[Mardi 9 septembre dans les quartiers Sud de Berlin, vers 3h30 du matin, des flammes ont volontairement englouti deux pylônes électriques de 35 mètres de haut et de 110 kV, situés rue Königsheide dans le quartier de Johannisthal, coupant le jus au plus grand parc technologique d’Europe implanté non loin de là à Altendorf. Des chaînes en acier ont aussi été enroulées autour des câbles à haute tension, pour provoquer un court-circuit une fois les gaines d’isolation fondues par les flammes. Ces deux pylônes sont situés en bout de ligne aérienne, là où l’électricité passe des airs à la voie souterraine.
Plus largement, l’ensemble des quartiers sud de la capitale allemande ont été privés de courant, incluant ses 50 000 habitants, 3000 entreprises (dont celles du parc technologique), les centres commerciaux, les tramways, une douzaine d’écoles (restées fermées), les feux de circulation, et les communications téléphoniques.
Le dispositif provisoire de connexion
mis en place n’a permis de rétablir tout le courant qu’au bout de 60 heures (soit jeudi 11 septembre dans l’après-midi), et les réparations du réseau sur les deux pylônes devraient durer jusqu’en 2026, selon le porte-parole de l’entreprise Stromnetz. Cette rupture d’électricité à Berlin est également la plus longue depuis des décennies, puisque celle accidentelle de février 2019 à Köpenick, n’avait touché que 30 000 foyers et duré environ 30 heures.
Voici une traduction de l’allemand du communiqué de revendication paru le jour-même sur de.indymedia, et signé « Quelques anarchistEs »…]
Attaque contre le complexe militaro-industriel –
Black out dans le plus grand parc technologique d’Europe
9 septembre, au petit matin : des milliers de villes s’éveillent, des millions de personnes sont tirées de leur sommeil par le bip strident de leur réveil, annonçant le début d’une nouvelle journée de monotonie et d’apathie – 15 minutes pour boire un café avant de filer au turbin. Une heure dans les transports en commun, quelques regards croisés, personne ne parle, chacun rivé sur son écran. Des tonnes de voitures sillonnent les rues, le vacarme des sirènes effraie les rares oiseaux qui tournoient au-dessus de la ville. Les quartiers deviennent chaque jour un peu plus mornes. La solitude s’installe parmi la foule, entre les immeubles de béton, les clôtures et les caméras. Encerclés par une présence policière qui menace de plus en plus de nous étouffer. Des écrans publicitaires qui nous incitent à la consommation ou nous invitent à rejoindre l’armée allemande (Bundeswehr). Oui, nous y voilà à nouveau : « Le monde se relèvera grâce à l’esprit allemand » [célèbre phrase d’un poème de Geibel en 1861, qui résonne comme un appel au monde à « devenir plus allemand » NdT]. Le « tournant historique » exige une défense inébranlable de la patrie et d’être prêt à la guerre, que le « corps du peuple » se serre les coudes et fasse des sacrifices. La militarisation progresse et, derrière la promesse néolibérale de prospérité, le visage fasciste se montre de plus en plus ouvertement. La résignation et le pessimisme gagnent du terrain, et l’on respire une certaine tristesse.
Les informations ne cessent de relayer des nouvelles catastrophiques. Guerres et génocides ne cessent jamais. Au contraire : à Gaza, au Congo, au Soudan, en Ukraine, les massacres continuent et les dirigeants se frottent les mains. Les affaires marchent bien. De nouveaux accords sont constamment conclus afin d’exploiter les ressources d’autres pays en privant les populations de leurs moyens de subsistance. Les néofascistEs sont solidement installés au pouvoir dans un nombre croissant de pays et le capital est constamment à leur service. La vague réactionnaire d’antiféminisme et d’hostilité envers les personnes queer est alimentée par les Tech Bros, et l’IA poursuit son ascension fulgurante, rendant le monde toujours plus artificiel. Leur promesse dystopique de progrès : une technocratie fascistoïde avec des aspirations extra-planétaires en réponse à l’effondrement de la planète. Tout semble indiquer que ce monde est perdu depuis longtemps, qu’il n’y a aucune possibilité d’agir, que nos actions ne servent à rien, comme si les temps de révolte appartenaient à un passé lointain.
Mais aujourd’hui, tout ne fonctionne pas aussi bien que d’habitude. Dans le plus grand parc technologique d’Europe, à l’est de Berlin, habituellement en pleine effervescence, cette normalité semble s’être dissipée en quelques minutes aux premières heures du matin. L’obscurité a fait place à une lueur d’espoir, car l’apathie et la frustration ne sont pas les seules réactions à cette réalité oppressante.
