Les lycéens et étudiants sont venus gonfler les rangs des syndicats de travailleurs, jeudi, lors de la manifestation parisienne contre des mesures budgétaires jugées « brutales » par les organisations syndicales. Reportage.

Brandissant une grande pancarte « Macron, président des (t)riches », Stella, 14 ans, lycéenne de seconde dans le Val-de-Marne, rejoint le cortège en marche vers République avec un groupe d’une quarantaine de lycéens avançant d’un pas énergique pour dépasser les syndicats et gagner la tête de la manifestation.

« Ce matin on a quasiment réussi à bloquer notre établissement », se réjouit-elle tout en hâtant le pas. L’adolescente dit ne pas se reconnaitre dans les décisions prises par le gouvernement. « Il faut taxer les plus riches et mettre fin aux paradis fiscaux. Ce ne sont pas aux plus précaires de payer », revendique-t-elle.

À ses côtés, sa camarade de classe, Anna, 15 ans, partage le même constat. Elle tient une pancarte « Écoutez la jeunesse » : « On est venu nombreux pour se faire entendre, et parce que Macron ne nous écoute pas ». Une troisième amie préfère, elle, se cacher pour ne pas être prise en photo : « Si ma mère sait que je suis allée manifester je vais avoir des problèmes. Elle a peur à cause des casseurs ».

Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau avait appelé la veille sur BFMTV les parents à retenir leurs adolescents, invectivant les jeunes à ne pas s’habiller en noir, comme des « Black blocs« .

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Consignes peu suivies par la jeunesse présente aujourd’hui… Un peu plus loin, un autre groupe de d’adolescentes portent du noir des pieds à la tête. « On a bloqué le lycée Turgot (Paris) ce matin en bloquant les portes avec des poubelles à 6 h 30. On a choisi des tenues identiques car, si on est tous habillés pareil, la police ou la direction du lycée ne nous reconnaitront pas », explique Mathilde, 16 ans en classe de Première. Sur une boucle Whatsapp, les lycéennes – qui ne sont pas syndiquées – s’informent des autres blocages : Hélène Boucher, Racine, Ravel, Chaptal…

Détermination renforcée

« La semaine dernière, on a bloqué le lycée Sophie Germain et la police nous a gazés à bout portant », raconte Nina, 15 ans, la seule du groupe à porter de la couleur avec son T-shirt « Barbie ».

« J’étais dans les premières lignes, à 30 centimètres des policiers, je n’arrivais plus à respirer ni à parler, je ne pouvais plus ouvrir les yeux, mon visage me brûlait, j’ai fait une crise d’asthme. Deux policiers sont venus me voir pour demander si ça allait et m’ont conseillé de me rincer les yeux dans une fontaine à proximité. Je leur ai dit ‘Ce sont vos collègues qui viennent de me gazer. Aimeriez-vous que l’on fasse ça à vos enfants ?' ».

Une expérience qui a renforcé leur détermination. Pour Nina et ses amies, pas question de manquer le rendez-vous d’aujourd’hui : elles estiment qu’il faut manifester car les coupes budgétaires « affectent l’école » et elles s’inquiètent pour leur avenir, à cause de la difficulté de s’inscrire dans les filières universitaires avec le système Parcoursup.

Dans leur sac à dos cette fois, elles ont prévu des lunettes de piscine, un masque et du sérum physiologique au cas où des gazs lacrymogènes seraient lancés sur les manifestants.

Nina, elle, se dit aussi très déçue par le choix du nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, qu’elle qualifie « d’homophobe ». Nommé mardi 9 septembre, le nouveau chef de l’exécutif s’est retrouvé rattrapé par d’anciennes déclarations contre le mariage entre personnes de même sexe, la GPA et la PMA. Il a toutefois affirmé avoir « beaucoup évolué » sur certaines de ces sujets sociétaux.

