Ne parlez pas de peines planchers… Même si ça y ressemble beaucoup. Après l’agression, jeudi après-midi, à Tourcoing (Nord), d’un fonctionnaire de la brigade anticriminalité, le ministre de la Justice démissionnaire a sauté sur l’occasion pour relancer son idée d’instaurer dans le Code pénal des peines minimales « pour les agresseurs de policiers, de gendarmes, de pompiers ou du personnel médical ». Un projet de loi « qui est écrit, qui n’attend plus que le Conseil des ministres et le vote du Parlement », a indiqué Gérald Darmanin, devant le commissariat de la ville où il s’est rendu vendredi. Il souhaite « un débat pour savoir quel est le tarif minimum lorsque l’on commet des actes » violents sur des représentants de l’Etat. Cette peine, a-t-il précisé, ne pourrait « pas être en dessous de plusieurs semaines, plusieurs mois, de prison ferme ».

Le garde des Sceaux avait déjà formulé cette proposition en juin dernier, sur le plateau du « 20 heures » de TF1, après les violences qui avaient éclaté en marge de la victoire du PSG en Ligue des champions. Une mesure soutenue par les syndicats de police, en particulier Alliance. « C’est une bonne idée que le garde des Sceaux aujourd’hui mette ça sur la table. Pour nous, si on touche un policier, ou même aux gendarmes, aux pompiers qui se font caillasser dans les cités ou aux profs, ça devrait être la case prison sans discussion. Parce que justement ils représentent l’Etat », explique à 20 Minutes Yoann Maras, délégué national de l’organisation.

Des peines fermes, « sans aménagement »

Le fait de commettre des violences à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public constitue une circonstance aggravante alourdissant la peine encourue. Ce qui ne « suffit pas », estime Yoann Maras. « Si on prend l’affaire de Tourcoing, les mecs risquent sept ans d’emprisonnement. On sait très bien qu’ils ne les feront pas. Il y a un maximum dans le Code pénal, il faudrait qu’il y ait un minimum. Le juge doit pouvoir choisir une peine située entre le minimum et le maximum pour individualiser la peine. Il faut des peines fermes, sans remise de peine, sans aménagement. Même si elles sont plus courtes, elles doivent être prononcées tôt. A Tourcoing, les mis en cause sont très jeunes. S’il n’y a pas de réponse ferme apportée tout de suite avec un passage par la prison, vous leur donnez un sentiment d’impunité. »

« Ce n’est pas du tout la même chose » que les peines planchers qui avaient été instaurées par Nicolas Sarkozy, assure à 20 Minutes l’entourage de Gérald Darmanin. « Elles s’appliquaient en récidives, alors que les peines minimales s’appliqueraient dès le premier fait pour un certain type de délits, c’est beaucoup plus dur que les peines planchers », insiste cette source place Vendôme.

« Une promesse en l’air »

Pour le constitutionnaliste Benjamin Morel, « il n’y a pas de différences fondamentales » entre ces deux types de peines. « Dans ce qu’il évoque, dans la manière dont il l’évoque, on retrouve le principe des peines planchers », souligne auprès de 20 Minutes le maître de conférences à l’université Paris Panthéon Assas. « Il y a une différence de terminologie, probablement pour des raisons de communication. Comme il en est coutumier, Gérald Darmanin propose un truc qui est inconstitutionnel. A partir de là, il sait qu’en parlant de peines planchers, tout le monde va faire le lien avec le fait que ça ne peut pas passer et que c’est un peu une promesse en l’air. »

En effet, en 2005, le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe d’individualisation des peines « qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789 ». « On ne peut pas fixer pour un crime ou un délit une peine qui serait obligatoire », résume Benjamin Morel. Les Sages ont bien « autorisé le principe d’avoir des peines minimales indicatives ». Tout en précisant que « le juge pouvait en déroger », observe le constitutionnaliste. « Si vous mettez une peine plancher, cela signifie que quoi qu’il arrive vous écoperez a minima de cette peine. C’est donc contraire au principe d’individualisation des peines. On peut être pour ou contre, juger que cela se fait à l’étranger et que personne ne s’en indigne. Mais ce n’est pas possible en France. » Si ce projet de loi devait être voté, il serait forcément « retoqué » par le Conseil constitutionnel, estime-t-il. Il faudrait, pour qu’elle soit applicable, « une révision constitutionnelle ».

« Il n’y aura pas d’automaticité »

Ce qui fait dire à Benjamin Morel qu’il s’agit d’une proposition « politique » destinée à « envoyer un signal à l’opinion », alors que les personnalités d’extrême droite caracolent en tête des derniers sondages d’opinion. Lors des élections législatives, en 2024, Jordan Bardella évoquait d’ailleurs lui aussi dans son programme sa volonté de mettre en place ce dispositif pour le trafic de stupéfiants ou pour les atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique.

« Le principe de l’individualité est tout à fait présent pour les peines minimales comme pour les peines planchers », assure cependant l’entourage du garde des Sceaux à 20 Minutes. « Le juge peut relaxer ou condamner. Ça ne changera rien sur l’individualisation de la peine car il n’y aura pas d’automaticité. Ce serait inconstitutionnel si on dit qu’on prend quatre ans pour un coup de poing donné à un policier par exemple. A partir du moment où on est déclaré coupable et condamné à une peine de prison, il y aura des bornes inférieures et supérieures. »