«Restez aussi informés que possible et soyez prudents ». Preston Pace est le fondateur de « Trans Joy Boise », une association pour les personnes transgenres et non-binaires de l’Idaho, aux Etats-Unis. Et sur son compte Instagram « Pacey Speak », il ne cache pas son inquiétude depuis l’assassinat de Charlie Kirk le 10 septembre dernier. « Peu importe ce qu’ils disent, nous ne sommes pas violents », ajoute-t-il.

La tension est en effet encore montée d’un cran outre-Atlantique depuis que l’influenceur d’extrême droite a été abattu dans l’Utah. Le principal suspect, Tyler Robinson, 22 ans, vivait avec une personne transgenre, d’après Spencer Cox, le gouverneur républicain de l’Etat, qui évoque une « relation amoureuse ». Selon le procureur, Robinson aurait notamment dit à ses parents, à propos de Charlie Kirk, que « ce type diffus (ait) trop de haine ». Sa mère aurait aussi indiqué que depuis environ un an, son fils s’était politisé et rapproché de positions plus à gauche, favorable aux droits des personnes LGBT et transgenres. Il n’en fallait pas plus pour enflammer les sphères MAGA.

Changement de registre

Sur X, Elon Musk, ancien membre du gouvernement, a ainsi qualifié les personnes transgenres de « cellule terroriste ». Un discours repris par les partisans de Donald Trump et notamment Laura Loomer, influenceuse complotiste d’extrême droite, qui a estimé qu’il fallait « classer le mouvement trans » comme tel. Cette idée nauséabonde d’un « terrorisme trans » avait pris de l’ampleur fin août lorsqu’une tireuse, identifiée comme une femme transgenre, avait ouvert le feu dans une école catholique du Minnesota, tuant deux écoliers.

« L’utilisation de la rhétorique de la pédophilie ou de la protection des mineurs est un classique des paniques morales, explique Michael Stambolis-Ruhstorfer, maître de conférences à l’université Toulouse Jean-Jaurès. Mais là on est monté d’un cran : accuser des personnes transgenres d’être des extrémistes à la pointe de la violence politique, c’est un changement de registre qui pourrait justifier des actes extrêmement dangereux ».

« L’effacement de notre existence »

Parmi les adultes américains, 0,8 % (environ 2,1 millions de personnes) s’identifient comme transgenres, selon une étude du Williams Institute, groupe de réflexion de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA). Et leur quotidien est de plus en plus difficile. « Etre une personne transgenre dans l’Amérique de Trump, c’est effrayant, confie à 20 Minutes Sabre, femme transgenre de 24 ans originaire de Floride. Jour après jour, informations après informations, on nous assure lentement de l’effacement de notre existence. »

Pour cette créatrice de contenus sur Internet, qui travaille aussi dans des écoles et comme assistante administrative, apparaître en public est devenu risqué. « Les crimes haineux contre les personnes transgenres gagnent en popularité et sont de moins en moins signalés », déplore-t-elle. D’après une autre étude du Williams Institute basée sur des données recueillies en 2022 et 2023, les personnes LGBT sont cinq fois plus susceptibles que les autres d’être victimes de crimes violents.

Des lois stigmatisantes

« Les personnes transgenres sont déjà ciblées depuis un moment par le mouvement conservateur », précise Michael Stambolis-Ruhstorfer, spécialisé en étude américaine et de genre. Il pointe la continuation d’une stratégie « consciente et réfléchie » des mouvements conservateurs et traditionalistes chrétiens américains. « Elles sont érigées en boucs émissaires, qui représenteraient une menace pour les Etats-Unis, comme les immigrés par exemple, appuie-t-il. La mort de Charlie Kirk est une occasion supplémentaire de justifier cette stigmatisation ».

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En 2024, l’Union américaine pour les libertés civiles a recensé 533 projets de loi anti-LGBT déposés dans les parlements des différents Etats américains. Et le retour en janvier à la Maison-Blanche de Donald Trump, qui s’attaque régulièrement au « délire transgenre », a contribué à jeter de l’huile sur le feu. Dès son investiture, il a signé un texte établissant que les Etats-Unis ne reconnaissaient que deux sexes, masculin et féminin, définis à la naissance. De nombreuses personnes, à l’instar de l’actrice américaine Hunter Schafer, se sont ainsi retrouvées mégenrées sur leurs documents administratifs. Le milliardaire a aussi interdit aux personnes transgenres de servir dans l’armée et supprimé les aides publiques pour les traitements de transition de genre des mineurs, chimiques comme chirurgicaux.

« J’envisage de fuir mon pays »

« Mon accès immédiat aux médicaments et aux soins de santé, qui me sont essentiels, a été soit privé de financement, soit rendu illégal. Comme beaucoup d’autres, j’ai été obligée d’avoir recours à des méthodes plus opaques pour me procurer des médicaments », reprend Sabre.

Désireuse d’aider sa communauté, la jeune femme avoue « avoir peur d’en arriver à un point où j’envisage sérieusement de fuir mon pays ». Alors pour rester « saine d’esprit », elle fait son possible pour « dénoncer le fascisme » et passer du temps avec ses proches. Mais, conclut-elle, « c’est en train de devenir un jeu impossible à gagner ». Preuve en est : par sécurité, nous ne saurons pas son lieu de résidence actuel.