“Depuis deux ans, Russie unie [parti qui domine la vie politique en Russie] promet de promouvoir les militaires aux postes électifs”, rappelle Novaïa Gazeta Europe. Cette stratégie avait été formulée noir sur blanc par Vladimir Poutine dans son discours à l’Assemblée fédérale en 2024 : faire des vétérans de la guerre en Ukraine une “nouvelle élite politique”.

Une élite composée de candidats ayant servi dans des unités impliquées dans les massacres de Boutcha, les exactions à Borodianka, Kherson ou encore Krementchouk, les frappes meurtrières sur Dnipro ou les attaques contre des civils à Soumy. Selon Novaïa Gazeta Europe, les électeurs russes risquent donc de “voter sans le savoir pour un criminel de guerre”.

Une “machine à promouvoir les héros” a donc été lancée : programmes de formation, soutien officiel, relais médiatiques. Mais le résultat est dérisoire. Novaïa Gazeta Europe a recensé “près de 1 500 militaires ou profils liés à l’‘opération militaire spéciale’ [terme officiel pour désigner l’invasion russe de l’Ukraine]” cette année, soit à peine 1,5 % du total. “Leur nombre est insignifiant”, tranche l’analyste électoral Ivan Choukchine. Et de décrypter : “Si les élites misent sur quelqu’un, c’est sur les enseignants, médecins, éducateurs : 36 000 candidats issus de la fonction publique, bien plus faciles à contrôler.”

Manque d’expérience et de réseaux

Dans les médias d’État et la presse régionale, les militaires russes sont partout. Mais, poursuit le média en exil russe, “la propagande leur accorde une attention sans commune mesure avec leur poids réel”. Un expert électoral anonyme confie à ce titre :

“Personne ne veut vraiment d’eux : ils n’ont ni argent, ni réseau, ni expérience. Et, pour leur faire de la place, il faudrait pousser dehors ceux qui y sont déjà, ce que personne ne souhaite.”

Les chiffres officiels, relayés par l’agence de presse officielle Interfax, le confirment : sur les quelque 5 000 campagnes organisées du 12 au 14 septembre dans 81 régions pour 55 millions d’électeurs appelés aux urnes, seuls 1 616 candidats sont des participants ou vétérans de la guerre en Ukraine. C’est loin des projecteurs que les candidats militaires trouvent leur place, essentiellement dans les petites villes et villages, en tant que maires ou chefs d’administrations locales, note de son côté Novaïa Gazeta Europe.

Le service russophone de la Deutsche Welle relève néanmoins une faible concurrence : à peine 172 candidats d’opposition du parti Iabloko, seuls à prôner le cessez-le-feu en Ukraine, sont en lice dans 19 régions, bien moins que les profils militaires. Pour les observateurs indépendants interrogés par la radio allemande, le poids réel des militaires reste “très limité”, faute “d’expérience de gestion et de réseaux politiques nécessaires”, tranche le politologue David Kankia. “Beaucoup de ceux qui accèdent au pouvoir sont des bureaucrates ayant simplement fait acte de présence dans des territoires occupés pour ajouter une ligne à leur CV.”

Concernant les résultats, ces élections ne laissent guère de place au suspense. Comme le résume Nezavissimaïa Gazeta, les gouverneurs raflent régulièrement “plus de 80 % des voix”, ce qui ne manque pas d’interroger. “Ces scores stratosphériques ne sont pas seulement irréalistes, ça ne fait pas très propre lorsque certains élus, portés en triomphe, finissent inculpés l’année suivante.”

Voter pour le “bon candidat”

La question de la participation est devenue stratégique pour le pouvoir, souligne le quotidien pro-Kremlin modéré. Or “une forte mobilisation populaire abaisse mécaniquement le pourcentage de voix pour le candidat officiel”. D’où le recours à des outils électoraux nouveaux, comme le vote électronique à distance ou le scrutin sur trois jours, qui “permettent surtout de faire voter le noyau de l’électorat loyal”. Les autorités visent à “démontrer qu’elles bénéficient d’un soutien fort de la population”.

Pourtant, ces outils ne suffisent pas toujours. Dans les régions, révèle le média indépendant régional Govorit Ne Moskva, des fonctionnaires et étudiants sont contraints d’aller voter pour le “bon candidat”, parfois en devant photographier leur bulletin. Une pratique ancienne, mais encore dénoncée aujourd’hui par les défenseurs des droits, qui avaient lancé un chatbot pour dénoncer ces abus.

Derrière le rideau de fumée, certains voient des changements se profiler. “Même sans soutien d’en haut, quelques profils militaires chercheront à entrer en politique, estime Alexeï Guilev, du Centre d’étude de la société civile et des droits de l’homme Andreï Gagarine, interrogé par Novaïa Gazeta Europe. Ce qui pourrait accentuer le virage conservateur et militariste du pays.”