Non, aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres. Des centaines de PDG de différentes entreprises et instituts de recherche dans les domaines de l’informatique, de la robotique, des biotechnologies et des nanotechnologies, de l’aérospatiale, de l’intelligence artificielle, de la sécurité et de l’industrie de l’armement ont appris avec amertume que leur parc technologique d’Adlershof avait cessé de fonctionner. Au moins pour un court laps de temps, mais cela suffit pour perturber massivement leurs super-machines et leurs processus opérationnels sensibles. Deux pylônes électriques de 110 kV situés rue Königsheide, à Johannisthal, ont été incendiés, provoquant une coupure de courant dans le parc technologique. Nous demandons aux riverains dont les foyers ont été touchés de faire preuve d’indulgence, car cela n’était en aucun cas notre intention. Néanmoins, nous considérons ces dommages collatéraux comme acceptables, contrairement à la destruction effective de la nature et à l’asservissement souvent mortel des êtres humains, dont sont responsables jour après jour bon nombre des entreprises implantées ici.
Leur engagement dans la poursuite du progrès technologique et l’expansion permanente de l’exploitation industrielle face aux catastrophes actuelles ont des conséquences bien plus graves. Pour tous et toutes, et de manière durable. La volonté inébranlable de l’imposer, par la force militaire si nécessaire, montre ce qui est réellement en jeu : le profit et le pouvoir. Ce fait ne peut être dissimulé par d’amusants spectacles de drones dans le ciel nocturne, ou par des robots gonflés à l’Intelligence Artificielle jouant au football, comme ceux qui sont présentés au public féru de technologie à Adlershof. Leurs slogans publicitaires mélodieux sur l’innovation, la durabilité et le progrès ne sont rien d’autre qu’une manœuvre trompeuse sur le champ de bataille du discours public, visant à détourner l’attention du fait qu’ils construisent en réalité des instruments de mort et de destruction. Tous les modèles économiques imaginables dans les domaines de l’industrie de haute technologie mentionnés ci-dessus, qui sont implantés dans le parc technologique d’Adlershof, contribuent d’une manière ou d’une autre à stabiliser le système et sont, notamment, le produit d’intérêts militaires. Leurs agissements garantissent la pérennité de la machine capitaliste de mort. Ils sont tous la véritable cible de notre action.
Il serait toutefois impossible de passer en revue chacune des plus de mille entreprises et de détailler toutes leurs exactions. La liste serait interminable. Nous nous limiterons donc ici à quelques exemples illustrant l’imbrication inacceptable entre la recherche, la science et la technologie d’une part, et la guerre, la destruction de l’environnement et le contrôle social d’autre part.
ATOS – Un des géants du cyberespace qui développe notamment des produits informatiques et des applications basées sur l’IA pour l’armée et la police. L’entreprise gère le projet HaFIS (Harmonisation des systèmes d’information de commandement) pour l’armée allemande et construit des conteneurs blindés à l’épreuve des balles équipés d’une infrastructure informatique. Pour Israël, pays belliciste, Atos gère un centre de données hautement sécurisé pour ses agences de défense et de sécurité, devenant ainsi coresponsable de la guerre et du génocide.
ASTRIAL – Une entreprise qui, outre ses infrastructures de sécurité pour les villes intelligentes, se distingue surtout par son engagement dans la guerre mondiale menée par les autorités frontalières contre les migrants. Ses systèmes de commandement et de contrôle traitent d’énormes quantités de données provenant des capteurs terrestres, maritimes, sous-marins, souterrains, aériens et spatiaux afin d’optimiser la chasse à l’homme aux frontières extérieures des pays du Nord.
CENTRE ALLEMAND POUR L’AÉRONAUTIQUE ET L’ESPACE (DLR) – L’espace est un domaine très disputé dans le contexte de crise mondiale actuel, et le DLR bénéficie massivement des fonds spéciaux militaires du gouvernement fédéral allemand. La recherche en matière de défense fait partie intégrante du programme du DLR. Par exemple, le DLR soutient les vols d’entraînement de l’armée de l’air et gère à Cologne, en collaboration avec l’armée allemande, un centre d’excellence en médecine aérospatiale.
EDAG – Partenaire de longue date des industries de la sécurité et de l’armement, l’entreprise développe des véhicules militaires à roues et à chenilles, des solutions pour la sécurité maritime et des aéronefs militaires avec ou sans pilote. En bref : tous les engins imaginables conçus pour tuer.
