Salon du Bourget, lundi 16 juin 2025. Après avoir dévoilé en octobre 2024 un rover de démonstration nommé Flip, qui testera sur la Lune leurs technologies critiques, comme les batteries et leur roue révolutionnaire, le groupe monégasque Venturi Space a dévoilé un nouveau prototype de rover européen, baptisé Mona Luna. Il sera développé et construit à Toulouse.

Venturi Space est associé à l’entreprise américaine Astrolab, dont son rover Flex est en lice dans la phase finale de sélection de la Nasa pour transporter les astronautes du programme Artemis sur la Lune. Basé à Monaco, avec des installations en Suisse, Venturi Space débarque en France avec Mona Luna.

On fait le point avec Stéphane Mary, directeur techniquedirecteur technique de Venturi Space et ancien chef de projet au Cnes du petit rover Idéfix, qui roulera sur la lune martienne PhobosPhobos avec la mission japonaise MMX.

Stéphane Mary : On va se localiser de manière totalement autonome à l’aide d’un star trackertracker [viseur d’étoiles, instrument qui mesure leurs coordonnées, NDLRNDLR], d’un gyromètre de haute performance et d’un gravimètre, un accéléromètreaccéléromètre pour mesurer sa position par rapport au centre de la Lune. Grâce à ces différents instruments et des algorithmes complexes, on arrive à se localiser et à déterminer un cap pour savoir où rouler.

Futura : À quel point la navigation sur la Lune sera-t-elle autonome ?

Stéphane Mary : Il y a des modes de navigation. On a des équipes, notamment en France, qui y travaillent. C’est pour s’adapter aux contraintes et au fait que l’on a peu d’informations sur la Lune. On est sur de la démonstration technologique, avec une architecture de caméras pour détecter des rochers, sur lesquels on peut rouler ou pas, et des cratères pour ne pas tomber sur des pentes trop importantes.

Futura : Quel type d’obstacle le rover peut-il franchir, en hauteur, en profondeur ?

Stéphane Mary : La garde au sol, c’est une trentaine de centimètres. Et on ne veut pas descendre dans des pentes de plus de 20 degrés. Nos roues sont dimensionnées pour ça. Si l’on s’arrête dans une pente, pour pouvoir remonter, il faut quand même beaucoup de puissance.

Stéphane Mary : Il faut rappeler que la nuit lunaire dure 14 jours terrestres. On a prévu le minimum d’opérations à bord pour survivre, parce que nos batteries de plusieurs dizaines de kilowatts sont dimensionnées uniquement pour survivre à la nuit. C’est un vrai challenge, car il fait -120 °C, donc toute l’énergieénergie sert à réchauffer le rover.

Futura : Mona Luna ne fonctionnera donc pas vraiment la nuit ?

Stéphane Mary : Tout à fait. On va s’arrêter avant de passer en mode nuit lunaire. On va l’orienter pour que le générateurgénérateur soit prêt à capter les premiers rayons du soleilsoleil quand il se lèvera. On va éteindre le maximum d’instruments et juste garder de quoi enregistrer des données et les transmettre de manière régulière vers la Terre parce que, pendant la nuit lunaire, il y a aussi beaucoup d’informations sur les propriétés du sol qui diffèrent selon où l’on est.

Futura : La température est aussi extrême le jour. Comment Mona Luna assurera-t-il son contrôle thermique ?

Stéphane Mary : D’un côté, on veut qu’il résiste à la nuit lunaire et, en même temps, on veut rouler. Quand on roule, on a deux kilowatts de moteur à bord. Il y a donc beaucoup d’énergie, notamment thermique, à dissiper. On a un système de contrôle par boucles pour pouvoir dissiper l’énergie quand on roule et, en même temps, être hyper isolé la nuit.

Ça fait partie des défis de la mission en tant que démonstrateurdémonstrateur pour ce premier modèle. Et l’idée est d’avoir toutes les briques technologiques pour pouvoir ensuite passer à des rovers plus importants en massemasse et passer de 750 kilos pour Mona Luna à 1,5 ou 2 tonnes par exemple, pour avoir un maximum de charge utile à bord.

