Le parti britannique Reform UK[1], dirigé par Nigel Farage et positionné à droite de l’échiquier politique, a tenu début septembre sa conférence annuelle « Next Step » à Birmingham. L’événement a rassemblé plus de 12 000 participants, parmi lesquels des représentants de grandes entreprises, des acteurs du secteur des cryptomonnaies et des groupes connus pour leur opposition aux politiques climatiques. La présence remarquée de l’industrie du tabac et de ses alliés interroge sur les liens étroits que ce parti entretient avec certains intérêts privés. Ce rapprochement illustre les stratégies de lobbying persistantes du secteur, visant à se légitimer sur la scène politique et à influencer les décisions en matière de santé publique et de réglementation[2]–[3].
L’industrie du tabac mise tout particulièrement sur ces groupes politiques, dont certains s’appuient sur des influences libertariennes, afin de remettre en cause les réglementations déjà en place et non seulement d’entraver celles à venir susceptibles de renforcer la protection de la santé publique.
Présence des géants du tabac : une légitimité contestée
La participation active de l’industrie du tabac à la conférence de Reform UK a constitué l’un des éléments les plus marquants de l’événement. Japan Tobacco International (JTI), l’un des principaux acteurs mondiaux du secteur, a parrainé une table ronde aux côtés de l’Adam Smith Institute, un think tank libéral, consacrée à la « revitalisation des high streets » britanniques. Ce type d’association permet à l’industrie de se présenter comme un partenaire économique légitime et de détourner l’attention des conséquences sanitaires et sociales de ses produits.
En parallèle, le groupe de pression pro-tabac Forest, financé par les fabricants, a organisé un événement sur le thème des « politiques de prohibition ». Ce choix rhétorique, qui assimile les réglementations de santé publique à des interdictions excessives, illustre la stratégie classique de l’industrie visant à décrédibiliser les politiques de contrôle du tabac. En insistant sur une défense des « libertés individuelles », ces acteurs cherchent à affaiblir le consensus autour des mesures de protection sanitaire, telles que les interdictions de fumer dans les lieux publics, les restrictions publicitaires, la fiscalité sur le tabac ou encore le nouveau projet de loi britannique pour parvenir à une génération sans tabac.
La présence de ces organisations dans un espace politique d’un parti en pleine expansion pose un problème de légitimité. Le tabac est responsable de 8 millions de décès prématurés chaque année dans le monde et représente un coût économique et social majeur. Or, en parrainant des débats ou en s’associant à des institutions politiques, l’industrie cherche à normaliser son rôle et à renforcer sa capacité d’influence. Cette participation active de l’industrie à un événement organisé par un parti politique qui prétend vouloir accéder au gouvernement constitue une violation directe avec l’article 5.3 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), qui précise que les politiques de santé publique doivent être protégées de l’interférence des intérêts commerciaux liés au tabac.
La mise en avant de ces acteurs dans le cadre d’une conférence politique nationale illustre ainsi la stratégie d’influence et d’entrisme de l’industrie du tabac dans les politiques publiques en vue de peser sur les réglementations présentes et à venir. Elle témoigne d’une continuité historique des pratiques de lobbying, où les enjeux économiques priment sur la protection de la santé publique.
Un lobbying multiforme : climato-sceptiques et acteurs cryptographiques
Au-delà du tabac, la conférence de Reform UK a été marquée par la présence d’autres secteurs économiques controversés, qui ont également cherché à tirer parti de cette vitrine politique. Parmi eux figuraient des groupes climato-sceptiques tels que le Heartland Institute, connus pour leur opposition aux politiques environnementales et leur remise en cause du consensus scientifique sur le changement climatique. Leur participation s’inscrit dans une stratégie de long terme visant à retarder les réglementations en instillant le doute, une approche directement inspirée du modèle élaboré par l’industrie du tabac pour contrer les politiques de santé publique. Ces acteurs, issus de l’industrie du tabac, du climato-scepticisme ou encore d’autres secteurs contestés, ont progressivement formé une véritable alliance, unissant leurs intérêts pour peser sur les décisions publiques et affaiblir les régulations qui menacent leurs modèles économiques.
