Depuis plusieurs années, certain(e)s propriétaires de la résidence des Docks Citadelle aux Deux-Rives sont en conflit avec Domial, leur bailleur social. Malfaçons, ascenseur inondé en cas d’orage, accusation de surfacturation des compteurs d’eau, d’électricité et de chauffage… Ils et elles dénoncent un manque de réponses et ont déjà entamé près d’une dizaine de procédures judiciaires. Plusieurs personnes ont accepté de témoigner de leur situation alors que Domial, contacté, relate sa version des faits.
De l’extérieur, tout paraît idéal aux Docks Citadelle, aux Deux-Rives. Un joli bâtiment de briques rouges à deux pas de l’Allemagne et raccroché au centre-ville par une station de tram, avec vue imprenable sur la Forêt-Noire, la cathédrale et les Vosges. Un lieu présenté comme un modèle d’urbanisme vertueux, écologique et performant, avec ses matériaux sélectionnés pour leur profil environnemental et leur isolation.
En tout : 85 logements, dont 38 en accession sociale, favorisant l’accès à la propriété aux ménages aux revenus modestes grâce à des prix de vente plafonnés avec les aides de l’État et des collectivités. Un projet à plus de 15 millions d’euros, symbolique de la « ville de demain » selon Domial, le bailleur social en charge de la résidence.
Lors de l’inauguration, on avait déjà les pieds dans l’eau.
Propriétaire d’un logement au sein des Docks Citadelle
Sauf que, à l’intérieur de ce bel emballage, la situation est moins reluisante et le vernis craquèle en même temps que les fissures apparaissent. Inauguré en grande pompe au mois de novembre 2022, avec des élu(e)s de l’Eurométropole, il est depuis trois ans le théâtre de près d’une dizaine de procédures judiciaires, principalement entre les propriétaires et Domial, et même d’un futur recours judiciaire.
Ascenseur inondé et en panne lors d’épisodes de forte pluie, logements inondés et défauts d’étanchéité, parking ouvert aux quatre vents… Alors qu’ils et elles se faisaient une fête de vivre dans leur nouvelle résidence, plusieurs propriétaires veulent désormais partir. Plusieurs ont accepté de témoigner anonymement de leur situation et de leur colère envers leur bailleur social, par ailleurs attaqué en justice par un collectif d’habitant(e)s dans le secteur de la Krutenau selon Rue89.
© Nicolas Kaspar / Pokaa
Plusieurs procédures pour des malfaçons
Côté malfaçons, la liste transmise par les différent(e)s propriétaires est longue : fissures dans les logements, infiltrations d’eau dans la façade, ou encore des dalles extérieures avec de gros écarts.
Il y a également des malfaçons à l’intérieur des appartements, comme des portes qui ferment mal, des portes-fenêtres qui ne s’ouvrent pas car bloquées par du carrelage trop haut ou encore une porte de douche qui éclate à cause de l’eau chaude.
Quand on ne connaît pas le détail, c’est un beau bâtiment. Mais à l’intérieur, rien ne va.
Propriétaire d’un logement au sein des Docks Citadelle
© Nicolas Kaspar / Pokaa
La liste des procédures entamées donne un peu le tournis : 8 individuelles pour des parties privatives, une collective pour les malfaçons des parties communes, une entamée par Domial contre le constructeur Urban Dumez… qui s’est ensuite lui-même retourné contre ses sous-traitants. Les procédures de malfaçons ont débuté en novembre 2023, et les procédures judiciaires ont démarré en juillet 2024.
Mais selon une propriétaire, « tout a été stoppé net en décembre ». Désormais, selon une autre propriétaire : « Quand il y a des problèmes, il n’y a personne. »
© Nicolas Kaspar / Pokaa
Contacté, Domial répond via son service communication : « Certains propriétaires de la résidence Les Docks ont entamé une procédure juridique concernant l’absence de certaines finitions ou malfaçons. La procédure est en cours. Un expert judiciaire a été mandaté. Nous restons dans l’attente du rapport d’expertise et d’une décision de justice. »
À l’heure où Pokaa rédige cet article, les expertises des communs n’ont pas encore débuté ; les propriétaires ont tout de même prévu de relancer la machine courant septembre.
À chaque orage, les Docks prennent l’eau
Le plus gros problème des malfaçons reste celui de la pente de la terrasse au 5e étage, mal inclinée et avec des systèmes d’écoulement insuffisants.
