victimes. La partie ferme s’aménagera sous le régime du bracelet électronique. Le prévenu était à la limite d’avoir cette possibilité, car le sursis de sa précédente peine a été révoqué de trois mois. « Vous n’avez jamais été aussi prêt d’avoir une peine de prison. Quand on voit comment vous êtes devenu une machine à frapper, pour des motifs qu’on ne comprend pas, on s’est posé la question. On a évité le drame, monsieur. Et pas grâce à vous », lance la présidente en guise d’avertissement. Les deux autres prévenus ont été condamnés à 800 euros d’amende.

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