À 8 mois et demi, Ziggy est déjà un vieux briscard de la recherche. Sur le campus Saint-Charles (1er) de Marseille, il est même bardé de diplômes « pour sa brillante contribution scientifique à la recherche en sciences cognitives » : depuis ses trois mois, Naomi, sa maman, l’emmène en effet régulièrement prêter main-forte aux chercheurs et chercheuses du Labo des minots, qui récompensent ainsi, avec humour, leurs plus jeunes recrues.
Intégré au Centre de recherche en psychologie et neurosciences, une unité mixte d’Aix-Marseille université et du CNRS, ce laboratoire axe ses travaux sur le développement du langage, la cognition sociale (c’est-à-dire la conscience des états mentaux d’autrui et de soi-même) et la sensomotricité des enfants.
Comment pense le bébé ?
Ils sont ainsi 300 tout-petits à venir comme Ziggy jouer, babiller, suivre le trajet d’une balle, désigner un objet, réagir à un son ou une image, crapahuter de leurs petits pas maladroits et intrépides. Bref, sans le savoir, aider les scientifiques à mieux comprendre le développement de l’humain : « Comment pense le bébé, comment manipule-t-il des concepts sans le langage, c’est ce que nous tentons de mesurer », explique Isabelle Dautriche, chargée de recherche au CNRS dans l’équipe DePhy (Développement et phylogénie). Car même sans le verbal, les bébés sont de grands bavards pour qui sait les observer. « On sait que les bébés ont une pensée très riche depuis la moitié du XXe siècle, mais on ne sait pas comment ils pensent, comment se fait le lien entre les connexions neuronales et leur comportement. »
Pointer, c’est nommer
Sur les tapis pastel et les plans inclinés du « Baby lab », l’équipe du Labo des minots se sert de différentes méthodes pour mener ses expériences. L’imagerie cérébrale ou oculométrie, par exemple, qui permet de suivre le regard de l’enfant, sa durée, etc. Que regarde-t-il, par quoi semble-t-il surpris ?
Dès 4 mois, les tests montrent qu’un bébé sait par exemple qu’un objet ne traverse pas une surface – il a donc une appréhension des règles de la physique. À 8 mois, Ziggy, lui, a bien compris la notion de permanence : une tomate cerise cachée sous une coupelle y demeure même si elle devient invisible.
On peut aussi poser des petits écouteurs sur ses mini-oreilles et observer, via des électrodes et des diodes infrarouges posées sur un bonnet, ses réactions à différents sons ou mots. Des idées reçues s’écroulent : on pensait les bébés tels des éponges inertes, on se rend compte que ce sont des éponges… actives, des « acteurs de leur propre apprentissage ».
Et les écrans dans tout ça ?
Ainsi, le fait de pointer un objet, une personne – effectuer un geste intentionnel, donc – semble corrélé avec l’acquisition précoce du vocabulaire. Avant de se traduire en mots, le monde est pour les bébés d’abord une suite de mouvements, de gestes de plus en plus fins, orientés. Et les écrans dans tout ça ? Caroline Coindre, ingénieure d’études au CNRS, responsable technique du Labo des minots, l’assure : « Très peu d’études montrent leur effet sur le développement cognitif du bébé lorsque l’on contrôle par d’autres facteurs confondus. » C’est seulement au-delà de 3 h d’exposition quotidienne que l’on observe « une petite différence » de développement, mais « beaucoup moins déterminante » que d’autres facteurs comme la quantité de paroles adressée à l’enfant, par exemple. Parler, chanter, jouer, proposer à son enfant différents types d’activités, de contextes, de matières et de formes, d’interactions, voilà ce qui va stimuler son immense appétit de saisir le monde, confirme Isabelle Dautriche.
Le Labo des minots recrute en permanence de nouveaux bébés, enfants et ados pour ses expériences sous forme de jeux. Toutes les infos sur https://labodesminots.univ-amu.fr/et mail [email protected] et 06 26 28 13 73.