La société Colossal Biosciences a conçu une souris génétiquement modifiée inspirée du mammouth laineux. Une prouesse scientifique qui soulève des espoirs, des inquiétudes… et beaucoup de débats.

Deux souris génétiquement modifiées au pelage laineux, créées avec des gènes de mammouth, observées en laboratoire.Représentation de souris génétiquement modifiées dotées d’un pelage laineux en intégrant des gènes de mammouth. Une expérience inédite menée en laboratoire – DailyGeekShow.com

Colossal Biosciences recrée le pelage et la physiologie du mammouth dans une souris grâce à l’ADN ancien

Imaginez une souris dotée d’un pelage dense, de poils longs et ondulés, et d’une capacité naturelle à affronter le froid. Non, ce n’est pas une chimère sortie d’un roman de science-fiction.

Lire aussi Du jamais-vu au sein du règne animal : ce délicat papillon possède 229 paires de chromosomes

C’est le fruit d’un projet mené par Colossal Biosciences, une entreprise américaine spécialisée dans la « désextinction ». Son objectif ? Faire renaître des espèces disparues comme le dodo, le tigre de Tasmanie… ou le mammouth laineux.

Le 4 mars 2025, Colossal a franchi une étape symbolique. Elle a annoncé la création d’une souris génétiquement modifiée présentant des traits typiques du mammouth.

Souris Laineuse© Colossal Biosciences

Les scientifiques ont intégré à son génome certains gènes extraits d’ADN ancien, récupérés sur des fragments de peau, d’os et de poils de mammouths conservés depuis des millénaires. Objectif : mimer la densité du pelage, sa texture, sa couleur… mais aussi l’aptitude à stocker des graisses pour résister au froid.

Lire aussi Un vaccin inédit approuvé pour protéger les koalas de la chlamydia en Australie

Depuis 2024, Colossal affirme avoir réussi à créer des cellules souches d’éléphant capables de se transformer en ovules. À terme, la société ambitionne de produire un embryon hybride éléphant-mammouth. Mais manipuler des cellules d’éléphant reste délicat, coûteux, risqué. D’où l’idée de commencer par un modèle plus simple : la souris.

La souris sert de prototype avant la création d’un embryon hybride éléphant-mammouth

Grâce à l’édition génétique, les chercheurs ont modifié les gènes liés à la structure du poil chez la souris. Notamment Krt25 et Krt27, deux gènes impliqués dans la production de kératine.

Le résultats sont des animaux à poils plus longs, plus épais, plus souples, et manifestement mieux armés pour le froid. D’autres gènes, comme Fabp2, ont été modifiés pour observer des effets sur le métabolisme des graisses.

Lire aussi Les chercheurs décryptent le mystère du « requin fantôme », ce poisson aux dents frontales uniques au monde

Comparaison entre des souris noires au pelage normal et des souris génétiquement modifiées avec un pelage blond laineux.Expérience de laboratoire : à gauche, des souris au pelage normal ; à droite, des souris génétiquement modifiées au pelage laineux © Chen et al., 2025

Mais cette expérience va au-delà d’un simple exercice de style génétique. Colossal affirme vouloir tester la résistance des souris modifiées à des environnements hostiles.

Notamment des régimes riches en graisses ou des températures basses. Une manière de valider, à petite échelle, les futurs ajustements génétiques d’un mammouth ressuscité.

Les chercheurs espèrent restaurer des écosystèmes, mais la communauté scientifique s’inquiète

Selon Colossal, le retour d’espèces disparues pourrait renforcer la résilience écologique. Réintroduire des mammouths dans la toundra sibérienne permettrait, selon eux, de ralentir le dégel du pergélisol. Ils tasseraient la neige et limiteraient la libération de méthane, un puissant gaz à effet de serre.

Lire aussi Leur sang, leurs os et leurs muscles sont verts fluo : ces lézards fascinent les scientifiques qui ignorent encore pourquoi

Mais de nombreux experts alertent sur les risques biologiques et éthiques. Robert Klitzman, bioéthicien à l’université Columbia, rappelle que l’édition génétique reste imparfaite et risquée.

Elle provoque souvent la mort d’embryons ou de mères porteuses. Jiangbing Zhou, généticien à Yale, souligne qu’on ne maîtrise pas toujours les effets exacts des gènes modifiés. Sans parler des craintes environnementales : que se passerait-il si une souris modifiée s’échappait et croisait des populations sauvages ?

La société affirme que ces souris ne sont pas conçues pour se reproduire. Mais comme le fait remarquer Elsa Panciroli, paléontologue écossaise, « les souris trouvent toujours un moyen de s’échapper ».

Lire aussi « Nous avons complètement paniqué » : les orques attaquent à nouveau les bateaux au large de l’Espagne

Elle ajoute que, face à l’effondrement de la biodiversité, investir des centaines de millions de dollars pour recréer un animal disparu semble hors sujet. « L’urgence, c’est de protéger les espèces existantes », résume George Schaller, biologiste renommé.

L’édition génétique pourrait accélérer l’adaptation des espèces, mais à quel prix ?

Beth Shapiro, directrice scientifique de Colossal, défend un point de vue opposé. Pour elle, la modification génétique pourrait compléter les méthodes de conservation traditionnelles. Elle affirme que « la nature génère elle-même des mutations ». L’intervention humaine pourrait donc simplement accélérer l’adaptation des espèces au changement climatique.

Cependant, beaucoup d’experts restent dubitatifs. Craig Callender, philosophe des sciences, admet que ces souris représentent un outil potentiel pour la recherche en génétique. Mais il estime que l’effort colossal mis en œuvre pour une finalité aussi floue ne justifie pas l’investissement. « Ce projet, pour l’instant, n’a aucune valeur réelle », tranche-t-il.

Lire aussi Une carapace fossilisée datée de 130 millions d’années bouleverse les théories sur les tortues marines préhistoriques

Alors, cette souris laineuse est-elle une curiosité de laboratoire ou le premier jalon vers une révolution biotechnologique ? Une chose est sûre : elle nous oblige à réfléchir. Non seulement à ce que la science peut faire, mais surtout à ce qu’elle devrait faire.