Les élections municipales approchent, allez-vous mobiliser les étudiants sur le sujet ?

Nous allons lancer une grande campagne de communication pour que nos étudiants s’investissent dans la politique, en commençant par la politique locale pour savoir dans quelle ville ils veulent vivre. Il faut que les étudiants s’inscrivent sur les listes électorales, qu’ils aillent voter, qu’ils expriment leur opinion pour ne pas laisser la place à des extrêmes qui sont toujours dangereux. Nous lançons aussi une grande enquête avec la Fondation Jean Jaurès sur les besoins des jeunes à Aix-Marseille Université. Nos étudiants vont être interrogés et vont pouvoir s’exprimer sur les transports, le logement, la médecine, etc.

Allez-vous recevoir les candidats sur vos campus pour des débats ?

On va plutôt rendre l’enquête de la Fondation Jean Jaurès accessible à tous. Nous allons afficher en ville les résultats avec la mention : « Les étudiants d’AMU ont quelque chose à vous dire. » Ce sera aux politiques de se saisir de cette enquête. À Marseille et à Aix, nous aimerions ensuite inviter les candidats dans un grand amphi pour qu’ils puissent répondre aux questions de nos étudiants et s’engager sur trois propositions concrètes. Aix-Marseille Université, c’est un potentiel de voix énorme. Il ne s’agit pas seulement des étudiants mais aussi des 8 000 collègues qui, pour 80%, habitent à Marseille.

Alors qu’étudier à l’université coûte de plus en plus cher, que « la précarité s’installe » chez les étudiants selon les mots du Secours populaire, comment agissez-vous, notamment sur le logement, l’alimentation ?

Le logement ne dépend pas du tout d’Aix-Marseille Université mais du Crous. Selon une étude de 2023, on voit que 37% des étudiants ont des difficultés à payer leur loyer et qu’1% n’a pas de logement fixe aussi. AMU a pris ce sujet de la pauvreté en main. Nous avons créé des centres de santé pour nos étudiants, y compris internationaux et nos personnels. Ce n’est pas notre rôle au départ, mais c’est quelque chose que l’on souhaite faire. Nous avons aussi créé des épiceries solidaires avec des associations étudiantes. Le logement, on a choisi de s’y attaquer de deux manières : d’abord en faisant des logements étudiants mais aussi pour nos personnels. Les collectivités nous aident ainsi que des partenaires privés comme le groupe CMA CGM (propriétaire de La Provence, NDLR) et sa fondation ou encore le Crédit agricole.

Vous dites que ces sujets ne sont pas de votre responsabilité, vous menez pourtant des actions concrètes, les pouvoirs publics ne sont donc pas à la hauteur des enjeux ?

Quand je crée des centres de santé dans lesquels j’engage des médecins, ce n’est pas obligatoirement ma mission. Mais moi, je considère que ça fait partie de la mission d’AMU de s’occuper de ses étudiants et de ses personnels. Je considère que malgré toutes les qualités qu’on peut avoir sur l’engagement des ministres, on doit changer de modèle économique des universités. C’est le message que je porte depuis des années, il faut révolutionner la manière dont nos universités sont financées. Nos universités, ce sont nos jeunes, notre avenir, la formation, la recherche, la connaissance. Un État qui n’investit pas assez dans sa jeunesse va dans le mur. Tous les conflits internationaux que nous vivons actuellement sont dus au fait que les peuples se referment sur eux-mêmes et cultivent une méfiance. À partir du moment où vous n’investissez pas dans les universités, cela veut dire que vous n’investissez plus dans l’enseignement et la formation de la jeunesse, la connaissance de l’autre, l’ouverture vers l’autre, la recherche, l’enseignement, vous alimentez une espèce d’isolationnisme. C’est le rôle de l’État de faire en sorte que nos étudiants puissent manger, se loger, se soigner, se déplacer, voyager. C’est ce qui fait qu’un pays est dynamique. C’est pour cela que je prône l’idée que les étudiants puissent avoir un revenu pendant leurs études avec des conditions de succès, d’assiduité.

Comment se passe l’accueil des enseignants-chercheurs américains à AMU ?

C’est une expérience folle. Nous avons été totalement dépassés par le succès de ce dispositif « Safe Place for Science » après ce qui s’est passé aux États-Unis et les coupes budgétaires dans les universités. Nous avons lancé ce programme pour donner un asile scientifique à des collègues travaillant dans les laboratoires américains. Nous avons reçu en tout plus de 600 candidatures. Ce ne sont pas des jeunes chercheurs mais plutôt des chercheurs installés, référents dans le domaine de la climatologie, des sciences humaines et sociales, de la médecine, de la biologie, en particulier dans le domaine des vaccins à ARN messager, sur les humanités, certains viennent aussi de la NASA. Nous consacrons 17 millions d’euros à l’accueil de ces chercheurs américains. Il est vraiment nécessaire de montrer que l’Europe de la connaissance a une réponse à ce qu’il se passe sous l’administration Trump.

« Notre université n’est pas différente de la société, il y a beaucoup d’actes antisémites et du racisme. Il y a une tolérance zéro et l’université prend ses responsabilités, nous sommes intransigeants. »

Est-ce que vous êtes inquiet des remises en question de la science et de ce que certains nomment le « wokisme » qui infiltrerait les recherches universitaires en sciences humaines ?

Je suis inquiet en général de la bêtise. Je ne catégorise pas les sciences. Quand on travaille en géographie, en histoire, sur les études de genre, sur la physique, sur la mécanique, sur les vaccins, il y a une démarche scientifique qui est quantifiée, qui est vérifiable. La science, on le dit souvent, ce n’est pas une opinion, il n’y a pas de sciences alternatives. Il y a des faits scientifiques, tout comme il y a des faits historiques. La rigueur de la science, elle est là sur l’ensemble des disciplines, en tout cas à l’université. Il y a une démarche scientifique qui s’appuie sur des travaux, de la bibliographie, de la méthodologie, c’est ça la science.

Continuez-vous à vous mobiliser sur l’antisémitisme, le racisme et toute forme de discrimination ? Constatez-vous une recrudescence de ces actes à AMU ?

Nous allons travailler de manière encore plus approfondie sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme par de grandes actions, des conférences, de l’affichage pour rappeler qu’il s’agit d’un délit. Il y a une tolérance zéro et l’université prend ses responsabilités, nous sommes intransigeants. Notre université n’est pas différente de la société, il y a beaucoup d’actes antisémites et du racisme. On le combat, mais on veut aussi éduquer. Quand on investit dans la jeunesse, on investit dans la connaissance de l’autre, ces notions de racisme et d’antisémitisme doivent diminuer obligatoirement. L’université, c’est la connaissance et la connaissance, c’est l’inverse de la méfiance.

Et si l’on vous propose le portefeuille de ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, vous l’acceptez ?

(Sourire) Je suis très occupé à AMU.

BIO EXPRESSÉric Berton est Président d’Aix-Marseille Université (AMU) depuis le 6 janvier 2020.Auparavant, il a été Doyen de la Faculté des sciences du sport d’AMU entre février 2010 et décembre 2019, en parallèle, il a été Vice-Président Innovation et Valorisation de l’université entre 2012 et 2020.Il a reçu la médaille de bronze du CNRS en 2000 et a été fait Officier dans l’ordre des Palmes Académiques en 2021 et Chevalier de la Légion d’Honneur en 2015.Il est Directeur de l’Institut des Sciences du Mouvement (ISM) UMR 7287 à Aix-Marseille Université CNRS.

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