La meilleure porchetta de Nice? Pour de nombreux Niçois, cette recette de cochon farci de ses abats, est estampillée Ghibaudo-Pottier. La maison spécialisée dans la charcuterie et les plats traiteur, installée depuis 2 ans, 10, boulevard Jean-Jaurès, a de quoi se monter le groin. Nicolas Pottier, le patron, l’affirme: « Je pense que nous sommes les derniers à fabriquer cette porchetta issue d’une recette ancestrale, typique du Vieux-Nice, déposée au patrimoine mondial immatériel de l’humanité de l’Unesco! »
Ce cochon rempli de lui-même, signe l’identité, l’image de l’enseigne emblématique pour les Niçois. Un plat régulier (une porchetta vendue chaque jour), qui demande beaucoup de temps, de savoir-faire et d’amour. Pourtant, à leur arrivée, Nicolas et avant lui son frère Laurent, originaires de la Sarthe, ne connaissaient pas le produit. « La porchetta, on l’a apprise ici. Notre prédécesseur, Monsieur Gelati, qui l’a transmise à mon frère, la tenait de Monsieur Chiodo, qui lui-même la tenait de Monsieur Ghibaudo. La recette était orale. Rien d’écrit. C’était au pif. Mon frère et moi l’avons codifiée en calibrant les quantités, en diminuant le sel. »
Des cuissons séparées
La farce? Sans dévoiler tous les secrets de fabrication, Vincent, l’un des cuisiniers, énumère les ingrédients destinés au fourrage de la bête: « Panse, tête, masque-groin, cœur, couenne, foie, sel, poivre, herbes, fenouil, ail. »
Les morceaux arrivent bruts. On les découpe grossièrement. « Ensuite, reprend Nicolas Pottier, ce ne sont que des cuissons séparées dans un bouillon aromatique. Une fois que tout est cuit, refroidi, on prépare la farce. Tout est taillé en petits morceaux à la main et au couteau. C’est beaucoup de temps et il faut aimer les odeurs de cuisine. »
Une spécialité physique
L’autre partie, c’est le cochon à remplir. Il débarque de Bretagne, à part, comme une enveloppe vidée de ses viscères. Il y a la tête et les pattes. Qu’on désosse. Lorsque tous les os sont ôtés, on le recoud, on le farcit, on le recoud une seconde fois et on le ficelle très fort comme un rôti. Vincent en sait quelque chose: « La porchetta, c’est physique. La farce doit être bien compacte. Il ne faut pas laisser passer l’air. » Il est alors temps de placer la bête formant un gros cylindre, dans un four spécial: « Elle cuit la nuit, 12 heures, entre 120 et 150 degrés afin d’obtenir le croustillant de la couenne. Ensuite, elle passe en cellule de refroidissement durant plusieurs heures. » Chez Ghibaudo-Pottier, on débite six porchettas par semaine.
Un cochon voyageur
À déguster froid ou chaud. « C’est encore meilleur chaud, car les textures diffèrent, les sucs, les saveurs s’expriment différemment », considère Nicolas. Et attention: rien à voir avec la porchetta italienne, « viande de cochon assaisonnée d’herbes, ficelée et cuite au four, mais sans la farce composée par les abats ».
La plupart des clients achètent la porchetta toute prête. Des gens du cru, mais également des Français, des Américains, des Canadiens. « La porchetta voyage beaucoup », d’autant qu’elle peut être conditionnée sous vide et durer ainsi huit jours, d’après une étude vétérinaire. « Mais, rajoute le traiteur-charcutier, certains clients viennent acheter les éléments séparément pour confectionneur eux-mêmes leur porchetta. Sinon, il m’arrive de préparer des petites porchettas de 8 à 15 kilos pour des réceptions, des mariages… »
Une institution depuis 1877
Au 10 boulevard Jean-Jaurès, sur les trois niveaux jadis occupés par un magasin de meubles, Marine Pottier, elle aussi originaire de la Sarthe, fait visiter les coulisses de l’affaire, qu’elle dirige avec son époux. Il y a 2 ans, Ghibaudo-Pottier a quitté les locaux aussi étroits qu’un boyau du 29, rue Pairolière pour cette nouvelle structure totalement neuve et moderne, où s’activent désormais dix-sept personnes. Au niveau -1, arrivent les marchandises par une cour extérieure partagée avec le théâtre des Franciscains. C’est aussi l’étage de deux cuves récupérant les huiles de cuisine revendues en bio carburant, des chambres froides – dont le dispositif est relié aux portables des deux patrons pour surveiller en permanence la température –, de l’économat, des réserves et de la lingerie. Au rez-de-chaussée, la boutique, où il faut prendre son ticket d’attente.