Ainsi, le 31 mai dernier, lors d’un épisode de grosse pluie, l’eau, au lieu de s’évacuer par les mécanismes normaux, l’a fait dans la gaine de l’ascenseur, dans la cage d’escaliers, dans le parking et même dans certains logements, comme Pokaa a pu le constater sur des vidéos envoyées par les propriétaires.
À chaque fois qu’il pleut on est en panique.
Propriétaire d’un logement au sein des Docks Citadelle
Un aménagement réalisé par Domial, après plusieurs épisodes de pluie. © Nicolas Kaspar / Pokaa
Résultat ? Panne électrique, inondation et plus de deux mois sans ascenseur, en plein été dans un immeuble qui compte des personnes âgées et des PMR. Interrogé au sujet des inondations, Domial répond : « À la suite des fortes pluies de juin, un dégât des eaux s’est produit dans la résidence. Le sinistre a été déclaré auprès de l’assurance de l’immeuble par le syndic […] et les réparations ont été réalisées. »
Néanmoins, la situation s’est répétée le 1er août, lors d’un nouvel orage. Comme l’exprime une propriétaire, désabusée : « Il n’y a pas de solution des experts pour éviter que cela se reproduise. » Seules des rainures ont été rajoutées sur la terrasse du 5e étage pour favoriser l’écoulement. Sans que cela ne rassure les habitant(e)s : « À chaque orage, on craint pour l’ascenseur. »
Système D au 5e étage pour que l’eau de la terrasse n’atteigne pas l’ascenseur. © Nicolas Kaspar / Pokaa
Le litige autour de la question des compteurs énergétiques
Le deuxième gros point de litige entre certain(e)s propriétaires des Docks et Domial se trouve dans la question des compteurs énergétiques. Selon les propriétaires, ils et elles ont dû, dès la première année, payer aussi le chauffage de la partie locative de Domial (soit 47 logements), sans le savoir. Interrogé à ce sujet, Domial réfute : « Les propriétaires ne paient pas les charges de chauffage des locataires. »
Au-delà de ce désagrément, les propriétaires interrogé(e)s contestent leur facturation pour les compteurs d’eau froide, d’eau chaude et de chauffage sur les deux dernières années alors « qu’aucune facture ni contrat clair et transparent [ne leur] a été communiqué depuis plus d’un an et demi ». Des tarifs deux fois plus élevés que ce qui avait été supposément proposé par un autre opérateur que celui retenu, comme on l’apprend par un courrier envoyé à Domial, daté du 7 septembre et que Pokaa a pu consulter.
Domial refuse de nous donner n’importe quelle information alors qu’ils ont accès à tout. On sait qu’ils ont tout mais ils nous donnent rien.
Propriétaire d’un logement au sein des Docks Citadelle
© Nicolas Kaspar / Pokaa
Sur le sujet des charges, Domial s’inscrit en faux : « À notre connaissance les décomptes de charges des exercices passés ont tous été adressés aux propriétaires. Chaque propriétaire peut avoir accès aux informations via les documents partagés en assemblée générale ou via l’extranet mis à disposition par CITYA, syndic de copropriété actuel. »
Interrogé plus en détail sur les tarifs et sur le choix d’un fournisseur plutôt qu’un autre, le bailleur social s’est contenté de dire que « l’ensemble des éléments mentionnés dans [notre mail, envoyé par Pokaa] a été collégialement validé en assemblée générale de copropriété ou ASL, et repartagé avec les représentants du Conseil syndical en juillet 2025. »
On est face à un mur.
Propriétaire d’un logement au sein des Docks Citadelle
© Nicolas Kaspar / Pokaa
Mais surtout, le coeur du litige porte sur la validation de ces compteurs. Selon les propriétaires, puisque le quorum de voix de la majorité absolue n’avait pas été atteint, cette même AG est considérée comme irrégulière. Ainsi, il n’est pas possible « que Domial se réfugie derrière une validation des comptes dans une AG irrégulière de l’ASL pour justifier le prix exorbitant des compteurs. »
Selon Domial, les comptes de l’Association syndicale libre (ASL) ont été votés en assemblée générale (AG) en octobre dernier, à l’exception des compteurs électriques, comme ils le notifient dans un courrier datant du 5 septembre. En outre, les propriétaires avaient deux mois pour contester cette décision, ce qui n’a pas été fait.
