Après l’assassinat mercredi dans l’Utah de Charlie Kirk, influenceur d’extrême droite et visage de la jeunesse trumpiste, les Etats-Unis sont sous le choc. Et divisés. Alors que Donald Trump a annoncé ce vendredi l’arrestation du principal suspect et que les funérailles du trentenaire auront lieu ce week-end, en présence du président américain, plusieurs questions se posent sur les conséquences de cet acte. On en parle avec Ludivine Gilli, directrice de l’Observatoire de l’Amérique du Nord à la Fondation Jean Jaurès

Doit-on craindre un embrasement ?

Qualifié de « martyr » par Donald Trump, Charlie Kirk était père de deux enfants et avait fondé Turning Point USA à l’âge de 18 ans, le plus important groupe de jeunes conservateurs aux Etats-Unis. Sa mort est donc un choc immense pour la droite et l’extrême droite américaine, qui ne cesse de partager sa colère. « Une mèche a été allumée en Amérique et je pense que la droite américaine, surtout les jeunes, n’acceptera pas » la mort de l’une de ses voix les plus célèbres, a notamment déclaré Matt Boyle, représentant du site d’informations ultraconservateur Breitbart News. « Nous devons avoir une volonté d’acier. Charlie Kirk est tombé au front », a réagi Jack Posobiec, autre influenceur d’extrême droite.

Un champ lexical du combat devenu commun outre-Atlantique. « L’une des raisons pour lesquelles on arrive à cette situation, c’est la rhétorique martiale et guerrière qui s’est imposée dans le débat politique du fait de Donald Trump, du mouvement MAGA et du parti républicain ces dernières années », souligne Ludivine Gilli. « Dans le contexte des réseaux sociaux, de la radicalisation de l’opinion, on peut s’attendre à des appels directs à la violence », imagine-t-elle, appelant néanmoins à observer la situation « au jour le jour ».

Pour l’instant, le conflit s’observe surtout sur les réseaux sociaux, où une chasse aux sorcières est lancée : de nombreux comptes exposent les utilisateurs qui se moquent de la mort de Charlie Kirk, identifiant leurs employeurs et lançant un appel au licenciement. Par ailleurs, des personnes transgenres ont été accusées d’être le tueur ou en lien avec ce dernier, subissant des raids violents et homophobes.

Les démocrates sont-ils menacés ?

Quelques heures après le meurtre, Donald Trump avait pointé la responsabilité de « l’ultragauche », alors que les motivations du tireur sont inconnues. Elon Musk lui a emboîté le pas avec un message clair : « The Left is the party of murder », « la gauche est le parti du meurtre ». « La gauche n’a pas réussi à l’emporter dans les débats alors ils l’ont tué », a appuyé Clay Travis, un animateur et commentateur qui relaie les idées trumpistes. « Nous ne sommes pas du genre radical. Mais si vous pensiez que vous alliez faire taire le mouvement, vous allez être rudement déçus. Vous nous avez réveillés, putain ! », a dit pour sa part l’animateur conservateur Greg Gutfeld sur Fox News, chaîne de référence de la droite américaine.

Les élus démocrates, eux, ont condamné l’assassinat. « Ce genre de violence n’a pas sa place dans notre pays. Elle doit cesser immédiatement », a déclaré l’ex-président Joe Biden. « Michelle et moi prierons pour la famille de Charlie ce soir, en particulier pour sa femme Erika et leurs deux jeunes enfants », a également écrit Barack Obama, qualifiant l’acte de « violence abjecte ». Mais la machine semble inarrêtable. « Quel que soit le responsable et ses motivations, il y aura un récit de la part de Trump et de son camp utilisé pour fomenter la haine vis-à-vis de ce qu’il appelle « la gauche radicale » et qui désigne en fait l’opposition à son pouvoir », expose Ludivine Gilli.

En attendant, les élus restent sur leurs gardes. Après la réception de messages menaçants, la représentante des démocrates de l’Utah, Angela Romero, a conseillé aux élus du Congrès d’éviter les événements publics, rapporte le média Axios. D’autres hommes et femmes politiques ont fait le choix d’une annulation, à l’instar de la médiatique démocrate Alexandria Ocasio-Cortez ou de la républicaine Nancy Mace, élue en Caroline du Sud.

Un principe de prudence fondé pour Ludivine Gilli. D’une part parce que le passage à l’acte de ce tireur peut en inspirer d’autres. D’autre part car le contexte est explosif. « Pendant la campagne, et peut-être davantage depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, la rhétorique qu’il alimente a intensifié les menaces contre le personnel politique mais aussi contre des juges, des fonctionnaires, qui ont reçu des dizaines voire centaines de menaces de mort », rappelle-t-elle.

La vie politique américaine est-elle de plus en plus violente ?

La mort de Charlie Kirk est une nouvelle étape d’une vie politique américaine marquée par la violence. Dès mercredi, le président américain a évoqué un « moment sombre pour l’Amérique ». Lui-même, durant la campagne, a échappé à deux tentatives d’assassinat. En 2025, Melissa Hortman, une élue démocrate au parlement du Minnesota et son époux, ont été tués par un tireur masqué. Le domicile du gouverneur de Pennsylvanie, Josh Shapiro, élu démocrate de confession juive, a également été victime d’un incendie volontaire. « Sur un temps long, la violence de la société américaine n’est pas une aberration historique. En revanche, dans les décennies récentes, on observe une remontée en puissance de cette violence politique », note Ludivine Gilli.

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Donald Trump a appelé au calme jeudi. « Charlie Kirk militait pour la non-violence. C’est de cette manière que je voudrais que les gens répondent », a-t-il déclaré dans la presse. Mais sera-t-il entendu ? « Aucun président n’a intérêt à mettre le feu aux poudres », note la spécialiste de la Fondation Jean-Jaurès, qui évoque toutefois l’instabilité des réactions du milliardaire américain et le rôle non négligable des influenceurs de la galaxie MAGA sur la base conservatrice.

Sortant de sa discrétion, l’ex-président républicain, George W. Bush, a publié une déclaration appelant à bannir « la violence » et le « vitriol » de la « place publique ». « Les membres d’autres partis politiques ne sont pas nos ennemis ; ce sont nos concitoyens », écrit-il.