La dernière fois qu’un chancelier fédéral a ouvert en personne la rencontre avec le corps diplomatique, c’était en 2000, sous l’ancien chancelier Gerhard Schröder.
Et maintenant, c’est au tour de Friedrich Merz. 25 ans plus tard. Car le monde a radicalement changé. En effet, lundi, au début de la conférence de plusieurs jours au ministère fédéral des Affaires étrangères à Berlin, le chancelier fédéral a prononcé un discours presque programmatique sur l’importance future de la politique étrangère allemande. Il a également rencontré les ambassadeurs réunis pour une discussion de fond, ce qui est également plutôt inhabituel.
Nouveau conflit systémique
Dans son discours, Friedrich Merz a brossé le tableau d’un ordre mondial dans lequel des convictions autrefois bien ancrées changent presque quotidiennement : « Ce que nous avons appelé l’ordre mondial libéral est aujourd’hui soumis à de nombreuses pressions, y compris au sein même de l’Occident politique. Un nouveau conflit systémique a déjà éclaté entre les démocraties libérales et un axe des autocraties qui cherche ouvertement à concurrencer notre démocratie. »
Selon l’interprétation du chancelier allemand, cet axe des autocraties est principalement constitué de la Chine et de la Russie. L’Allemagne s’est longtemps sentie en sécurité dans l’illusion que les bouleversements mondiaux ne pouvaient pas vraiment l’affecter. Cela a conduit à une attitude selon laquelle « il ne fallait pas se soucier des guerres qui se déroulent ailleurs, des agresseurs, de ceux qui enfreignent les règles. Elle répond à un besoin quasi isolationniste de notre population. Mais l’Allemagne n’est pas une île, même si nous et notre pays sommes entourés d’amis, comme nous le disons si bien ».
lPus de politique extérieure que de politique intérieure ? Le chancelier Friedrich Merz, en fonction depuis moins de 100 jours, avec ses partenaires européens chez le président américain Donald Trump à Washingtonpicture alliance/Newscom/DANIEL TOROK
La politique étrangère est une politique d’intérêts
Pour le chancelier fédéral, cela signifie que la politique étrangère n’est plus, comme cela a été le cas pendant de nombreuses années en Allemagne, le cheval de bataille de quelques acteurs politiques spécialisés. Elle constitue désormais la base de tous les domaines politiques, en particulier de la politique économique. Et il s’agit avant tout d’une politique d’intérêts : sur la scène internationale, l’Allemagne adopte des positions qui profitent avant tout aux marchés de l’économie allemande orientée vers l’exportation.
Selon Friedrich Merz, l’Allemagne doit être plus présente et jouer un rôle plus important : « C’est une responsabilité qui nous incombe en tant que pays le plus puissant économiquement de ce continent, non pas parce que nous sommes arrogants ou prétentieux, mais parce que la situation géostratégique de notre pays nous y oblige et que nous devons l’assumer, dans notre propre intérêt, mais aussi dans l’intérêt de nos voisins européens et de l’ensemble de l’Union européenne. »
Le SPD soutient la ligne du chancelier
Depuis son entrée en fonction, nombreux sont les observateurs qui qualifient le nouveau chancelier de « chancelier des Affaires étrangères » : Friedrich Merz était en effet présent sur pratiquement toutes les scènes internationales, auprès du président américain Donald Trump à Washington, lors de nombreuses rencontres avec le président français Emmanuel Macron, lors du sommet des pays de l’Otan. Et ces mêmes observateurs lui ont reproché de négliger la politique intérieure. Mais chez les sociaux-démocrates, partenaires de la coalition, l’accent mis sur la politique étrangère par le nouveau chef du gouvernement est bien accueilli.
Sur la DW, Adis Ahmetovic, porte-parole pour la politique étrangères du groupe parlementaire des socio-démocrates estime qu’”il n’y a pas trop peu de conflits dans le monde et c’est pourquoi il est bon que le Parlement ait un lien direct avec le chancelier fédéral afin de définir ensemble les grandes lignes, le gouvernement et le Parlement. Et je dois dire que cela fonctionne très bien actuellement au sein du gouvernement ».
Et que signifie cette nouvelle approche pour les quelque 230 ambassadeurs et ambassadrices du pays ? Comment sera perçue une Allemagne qui s’implique davantage, qui est plus présente, qui n’est plus une île, comme le dit Friedrich Merz ?
Selon Wolfgang Ischinger, ancien ambassadeur aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, »il se peut que l’Allemagne se perçoive souvent comme un pays en crise. Cependant, cette image ne correspond pas nécessairement à la perception que le monde a de l’Allemagne ».
« Du point de vue extérieur, nous sommes un pays extrêmement stable et prospère. Ce qui est toutefois de plus en plus perçu négativement à l’étranger, c’est le manque de courage et d’esprit d’innovation en Allemagne. Cela ternit notre réputation, et nous en sommes nous-mêmes responsables », dit encore sur la DW celui qui a dirigé pendant de nombreuses années la Conférence de Munich sur la sécurité (MSC).