C’est le troisième ouvrage sur Cyril Hanouna, sans compter ceux écrits par l’animateur télé lui-même, dont le dernier en date avec l’éditorialiste Christophe Barbier (Ce que m’ont dit les Français éd. Fayard). Après le journaliste René Chiche, l’avocat militant Juan Branco, l’éditorialiste politique de l’émission Quotidien, Jean-Michel Aphatie, se penche à son tour sur le trublion du PAF dans T’es une merde frère. Signé Hanouna (éd. Plon). Le titre vient d’un SMS de Cyril Hanouna à l’auteur qui lui disait plus crûment « Tout le monde s’en balec’ de ton livre. T’es une demer frère. »
Devrions-nous nous « balec’ » du livre de Jean-Michel Aphatie ? Peut-être, se dit-on, tant on pense déjà avoir tout lu et vu sur Hanouna, des enquêtes des magazines Society et Télérama jusqu’au Complément d’enquête de France 2, l’année dernière. Reste le pedigree de l’auteur. Préfigure-t-il d’un duel au sommet, une sorte de face-à-face entre « le bon » – un vieux routard du journalisme français passé par RTL, Europe 1 et Canal+ aujourd’hui chroniqueur dans le talk-show de TMC concurrent de TPMP hier et de Tout Beau Tout N9uf aujourd’hui – et « le truand » – le roi du petit écran à l’humour potache qui a longtemps travaillé pour le groupe Canal+ de Vincent Bolloré ? Faut-il le lire comme un affrontement entre la gauche et la droite française ?
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Spoilons un peu les quelque 280 pages de l’ouvrage : T’es une merde frère. Signé Hanouna n’est ni un règlement de comptes ni une enquête contenant des révélations exclusives sur Cyril Hanouna. Bien écrit, dans un style parfois lapidaire, il fournit néanmoins des clés de compréhension sur un personnage dont l’influence a largement dépassé le cadre audiovisuel. « Ce n’est pas un pamphlet. J’ai voulu décrire un phénomène, l’importation de la télé trumpiste en France, et essayer de raconter ce que cela dit de la société aujourd’hui et de l’évolution du débat politique », explique Jean-Michel Aphatie, attablé dans un café parisien.
Ce n’est pas un pamphlet. J’ai voulu décrire un phénomène,Jean-Michel Aphatie
Le journaliste de Quotidien dresse dans l’ouvrage sous-titré Enquête sur celui qui a créé la Trump télé française le portrait d’un homme et du système qui a permis son émergence. Il remonte aux origines, décrivant un jeune homme façonné par la télévision, qui trouve les prémices de sa future personnalité médiatique dans une anecdote à Venise – le jeune Hanouna y pousse une personne dans le canal sans être inquiété outre mesure. « Dans la vie, seul compte son plaisir. L’assouvir est prioritaire, au détriment des autres si c’est nécessaire », écrit-il.
L’amitié avec Vincent Bolloré
La relation avec Vincent Bolloré constitue, pour l’auteur, le pivot central de l’ascension de l’animateur télé. Une rencontre sur un court de tennis avec Yannick Bolloré débouchera en 2015, note-t-il, sur un contrat avec le groupe Vivendi contrôlé par son père « que l’on ne peut pas refuser : 50 millions d’euros par an, pendant 5 ans. » La chaîne C8 qui diffuse TPMP écopera par la suite de nombreuses sanctions, comme celle reçue après le canular homophobe de Cyril Hanouna en 2017 (3 millions d’euros) et les insultes proférées à l’encontre du député Insoumis Louis Boyard en 2022 (3,5 millions d’euros). « Je n’ai pas peur de le dire : Touche pas à mon poste est l’émission qui aura le plus marqué la télévision de 2010 à nos jours. Les faits sanctionnés ne représentent que 0,12 % de l’antenne », rétorque Cyril Hanouna devant la commission d’enquête parlementaire sur la TNT en 2024.
