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C’était l’actualité brûlante de ce mercredi 10 septembre : le mouvement « Bloquons tout », né sur les réseaux sociaux et sans leader identifié, qui a mobilisé près de 200.000 personnes selon le ministère de l’Intérieur, 250.000 selon la CGT. Des centaines de cortèges, barrages et blocages ont eu lieu dans les grandes métropoles comme dans les petites villes.
« Pour tenter de gagner le Graal de la meilleure audience devant TF1 »
Universités fermées, routes coupées, transports perturbés, gares bloquées : le pays a connu une journée sous tension, au lendemain de la nomination de Sébastien Lecornu en tant que Premier ministre. Plusieurs incidents ont éclaté à Lyon, Rennes ou Paris, où la police a procédé à des centaines d’interpellations. En fin de journée, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau s’est félicité de « l’échec de ceux qui voulaient bloquer le pays », dénonçant un mouvement « détourné par l’extrême gauche et l’ultra gauche ».
Dans ce contexte explosif, le traitement réservé à cette mobilisation par le « 20 Heures » de France 2 a provoqué la colère de la CGT de France Télévisions. Dans un communiqué au ton acéré, le syndicat dénonce un journal qui « tourne le dos à cette population française qui continue de défendre le droit légitime de manifester ». Selon lui, la direction de l’information aurait sacrifié l’équilibre journalistique sur l’autel de la course à l’audience : « Pour tenter de gagner le Graal de la meilleure audience devant TF1, la direction de l’information de France Télévisions semble avoir misé sur tout ce qu’il y a de plus rance dans le spectre des opinions politiques. »
Le syndicat s’en prend directement au traitement de la journée du 10 septembre : « Alors que selon les instituts de sondage, près d’un Français sur deux soutient le mouvement ‘Bloquons tout’, le journal de Léa Salamé occulte totalement les raisons de la colère populaire, pour ne traiter cette journée que sous l’angle du maintien de l’ordre et des perturbations à venir pour la France qui travaille. »
Une couverture jugée biaisée et dangereuse : « Le sujet sur le dispositif policier mis en place fait un étalage des moyens de répression que pourront utiliser les policiers, comme s’ils n’avaient en face d’eux que des casseurs, des voyous et des black bloc, et non des citoyens avec des revendications légitimes. France 2 se met ainsi explicitement du côté de la police, quitte à mettre en danger ses équipes qui couvriront les manifestations. »
L’absence de rappel du bilan des violences policières, régulièrement dénoncées par des ONG et des syndicats, est également pointée du doigt : « Dire que ‘les forces de l’ordre ont appris des gilets jaunes à être plus efficaces’, sans rappeler que depuis que Macron est au pouvoir la répression policière n’a jamais été aussi violente, avec des dizaines de personnes mutilées et éborgnées, et même trois personnes tuées depuis 2015, c’est tourner le dos à cette population française qui continue de défendre le droit légitime de manifester. »
« Félicitations pour ce journal d’Ancien Régime, pour ce journalisme de cour »
« Pour ne pas être en reste, pour dire quand même quelques mots du mécontentement populaire, la chefferie du ’20H’ se livre à une manipulation grossière, que l’on a déjà vue au moment des Gilets jaunes’, poursuit le texte. « Le téléspectateur est incité à faire un lien entre le mouvement ‘Bloquons tout’ et l’extrême droite, puisque les seules revendications exprimées dans le journal sont celles du ‘trop d’impôts’ et du ‘Nicolas qui paie’. Rien sur le naufrage des services publics, les milliardaires qui se gavent, les vraies revendications de gauche. »
Le communiqué se conclut par une attaque frontale : « Pour clore le tout, ce journal pitoyable se termine par l’onction du cardinal Bustillo, un Richard Gere en soutane, qui nous prie de sortir de la lutte des classes. Félicitations pour ce journal d’Ancien Régime, pour ce journalisme de cour. Quel mépris pour les citoyens qui regardent encore le ’20 Heures’ et pour les journalistes qui continuent de faire leur travail, dans l’adversité. »
La charge de la CGT s’inscrit dans un climat tendu. Vingt-neuf sociétés de journalistes, dont celles du « Monde », de « Libération », de TF1, de l’AFP ou encore de France Télévisions, ont publié le 8 septembre une tribune dénonçant le nouveau « schéma national des violences urbaines ». « Léa Salamé aurait pu rappeler que la France est le pays européen le plus violent en matière de maintien de l’ordre, ou même, évoquer la note envoyée cet été par le Ministère de l’Intérieur aux forces de l’ordre. Dénoncée par les syndicats de journalistes, elle ne prend plus en compte le statut de journaliste en cas de violences urbaines », écrit encore le communiqué.
Ce texte du ministère de l’Intérieur précise en effet que le statut de journaliste « ne trouve pas à s’appliquer dans un contexte de violences urbaines », ce qui pourrait permettre aux forces de l’ordre de restreindre la liberté de circulation et de couvrir plus difficilement les manifestations. « Alors que le travail des journalistes dans la couverture des mouvements sociaux est déjà de plus en plus difficile (…), cette phrase grave dans le marbre la possibilité pour les policiers d’entraver le travail de la presse », s’inquiètent les signataires.