Dans ce dossier complexe, il semblerait finalement que ce soit à la justice de trancher, puisque les propriétaires comptent entamer une contestation judiciaire pour faire invalider l’AG et revenir sur la facturation des compteurs. Quant à Domial, le bailleur social précise également que la prochaine AG de copropriété se tiendra courant du dernier trimestre 2025, ce qui permettra de faire un point sur la situation.
© Nicolas Kaspar / Pokaa
La problématique du parking
Au-delà de ces procédures judiciaires et administratives, les propriétaires souffrent également de la situation du parking accolé à la résidence, « un flop total » selon un(e) habitant(e). D’une capacité de 400 places, il n’est que très rarement utilisé, accolé à la station de tram Citadelle. Mais le gros problème, c’est qu’il est ouvert aux quatre vents, avec des accès non contrôlés. Lors de notre passage, on nous-même remarqué qu’une porte, censée être accessible uniquement avec une clé, pouvait être ouverte sans problème.
Excédé(e)s, les propriétaires dénoncent un parking avec « aucune sécurité, et où on peut rentrer de n’importe où », qui est devenu un « point de deal régulier et lieu de squats » et a été témoin de « scènes de nudité, errance, voire détresse psychologique ». Surtout, par le parking, il est facilement possible d’accéder aux parties communes de l’immeuble, comme Pokaa a pu le constater. Les propriétaires affirment que la police est déjà venue plusieurs fois, sans réelles avancées ou évolutions.
On rentre de partout dans le parking, c’est gratuit, c’est open bar.
Propriétaire d’un logement au sein des Docks Citadelle
© Nicolas Kaspar / Pokaa
Ils et elles mettent ainsi en cause l’Eurométropole de Strasbourg, qui doit assurer la sécurité du lieu, et qui ne répond pas à leurs demandes ou inquiétudes. Contactée, cette dernière assure que le parking « fait l’objet d’une surveillance (agent sur place sur certaines plages horaires, rondes et vidéosurveillance) qui permet d’assurer la sécurité des usagers ». Elle précise également « que les logements ne sont pas accessibles depuis le parking, ils bénéficient d’accès spécifiques situés à l’extérieur des bâtiments ».
Enfin, certain(e)s propriétaires contestent la politique de stationnement mise en place par la Ville de Strasbourg et « ses prix exorbitants » dès 90€/mois pour se garer dans le parking des Docks, ou « 60€ si vous avez la chance d’habiter du bon côté de la rue ». À ce sujet, la Ville répond que « le zonage a été établi selon les limites et frontières géographiques du quartier ». Les propriétaires dénoncent enfin que « la plupart des rues affichées dans la zone de stationnement ne sont pas équipées de places de parking ; à croire que la liste a été faite par des personnes qui n’ont jamais mis un pied dans le quartier ».
© Nicolas Kaspar / Pokaa
« On a juste nos yeux pour pleurer » : les propriétaires désemparé(e)s
En parlant aux différent(e)s propriétaires au sein des Docks, ce qui ressort le plus sont des sentiments de colère et de lassitude face à la situation et aux manques d’informations données par Domial et des autres acteurs institutionnels.
Ils et elles dénoncent l’opacité et la lenteur des réponses de leur bailleur social : « Il y a de la lassitude parce qu’il n’y a pas de résultats, on tourne en rond. »
C’était une fête de venir dans ce quartier et aujourd’hui je n’en peux plus. J’ai envie de vendre.
Propriétaire d’un logement au sein des Docks Citadelle
© Nicolas Kaspar / Pokaa
Les différentes procédures judiciaires lancées depuis deux ans et demi (et à l’arrêt), des problèmes dans les appartements envoyés en mai 2023 et toujours pas réglés depuis ou le refus de fournir les contrats signés avec ENGIE : la gestion de Domial est critiquée. « Ce n’est pas seulement une mauvaise gestion [de la part de Domial], c’est aussi cette façon de faire semblant d’écouter tout en continuant comme si de rien n’était. »
Une propriétaire résume : « C’est David contre Goliath, on ne peut pas faire grand-chose. Domial refuse de nous donner n’importe quelle information alors qu’ils ont accès à tout. On sait qu’ils ont tout mais ils nous donnent rien. Tout le monde table sur l’épuisement, parce que ce sont des experts pour faire traîner les dossiers. Ils espèrent nous avoir à l’usure. »
Néanmoins, si on en croit les propriétaires interrogé(e)s, ils et elles assurent avoir encore de l’énergie et de la motivation pour mener leur combat à l’avenir, notamment avec le futur recours au tribunal administratif.
© Nicolas Kaspar / Pokaa