EUROVIA/VINCI – Une des plus grandes entreprises de construction et d’infrastructure au monde, qui participe notamment à la construction très controversée du site de stockage de déchets nucléaires français [à Bure]. Vinci construit également des centres de rétention, des aéroports et des autoroutes. A travers ses innombrables filiales, l’entreprise est active dans le secteur de l’énergie et se lance de plus en plus sur le marché de l’armement. Actemium, filiale de Vinci, a récemment annoncé l’acquisition de Wärtsilä SAM Electronics GmbH, qui travaille pour la marine allemande et les chantiers navals de Hambourg, Wilhelmshaven, Elmenhorst, Bremerhaven et Kiel.
JENOPTIK – Cette entreprise technologique basée à Iéna opère à l’interface entre la sécurité intérieure et la défense militaire grâce à des produits comme des télémètres laser, des caméras thermiques, des LED, des rayons optiques infrarouges et polymères, utilisés par exemple pour la reconnaissance militaire ou la protection des infrastructures. Son logiciel « TraffiData », notamment utilisé dans la zone frontalière avec le Mexique, est particulièrement d’actualité. À la demande de la police des frontières américaine, il a été complété par « TraffiCatch » pour traque plus efficace des personnes indésirables.
ROHDE & SCHWARZ – Cette entreprise spécialisée dans les technologies et l’armement fabrique des équipements pour les installations radio militaires et les systèmes de surveillance, vendus aux grandes entreprises technologiques, aux gouvernements et aux services de renseignement du monde entier. Les produits R&S sont utilisés, par exemple, pour la sécurité aux frontières (notamment en Arabie saoudite), dans les véhicules, avions et navires militaires, ainsi que pour le guidage de missiles, etc. Ils sont aussi utilisés dans les systèmes d’écoute de la police et des services de renseignement.
SIEMENS – Il n’existe pratiquement aucun domaine de l’industrie de l’armement ou de la grande industrie dans lesquels les produits Siemens ne sont pas présents. Systèmes d’armes, sous-marins nucléaires, porte-avions, chars, réacteurs nucléaires, barrages, éoliennes, prisons, aéroports, etc. Nombre de ces mégaprojets sont très controversés, comme par exemple le TrenMaya au Mexique, les projets de barrages d’Erdogan au Kurdistan ou, plus récemment, la construction du câble électrique sous-marin EuroAsia Interconnector, qui relie Israël à Chypre et à la Grèce. L’entreprise soutient également d’autres projets d’infrastructure israéliens dans Jérusalem-Est occupée, et dans les colonies israéliennes en Cisjordanie.
TRUMPF – Une entreprise à la pointe de la guerre internationale des puces électroniques pour la suprématie du monde numérique. Qu’il s’agisse de smartphones avec transfert de données turbo et reconnaissance faciale, de lunettes connectées, d’intelligence artificielle, de voitures autonomes ou de systèmes de missiles, de drones et d’armes, les semi-conducteurs sont omniprésents. Et leur production est assurée par l’entreprise allemande Trumpf, en collaboration avec Zeiss et ASML, qui jouent un rôle clé grâce à leurs systèmes de lithographie EUV. Sans leurs composants, le monde high-tech serait à l’arrêt.
Ce sabotage ne vise pas seulement à désigner et à perturber les ennemis de la liberté, mais aussi à appeler à une intensification des actions offensives en général, et plus particulièrement de cette forme d’actions qui conduisent à une perturbation effective du système. C’est un appel à laisser définitivement derrière nous la frustration et le désespoir. Un cri pour proclamer que nos idées anarchistes et notre dynamisme prospèrent et que les actions irresponsables des détenteurs du pouvoir auront toujours des conséquences. Cela vaut en particulier pour les complicEs de l’industrie de l’armement, car nous ne resterons pas les bras croisés pendant que des personnes sont massacrées ou condamnées à mourir de faim dans leurs guerres.
Attaquer les infrastructures critiques, c’est s’attaquer à l’un des principaux vecteurs de la domination de l’humain par l’humain et sur la nature. Le réseau électrique, en tant que tel, représente l’histoire du progrès et constitue la condition préalable au développement inexorable vers une société hautement technologique telle que nous la connaissons aujourd’hui. Cette société, sous le joug de la technologie et du capital, apparaît pour l’instant comme le produit final de la civilisation terrestre et provoque une destruction quasi irréparable de la Terre, à une échelle sans précédent dans l’histoire de la planète. Sans parler des guerres sanglantes pour le pouvoir et les ressources que les dirigeants imposent à leurs serviteurs. L’insatiable soif de croissance les pousse, au sens propre du terme, à vouloir atteindre les étoiles. L’électricité est la principale source d’énergie qui alimente toutes les machines et le « progrès » nécessaires à la reproduction du système actuel. Il est possible de la couper et il est également possible de la remplacer par une vie libre, sans domination ni exploitation !
Saboter l’attaque technologique – couper le jus au complexe militaro-industriel !
Toujours combatifs – jamais bellicistes !
Quelques anarchistEs