C’est dire le succès des plats. À l’étage, le laboratoire équipé pour la zone chaude (four à porchetta, fumoir), la zone de fabrication pour la charcuterie, les hors-d’œuvre, les pâtisseries sucrées ou salées. Les trois niveaux sont reliés par un ascenseur créé pour la circonstance. « Malgré la compréhension de notre propriétaire, raconte Marine, nous avons dû déposer huit permis en mairie et respecté les consignes des Bâtiments de France, car la maison est classée. »
Un apprenti devenu patron…
L’enseigne date de 1877. « La maison, à l’origine une charcuterie qui vendait cochon et porchetta, a été créée par Monsieur Ghibaudo, qui a ensuite vendu à un apprenti venu du Piémont après la Première Guerre mondiale, continue Marine. Cet apprenti a fait de même avec son apprenti et ainsi de suite. Plusieurs familles se sont succédé. Ghibaudo, c’était le fondateur, voilà pourquoi son nom perdure. » Nicolas prend le relais de son épouse: « J’étais apprenti charcutier-traiteur dans la Sarthe. Issus d’une famille de charcutiers. J’ai intégré un restaurant gastronomique durant 4 ans. En 2003, je suis venu à Nice prêter main-forte à mon frère Laurent, qui avait racheté l’entreprise. » Ce frère travaillait auparavant aux États-Unis avant de revenir en France, en quête d’un climat similaire. D’où le choix de Nice.
Nicolas, lui, devait repartir à Cancale. La vie en a décidé autrement: « Mon frère rencontrait des difficultés de recrutement de personnel. Je suis resté. Sans regret. Ensemble, c’est-à-dire à quatre personnes, on a développé l’entreprise en lui apportant la touche traiteur. Puis, je l’ai rachetée avec ma femme en 2014, car l’épouse de mon frère, américaine, avait le mal du pays et voulait retourner en Floride. Et moi, je voulais m’installer. »
… Et une aide-soignante
Le nom de Pottier s’est ainsi greffé à celui de Ghibaudo. Aïoli, brandade, petits farcis niçois, bourride de poisson, jambon et pâté en croûte, quiches, volailles de Bresse et de Pierlas, lapins et porcs français (seule la souris d’agneau vient de Nouvelle-Zélande)… se sont mis à faire les choux gras de ce commerce en pleine expansion. Porté par un couple, aujourd’hui à peine quadragénaire, particulièrement motivé et bienveillant. « Moi, à la base, confie Marine, je suis aide-soignante, mais j’aime manger, j’apprécie les bons produits. Alors, j’ai suivi mon mari. Et puis, il y a le contact humain positif, qui nous ravit. On a beaucoup de clients fidèles. On connaît leurs goûts, leur vie. »
Le succès ne s’est pas fait attendre. Les Pottier l’attribuent « aux produits choisis, au débit garant de la fraîcheur, aux prix corrects, au 100% fait maison y compris les bouillons, les fumets ». Un savoir-faire et un appétit pour les challenges qui leur ont valu de passer plusieurs fois à la télé: Météo à la Carte sur France 2, La Meilleure Boulangerie de France sur M6, etc. Alors, oui, leurs plats cuisinés et leur porchetta magique, c’est du cochon et surtout de l’art. Du grand art.