Interrogé par la même commission, Vincent Bolloré défend son poulain : « Plus de deux millions de personnes, notamment les jeunes, le regardent chaque soir. Il a une liberté, une joie. » Cette position fait aujourd’hui bondir « Monsieur Étonnant Non ? » : « Vincent Bolloré dit devant la commission d’enquête parlementaire, “moi, je défends les valeurs chrétiennes” alors qu’il finance Cyril Hanouna qui se permet d’insulter les gens et d’humilier ses chroniqueurs. Il y a là une contradiction », estime-t-il. Jean-Michel Aphatie évoque les dénigrements subis par Géraldine Maillet ou le comportement, en 2016, de Cyril Hanouna qui pose la main de Capucine Anav sur son sexe sous prétexte d’un jeu. « Quel personnage public se permet ainsi d’insulter les autres ? Pourquoi est-ce qu’ils restent ? Pourquoi revient-on toujours vers son bourreau ? » s’interroge-t-il face à nous. L’argent, sans doute.
« Influenceur politique »
Le livre s’attarde particulièrement sur la transformation d’un animateur de divertissement en « influenceur politique », en écho au phénomène Trump. « Donald Trump humilie, insulte et menace depuis dix ans. La psychologie de la politique américaine est directement inspirée de ce qu’il a fait », considère Jean-Michel Aphatie. Il rappelle que le nom Touche pas à mon poste s’inspire de celui de l’association Touche pas à mon pote qui plaît à l’animateur né aux Lilas, en banlieue est de Paris. « Au début de son parcours, Cyril Hanouna accompagne les associations féministes et antiracistes. Puis, il libère autre chose qu’il y a en lui, comme le souci de préserver ses acquis. Il défend alors une société de l’ordre plutôt que du désordre », fait-il valoir.
À LIRE AUSSI EXCLUSIF. Pour qui vote la France d’Hanouna ? La thèse centrale de l’ouvrage est celle d’une dérive systémique. « Il y a des gens qui permettent à Hanouna d’avoir une telle exposition et qui valident sa démarche, insiste l’auteur lors de notre rencontre. Cette complicité s’étend jusqu’aux plus hautes sphères de l’État, comme lors de l’affaire Lola en 2022 où Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, vient sur son plateau malgré les propos d’Hanouna réclamant un “procès expéditif” dénoncés par le ministre Éric Dupond-Moretti. Il cautionne ainsi de sa stature de ministre de l’Intérieur les propos d’Hanouna. »
Les cautions de Schiappa et Royal
Et Aphatie d’évoquer les contradictions de Marlène Schiappa qui reçoit Cyril Hanouna dans son bureau pour lui conseiller de parler à la télévision « en bon père de famille » avant de coprésenter avec lui une émission en janvier 2019 et de Ségolène Royal, devenue chroniqueuse dans l’émission TPMP peu de temps après qu’Hanouna eut insulté à l’antenne une autre dirigeante socialiste, la maire de Paris Anne Hidalgo (« Ferme ta gueule », « abrutie », « nous fais pas chier », NDLR).
À LIRE AUSSI Stéphane Courbit, le roi si discret de la production télé nous ouvre ses portesT’es une merde frère n’est pas tant une biographie de Cyril Hanouna qu’une analyse inquiète de l’évolution du débat public en France. « Les équilibres sur lesquels repose une démocratie ne sont pas des équilibres solides. Des petites choses répétées peuvent les perturber », insiste Jean-Michel Aphatie dans le café où nous le rencontrons. Le journaliste de Quotidien se dit en outre toujours convaincu d’une probable candidature présidentielle de Cyril Hanouna.
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Reste que depuis son transfert à la rentrée sur le groupe M6 – il officie sur la chaîne W9 avec Tout beau, tout N9uf et sur la station RTL2 – l’animateur ne s’aventure plus directement sur le terrain politique. La direction du groupe M6 lui a demandé de faire du divertissement, rien que du divertissement en fixant une règle : en cas de dérapage sanctionné par l’Arcom, ce serait au groupe de production H20 de Cyril Hanouna et de sa maison mère Banijay de payer les amendes.
T’es une merde frère. Signé Hanouna. Enquête sur celui qui a créé la Trump télé française. (éd. Plon)
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