REPORTAGE – Dès 2005, les autorités avaient signalé la présence de résidus de plomb et d’arsenic le long du chemin des Goudes, héritage d’un passé industriel lointain, et alerté sur les risques sanitaires majeurs encourus par les habitants et les touristes.
Le décor est idyllique. La mer scintille au soleil le long des roches blanches typiques des calanques de Marseille, où le bleu de la Méditerranée reflète le ciel azur du mois de septembre. Au-dessus du village typique des Goudes, dans ce bout du bout de Marseille (8e arrondissement), la quiétude habituelle a fait place au ballet des pelleteuses.
Car il ne faut pas se fier aux apparences. Derrière ce cadre enchanteur se cache un cocktail explosif, héritage d’un passé industriel quelque peu oublié. Jusqu’au début du XXe siècle prospéraient des entreprises sidérurgiques et métallurgiques qui entassaient leurs résidus polluants dans ce secteur peu fréquenté. Résultat : des milliers de tonnes de plomb et d’arsenic accumulés que certains prennent pour du sable, n’hésitant pas à se prélasser dessus avec leurs serviettes ou à laisser leurs enfants jouer avec.
Dès 2005, un rapport de l’institut de veille sanitaire, aujourd’hui Santé publique France, donne l’alerte : ces scories de couleur marron représentent un risque de saturnisme pour les enfants. Les années passent mais, mis à part l’interdiction de pêcher les oursins et les moules du secteur, rien ne bouge véritablement. «C’est un chantier qui coûte extrêmement cher, en raison d’une pollution qui est historique», explique Cécile Morciano, responsable santé et environnement à l’Agence régionale de santé (ARS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca).
Chantier à 14 millions d’euros
En décembre dernier, la justice pousse les autorités à accélérer. Saisi notamment par des associations de riverains, le tribunal administratif de Marseille a condamné l’État à dépolluer et mettre en sécurité 29 hectares de terrains contaminés. Le chantier, dont le montant est estimé à 14 millions d’euros, a officiellement commencé au début du mois de septembre.
Toutefois, sur les 77 sites pollués identifiés par la justice, seuls 20 d’entre eux vont réellement être «mis en sécurité» dans ce cadre, la dépollution semblant impossible selon les responsables du chantier. «Ça n’est pas une dépollution parce qu’aujourd’hui, on ne peut pas retirer le plomb et l’arsenic de ces matériaux directement, affirme Mélody Gros, chef de projets Sites et sols pollués à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) en charge de ce chantier XXL. Les seules solutions qui existent sont : soit le retrait pour aller confiner dans des installations spécifiquement dédiées pour ces déchets dangereux, soit le confinement sur place.»
La peur des poussières
«La sélection de ces 20 sites a été faite selon plusieurs critères techniques, poursuit Mélody Gros. Il y a d’abord la concentration. On a regardé les dépôts qui présentaient la concentration la plus importante, et donc le risque le plus important de contact direct avec ces scories.» L’État a également ciblé les sites les plus fréquentés et les plus accessibles.
Une méthodologique qui n’est pas sans soulever questions et inquiétudes chez les riverains. «Les travaux envisagés ne couvrent pas la totalité de la décision de justice, souligne Me Florent Tizot, avocat des associations et collectifs qui avaient saisi le tribunal administratif. Il y a un vrai flou académique sur ce qui est prévu pour ces sites. Soit ce sera pour plus tard, et ils ne le disent pas, soit ces sites sont délaissés. Et puis, il ne faudrait pas que ça pollue plus que ça ne dépollue…» Dans cette zone où le mistral souffle régulièrement et très fort, les riverains craignent en effet que les travaux brassent les polluants, jusqu’à respirer des poussières de particules fines dangereuses pour la santé.
Deux phases de travaux
«Nous connaissons les risques inhérents à tout chantier de dépollution, notamment le ravinement dans la mer et l’envol de poussières et particules contaminées lors des excavations, terrassements et transports, malgré la prévention et les précautions prises sur le chantier», écrivent dans un communiqué commun l’association Santé littoral Sud pour l’environnement, l’Union calanques Littoral et la fédération d’action régionale. Les collectifs réclament aussi que les riverains fassent «l’objet d’une veille et surveillance sanitaire par les services spécialisés de l’État.»
Un dispositif que Cécile Morciano ne juge «pas nécessaire». «Nous allons mettre en place des aspiratrices avec des filtres extrêmement performants qui permettent d’éviter des émissions au moment des opérations d’aspirations, promet Mélody Gros. Nous allons également procéder à des brumisations au plus près des zones de travaux pour abattre les éventuelles poussières dégagées au moment des opérations.» L’État assure également procéder régulièrement à des contrôles de particules fines dans l’air et vouloir stopper les travaux dans les deux heures si le seuil d’alerte est atteint. Une première phase de traitement de 2500 tonnes de scories, sur sept sites, est prévue jusqu’en mars 2026, suivi d’une seconde sur les 13 autres entre septembre 2026 et mars 2027.