Le tableau le plus cher au monde n’a pas fini de faire parler de lui… Bien des choses ont déjà été dites sur le mystérieux Salvator Mundi supposément peint par Léonard de Vinci, acquis 450 millions de dollars en 2017 par Mohammed bin Salman, prince héritier d’Arabie saoudite, avant de voir son attribution au maître de la Renaissance italienne vertement remise en cause. L’œuvre, qui a depuis disparu des radars, fait désormais l’objet d’une nouvelle hypothèse insolite : le Christ dépeint porterait des « vêtements de femme » pour un look sciemment « transgenre » ou « gender fluid »… Une théorie qui fait débat.

Ces mots sont ceux de Philipp Zitzlsperger (né en 1965), professeur d’histoire de l’art médiéval et moderne à l’Université d’Innsbruck, en Autriche. Spécialisé entre autres dans la signification symbolique des vêtements dans l’art de la Renaissance, cet Allemand natif de Munich a détaillé son idée dans un article intitulé « La signification du Salvator Mundi de Léonard », au sein du dernier numéro de Artibus et Historiae, une prestigieuse revue semestrielle d’histoire de l’art créée en 1980 et publiée en Pologne par l’IRSA (Institute for Art Historical Research).

Un portrait androgyne du Christ ?

Attribué à Léonard de Vinci, Salvatore Mundi

Attribué à Léonard de Vinci, Salvatore Mundi, vers 1500

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Huile sur bois • 65,7 × 45,4 cm • Coll. particulière

La tunique bleue à liseré brodé d’or portée par le Christ sur le tableau l’a interpellé en raison de son « décolleté rectangulaire » qui révèle un peu trop la peau du buste : un élément qui, selon lui, ne figure dans aucune représentation antérieure connue du Christ, ni même d’un homme de « statut social élevé ». Cette encolure serait en revanche typique des portraits de femmes nobles de cette période, comme La Belle Ferronnière de Léonard (1495–1497) et le portrait par Raphaël de la duchesse d’Urbino (1504). Le choix des couleurs irait également dans le sens d’une tenue féminine : une cape bleue sur tunique bleue serait un choix vestimentaire typiquement associé à la Vierge Marie – le Christ portant, selon lui, plutôt une cape bleue sur une tunique rouge dans la peinture de l’époque.

Au niveau du col, le chercheur croit même déceler « le début léger d’une poitrine féminine ». Le peintre aurait ainsi voulu signifier «  l’union du Christ et de la Vierge en la personne du Salvator Mundi ». Le tout alors que se développe en Italie « une esthétique de la fluidité de genre », qui se perçoit effectivement dans plusieurs tableaux de Léonard, dont l’androgynie des personnages (de la Joconde à Saint Jean-Baptiste) a souvent été commentée.

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Une théorie reçue avec scepticisme

« Une tenue d’aspect féminin ne fait pas du Christ une femme. »

Frank Zöllner

La théorie a été accueillie avec prudence, voire scepticisme, par certains experts. Cité dans The Art Newspaper, l’historien de l’art Matthew Landrus, de l’Université d’Oxford, affirme ne « pas disposer d’assez d’éléments » pour affirmer que le choix de la tenue de ce Christ ait une signification particulière. Pour Frank Zöllner, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Leipzig et auteur de plusieurs articles sur le Salvator Mundi, le texte est « un peu trop sensationnaliste ». « Une tenue d’aspect féminin ne fait pas du Christ une femme », tempère-t-il, ajoutant qu’il existe plusieurs représentations d’un Christ en tunique bleue et cape bleue, notamment dans les mosaïques de Sainte-Sophie à Istanbul, et dans le Triptyque Stefaneschi de Giotto – tout comme il y a de nombreuses Vierges en tuniques rouges et capes bleues.

Un indice de plus de la fausse attribution à Léonard ?

« Si cela est vrai que le choix vestimentaire de ce Christ est unique, cela viendrait appuyer l’attribution à Léonard », a de son côté réagi Martin Kemp. Mais cette voix n’est pas neutre : ce spécialiste du maître toscan, professeur émérite à l’Université d’Oxford, a joué un rôle important dans l’attribution très controversée du tableau à Léonard en 2008, et serait impliqué dans le projet de construction en Arabie saoudite d’un futur musée pour accueillir l’œuvre.

Flou bizarre au niveau du cou, yeux mal positionnés, effet d’optique du globe de verre indigne des connaissances scientifiques de Léonard… De nombreux éléments étranges ont été remarqués dans cette œuvre. Et si cette « tenue féminine » faisait tout simplement partie de ces indices pointant vers une peinture ancienne sur-restaurée, transformée pour devenir un intrigant Salvator Mundi de Léonard ?

Acheté une bouchée de pain en 2005 dans une obscure vente aux enchères américaine, puis attribué, après restauration, à Léonard de Vinci par la National Gallery de Londres, le tableau est depuis devenu la vedette de plusieurs films documentaires le présentant comme une pure « fabrication » ayant impliqué une restauratrice douée et des hommes d’affaires roublards. En 2019, il n’avait, à la dernière minute, pas rejoint l’exposition blockbuster du Louvre consacrée à l’artiste.

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