La Fête de l’Huma : sa programmation culturelle et politique, ses stands aux 50 nuances de rouge et… son odeur de viande grillée. Aux détours des allées du festival, qui organise sa 91e édition au Plessis-Pâté (Essonne) ce week-end, impossible de passer à côté d’un mets symbole de la lutte sociale. Oui, la merguez, c’est de gauche.
Pourtant, contrairement aux cortèges de manifestations, ce n’est pas le plat le plus mis en avant. Saucisses végés, burgers, kebabs ou même raclette (sur le stand PCF du Rhône) lui font une belle concurrence. Mais en grattant un peu, on finit bien par en trouver. « Ça marche toujours aussi bien, souffle un animateur du stand des communistes du Parisis (Val-d’Oise), dans le rush du service. Je pense que ça fait partie un peu du folklore de la Fête de l’Huma, surtout pour ceux qui connaissent bien. »
« Je ne sais pas si la merguez est « de gauche », mais c’est sûr qu’à la Fête de l’Huma, ça en devient presque un symbole, complète Nicolas, la trentaine, attendant son tour dans la file d’attente. C’est autant de gauche que le homard est de droite. » En tout cas, la merguez tire au moins une partie de sa popularité et de son folklore de sa présence lors de manifestations. « Le stand de merguez, c’est le restaurant de ceux qui manifestent. Et étymologiquement, le restaurant, c’est un bouillon pour restaurer ses forces, explique Eric Birlouez, sociologue de l’alimentation. Or, en manif, on dépense beaucoup d’énergie. »
« Un aliment emblématique de la cuisine de rue populaire »
Autre aspect important : quand on commande une merguez, « on fait la queue ensemble, on discute, on manifeste qu’on appartient à la même communauté », avance le sociologue. Une communauté construite en opposition à la bienséance bourgeoise et ses dîners guindés. « C’est un aliment emblématique de cette cuisine de rue populaire, ajoute encore Eric Birlouez. On n’est pas trop regardant sur sa provenance, sa composition. Et les élites méprisent ce côté gras, odorant, bon marché. Manger une merguez peut servir à revendiquer une distinction sociale : « J’affirme mon identité de prolétaire, de militant. » » Tiendrait-on là l’acte de résistance ultime face aux restaurants gastronomiques et aux restaurants-concept sortis de l’imagination d’ex-étudiants en école de commerce ?
D’après l’expert, la merguez a aussi une importance historique. Implantée à partir des années 1950 et des manifestations pour la décolonisation, elle a un côté transculturel, voire inclusif. Sans porc, et avec à peine 5 % de végétariens en France, la merguez est un plat qui plaît à tout le monde. Vraiment ? « J’ai rien contre mais je suis végétarienne, donc il faut que je trouve autre chose », nous dit Loréna dans la file d’attente, zieutant le plan de la Fête sur son téléphone. L’impact écologique de l’alimentation, et notamment de la consommation de viande, reste cependant source de débat à gauche.
En passant devant le stand, les vannes sur Fabien Roussel, qui a ardemment défendu la viande et la bonne bouffe dans les médias, fusent. « On n’a pas encore basculé dans le végétarisme, relativise Eric Birlouez. Cela touche surtout les classes instruites, urbaines, les centres-villes. Et il y a eu une conquête sociale de la viande, les gens modestes ont enfin pu manger de la viande tous les jours. Aujourd’hui, avec la crise, c’est un des premiers manques que les gens déplorent. » A 4 euros, barquette de frites incluse, la merguez de la Fête de l’Huma, elle, ne connaît pas la crise.