Sous une pluie fine, les militants du Rassemblement national affluent par milliers vers le Palais de l’Atlantique, à Bordeaux, pour leur grand rendez-vous de rentrée. À pied, en voiture ou en bus venus des départements voisins, ils sont près de 6 000 à avoir fait le déplacement. Officiellement, il s’agit de lancer la campagne municipale, mais dans les allées, c’est bien l’actualité gouvernementale qui alimente toutes les conversations.

Principale organisatrice de l’évènement, la députée de Gironde Edwige Diaz s’en réjouit : « Vu le nombre d’adhésions que nous avons enregistrées pour cette rentrée, on ne peut pas dire que l’actualité pourrisse notre début d’année, au contraire ! » Aux militants, l’élue rappelle, tout sourire, que la Nouvelle-Aquitaine, autrefois « terre de conquête », s’est transformée en véritable « bulle bleu marine » lors des dernières élections européennes : en 2024, la liste de Jordan Bardella arrivait en tête dans 95 % des communes de la région.

Quelques mètres plus loin, drapeau français sur les épaules, près des stands de nourriture, et d’une enceinte qui crache des chansons populaires, Romain savoure une bière, avec deux amis. Pour ce jeune bordelais tout juste sorti du lycée, Sébastien Lecornu a déjà largement eu l’occasion de faire ses preuves, mais en vain : « Cela fait bientôt dix ans qu’il est ministre, il n’a rien fait. Ce n’est pas avec la suppression des deux jours fériés qu’on va lui faire confiance, et on va encore perdre du temps. On veut juste un cap. »

« J’avais été moins radical face à Michel Barnier, mais maintenant ça suffit »

Devant les food trucks qui servent sans discontinuer sandwichs et boissons, d’autres militants évoquent sans enthousiasme les premières pistes du budget proposées par le Premier ministre. Campé sur sa chaise, drapeau français à la main, Xavier, retraité, attend les discours pour se prononcer sur une dissolution, mais confesse d’avance sa méfiance envers un nouveau Premier ministre qui « ne changera rien » : « J’avais été moins radical face à Michel Barnier, mais maintenant ça suffit. Il faudra censurer jusqu’à obtenir la proportionnelle. » À ses côtés, tract en main, Caroline, 25 ans, partage ce constat. Elle ne veut surtout pas se « refaire avoir » : « Il va rester dans la lignée de son prédécesseur en faisant quelques petits cadeaux aux gens, donc je suis méfiante. C’est pour ça que je suis venue écouter un discours d’espoir. »

Une chute du gouvernement « dans quelques semaines »

C’est devant cette foule surchauffée, qui scande régulièrement des « Macron démission », en agitant des drapeaux bleu blanc rouge, que Marine Le Pen dénonce dès son arrivée sur scène la nomination à Matignon d’un proche du président, et fustige un « numéro d’équilibriste présidentiel réalisé avec trucage. » Sans laisser place à l’ambiguïté, la cheffe de file des députés du Rassemblement national réclame une rupture nette, illustrée par un potentiel retour aux urnes prochain, après la chute du gouvernement qu’elle anticipe « dans quelques semaines » sous les applaudissements nourris.

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Dans son discours, qui prend des airs de programme présidentiel, la députée du Pas-de-Calais dresse ses pistes pour économiser 60 milliards d’euros, et distingue quatre priorités urgentes pour redresser le Budget : revenir sur les dépenses liées au coût de l’immigration, lutte contre la fraude, réduction du train de vie des administrations publiques, ou encore contribution à l’Union européennes.

« Nous n’avons aucun goût pour le désordre, aucun goût pour l’instabilité »

À son tour, Jordan Bardella s’avance sur scène. Ovationné par une foule qui scande « On est chez nous ! », il remercie ses militants avant de prévenir d’un « tournant de la démocratie ». Dans la lignée de Marine Le Pen, le président du RN balaie toute accusation d’irresponsabilité venue de la gauche ou du camp central : « Nous n’avons aucun goût pour le désordre, aucun goût pour l’instabilité. » La voix ferme, la veste tombée, il renvoie la faute à « ceux qui trahissent le pays ». Dans une longue tirade, Jordan Bardella déroule ses mesures pour réduire le coût de l’immigration : suppression du RSA, fin de la gratuité des soins pour les étrangers en situation irrégulière, et priorité nationale dans l’attribution des HLM.

Marine Le Pen prépare l’alternance

 

Tout au long de la journée, la censure est sur toutes les lèvres, mais le RN reste fidèle à sa ligne historique : ne voter aucune motion avant d’avoir examiné les grandes lignes budgétaires. Pour les militants comme pour les élus, la chute de Sébastien Lecornu ne fait cependant aucun doute. « Il ne tiendra pas six mois, et ce que nous voulons maintenant, c’est une Assemblée claire ! » martèle Clara, jeune militante venue avec des amis pour « le premier grand rendez-vous du parti dans la région ».

Même discours au sommet du mouvement : « Le Premier ministre va nous accorder quelques symboles, mais la situation du pays ne peut pas se réduire à cela », glisse-t-on dans l’entourage de Marine Le Pen. En privé, la cheffe de file des députés dénonce « des manœuvres qui font perdre du temps au pays, orchestrées par un président qui veut durer ».

Le parti à la flamme confirme néanmoins qu’il se rendra à la table des négociations, s’il y est convié, pour accorder une ultime chance au locataire de Matignon : celle de discuter, d’obtenir, au mieux, quelques mesures partielles. « Lors du budget Barnier, on avait quand même protégé les Français de quelques horreurs », rappelle un conseiller. Mais élus et responsables le répètent : l’option privilégiée reste un retour rapide aux urnes, « seule issue pour sortir d’une situation intenable ».

Face à ce blocage, Marine Le Pen appelle malgré tout à l’optimisme, à regarder vers l’alternance, une alternance qui « porte un nom et vient de fêter ses 30 ans ». Manière de rappeler que le ticket Bardella à Matignon et Le Pen à l’Élysée reste, pour 2027, la matrice du parti, en dépit des nuages judiciaires : son procès en appel sur son inéligibilité se tiendra entre janvier et février, en plein cœur de la campagne municipale.