« Ça fait du bien de vous voir là ! »

À proximité d’un autre rassemblement de lycéens, une enseignante à la retraite s’arrête. Elle félicite les jeunes : « Ça fait du bien de vous voir là ! ». Christiane, la soixantaine, est émue. « Il y a des jeunes lycéens, des étudiants, des jeunes travailleurs… Ces dernières années j’ai vu peu de jeunes dans les mobilisations. L’avenir c’est eux. Les voir ici ça me redonne de l’espoir et ces derniers temps, on avait perdu l’espoir ».

Ce que cette ancienne militante d’extrême gauche espère, c’est d’abord un changement de gouvernement, mais aussi un réveil de la jeunesse contre le Rassemblement national qu’elle redoute de voir gagner les prochaines élections en France.

« Il va y avoir un combat à mener. Il faut s’y préparer », avertit-elle.

Dans le cortège, de plus en plus dense, des étudiants de l’Unef ont confectionné une banderole en drap sur laquelle est inscrit : « Étudier est un droit, pas un privilège ». Sam, 22 ans, suit des cours en anthropologie en Licence 3 à Nanterre. Elle se réjouit de voir côte à côte étudiants et travailleurs.

« Il y a une convergence des luttes », affirme-t-elle.

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L’étudiante déplore les effets des restrictions budgétaires sur les services administratifs de l’État, comme le Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires). « Ils mettent beaucoup de temps à répondre aux mails, certains étudiants ne touchent pas leurs bourses à temps« , regrette-t-elle.

Sam constate aussi une précarité grandissante sur les campus : « Il y a de plus en plus de monde aux soupes populaires étudiantes, et la file d’attente s’allonge pour les repas à 1 euro du Crous. »

Slogans visant les ultra-riches

Dans le cortège parisien, les slogans visant les ultra-riches se multiplient. Autour du cou, un manifestant arbore une pancarte « Les milliardaires nous font les poches ».

« Aller Bernard [Arnault], on va y arriver ! », « Taxons les riches »… derrière les étudiants, la sono des camions syndicaux se mêle aux refrains de « Bella Ciao ». Grimés avec des masques à l’effigie du milliardaire français Bernard Arnault, patron de LVMH, des militants d’ATTAC entament une « gymnastique fiscale » pour « encourager les ultra-riches à faire des efforts ».

 

Croisé dans le cortège, un homme a customisé son vélo avec une remorque portant un carton peint d’un message choc : « 2 159 enfants ont dormi dans la rue dont 503 de moins de trois ans au 1er septembre 2025 ».

Des familles et des enfants sont présents dans la foule. L’odeur de merguez flotte dans l’air, et le soleil aidant, la manifestation a pris des allures de 1er mai.

Nathalie est venue avec sa fille Zélie, 9 ans. « Je trouve que c’est important qu’elle voit ce que c’est quand on n’est pas heureux, pas content et qu’on veut l’exprimer ».

 

Enseignante depuis plus de vingt ans dans le primaire, elle exprime son « ras-le-bol ». Elle pointe plus particulièrement « le non remplacement des professeurs qui partent à la retraite, des classes de plus en plus chargées, de l’inclusion sans aide et sans les moyens qui vont avec. Les enfants sont les premiers à en souffrir ». « Je n’ai pas envie que ma fille ait à vivre comme cela », ajoute-elle.

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Enseignants, éducateurs, personnels des hôpitaux, de nombreux corps de métiers de la fonction publique et des services sont présents. Sans oublier les policiers. Croisé un peu plus loin dans la foule, Gregory Jouron, secrétaire général de Unités Police explique que les agents de police, subissent eux aussi les baisses budgétaires : « Les plans de renouvellement de nos véhicules d’intervention ont été gelés. Certaines voitures ont 200 000 km au compteur.

Résultat : à Aulnay-sous-Bois/Sevran il y a quelques jours, une voiture sur deux était en panne. Du coup, il ne faut pas s’étonner si nous ne pouvons pas nous rendre assez vite sur les lieux en cas d’appel secours ».