Dans le même temps, le secteur des cryptomonnaies a multiplié les interventions et les financements lors de cette rencontre. Plusieurs entreprises, dont des plateformes et startups spécialisées dans la blockchain, ont parrainé des débats ou participé à des tables rondes. Le parti proposait des offres groupées de soutien financier très attractives, incluant des événements privés, des rencontres exclusives avec les dirigeants et une visibilité accrue auprès des participants. Pour ces acteurs en quête de reconnaissance institutionnelle, l’association avec Reform UK constitue une opportunité stratégique d’influencer un parti politique en pleine ascension et de défendre un agenda centré sur la dérèglementation
Cette convergence entre climato-sceptiques et acteurs cryptographiques met en lumière une coalition d’intérêts qui, à l’instar de l’industrie du tabac, cherche à peser sur l’élaboration des politiques publiques en s’appuyant sur des discours de légitimation économique et de liberté individuelle. Ces dynamiques témoignent d’un même modèle de lobbying, où la recherche de profits et la volonté d’affaiblir les réglementations l’emportent sur la protection de la santé, de l’environnement et de l’intérêt général.
Un parti en quête de respectabilité politique
Créé en 2019 comme successeur du Brexit Party, Reform UK s’est progressivement affirmé comme une force politique capable de concurrencer le Parti conservateur sur son propre terrain. Sous la direction de Nigel Farage, le parti adopte une ligne populiste et nationaliste, marquée par un discours de dérèglementation économique et de rejet des politiques climatiques contraignantes. La conférence « Next Step » organisée à Birmingham, qui a réuni plus de 12 000 participants, représentait une étape clé dans cette stratégie de consolidation et de légitimation politique.
La présence de personnalités politiques de premier plan, telles que l’ancien ministre Michael Gove ou Jacob Rees-Mogg, est venue renforcer cette dynamique. Leur participation, même ponctuelle, contribue à donner au parti une image de sérieux et de crédibilité institutionnelle, en l’ancrant davantage dans le paysage politique britannique. Le déploiement de moyens scénographiques importants, incluant un dispositif pyrotechnique spectaculaire, illustre également la volonté de Reform UK de rivaliser avec les grands partis traditionnels et de s’imposer comme une alternative crédible.
Toutefois, cette quête de respectabilité se heurte à des contradictions majeures. Les financements et soutiens issus de secteurs controversés – tabac, cryptomonnaies, groupes climato-sceptiques – soulèvent de sérieuses questions quant à l’indépendance du parti et à la nature des intérêts qu’il défend. Si Reform UK cherche à apparaître comme un mouvement moderne et représentatif, l’appui d’industries associées à des impacts sanitaires, environnementaux et sociaux considérables traduit une forme d’hypocrisie. L’alignement avec ces secteurs controversés va à l’encontre de l’image d’un parti se voulant tourné vers l’avenir et ouvert sur la société.
AE
[1] Reform UK est un parti politique britannique fondé en 2019 par Nigel Farage, d’abord sous le nom de Brexit Party. Après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, il a pris son nom actuel et s’est repositionné comme une formation populiste de droite. Son programme met l’accent sur la dérégulation économique, la critique des politiques climatiques, une ligne dure sur l’immigration et la remise en cause des institutions, avec l’ambition de concurrencer directement le Parti conservateur.
[2] The Big Tobacco, Climate Denial Lobbyist and Crypto Firms Sponsoring the Reform UK Conference, Byline Times, publié le 8 septembre 2025, consulté le 9 septembre 2025
[3] Rowena Mason, Ben Quinn and Peter Walker, Rees-Mogg, Gove and pyrotechnics: what to expect from Reform party conference, The Guardian, publié le 4 septembre 2025, consulté le 9 septembre 2025
Comité national contre le tabagisme |