Stéphane Mary : Communiquer en roulant, c’est extrêmement compliqué. On a des études avec des sociétés comme Skynopy pour faire de la communication directe Terre-Lune, donc il y a des faisabilités. Cependant, retransmettre les images en même temps que l’on roule, là on est dans la démonstration technologique et on aura peut-être au début des modes différents, que l’on va tester comme on le fait sur les rovers martiensrovers martiens.

On planifie sur quelques mètres, on avance, et on replanifie. On pourra néanmoins faire plusieurs boucles dans la journée car la communication est très rapide [entre 1,2 et 1,3 seconde pour parcourir la distance entre la Terre et la Lune, NDLR].

Futura : Qu’attendez-vous de l’ESA et du Cnes dans le développement du rover ?

Stéphane Mary : Ils nous soutiennent. On a engagé des premiers contacts avec le Cnes pour avancer techniquement et discuter avec leurs différents experts sur la radiation, sur la thermique, sur le choix des composants.

Par exemple, à bord, on développe une nouvelle stratégie de pilotage de la batterie, le BMS (Battery Management System), entièrement numériquenumérique. Ça, ça ne se fait pas dans le spatial… Alors on a besoin de l’expertise du Cnes et de l’ESAESA pour faire mûrir cette technologie et avoir les équipements les plus performants possibles.

Futura : Après Monaco et la Suisse, Venturi s’installe à Toulouse. Pourquoi ?

Stéphane Mary : C’est la place centrale pour le spatial en Europe. L’écosystèmeécosystème toulousain permet de monter rapidement en compétences et d’avoir toutes les ressources nécessaires pour faire un rover de cette taille. Mona Luna, c’est 750 kilos, ça correspond à une petite voiture. Aussi on a besoin de gens qui ont des compétences dans l’automobileautomobile.

Futura : Qu’est-ce qui va être fait à Toulouse ?

Stéphane Mary : Le développement, l’intégration et les tests du rover seront faits à Toulouse. On va aussi développer toute la partie électronique et logicielle. Actuellement, on est dans une phase transitoire où nos locaux ne sont pas encore définitifs. Après, on investira un grand bâtiment qui est en constructionconstruction, pour pouvoir accueillir toutes les équipes et avoir nos salles propres d’intégration.

Futura : Quel niveau de propreté est requis pour construire un rover lunaire ?

Stéphane Mary : Pour la Lune, les directives du Cospar [Comité international dédié aux sciences spatiales, référence en politique de protection planétaire depuis 1964, NDLR], recommandent d’être en ISOISO 8. Ainsi, c’est une salle propre classique pour le spatial.

Futura : Quels terrains lunaires allez-vous utiliser pour les tests ?

Stéphane Mary : Le terrain du centre Luna [à Cologne] permet d’avoir un environnement très représentatif au niveau notamment du régolitherégolithe. Par contre, il est très difficile d’utilisation car il faut toujours se mettre en combinaison de protection. Donc, nous aurons quand même notre propre terrain, notamment pour faire tous nos essais de navigation autonome.

Futura : En tant qu’ancien chef de projet du rover Idéfix au Cnes, qui roulera en conditions de microgravité, cela devait être un saut impressionnant de se retrouver dans le développement d’un gros rover de 750 kilos !

Stéphane Mary : Oui, il y a beaucoup de découvertes, mais c’est l’aspect automobile qui est le plus intéressant, car je suis entouré de beaucoup de personnes qui viennent du milieu du sport auto. La chaîne de traction, c’est celle d’une voiture. Les batteries de plusieurs dizaines de kilowattheures, ce sont des batteries de voituresbatteries de voitures. On n’est plus sur des petites batteries de satellites.

On a des contraintes, on a des expériences. On doit mixer les deux parce qu’avec la fiabilité du spatial, il n’y a pas d’arrêt au stand. Ce n’est pas une course auto. Il faut donc la qualité et la rigueur du spatial, il faut des composants qui résistent à un environnement très hostile, et en même temps il y a des technologies et des procédés issus de l’automobile à prendre en compte. C’est cela qui est super intéressant chez Venturi Space et c’est pourquoi j’ai fait le saut après 25 ans passés au Cnes.