Par
Marie Lamarque
Publié le
18 sept. 2025 à 18h42
Son visage est encadré par un bonnet gris et un masque chirurgical bleu clair qui ne couvre que la bouche. Image célèbre du plus mystérieux des accusés. Plus de quatre ans après la disparition de son épouse, Delphine, une infirmière de 33 ans, à Cagnac-les-Mines, petit village du Tarn, que peut-on lire dans le regard de Cédric Jubillar ? À quoi ressemble-t-il aujourd’hui ? Quel sera son comportement durant les quatre semaines de son procès qui s’ouvrira ce lundi 22 septembre 2025 au tribunal d’Albi ? Comment réagira-t-il face aux 65 témoins cités, aux déclarations qui jettent le trouble sur son implication ? Le plaquiste de métier, qui vient tout juste de fêter ses 38 ans en prison, sera scruté. Sa personnalité, analysée. Qui est-il vraiment ?
« Le mec le plus connu du Tarn »
Au fil des multiples interrogatoires, l’homme a toujours nié son implication. Sa version de la nuit de la disparition de son épouse, avec laquelle il avait entamé une procédure de divorce, est restée inchangée.
Le soir du mardi 15 décembre 2020, il se serait couché peu avant 23h, avant d’être réveillé par les pleurs de sa fille, Elyah, seulement âgée de 18 mois, peu avant 4h du matin. C’est à ce moment-là qu’il se serait rendu compte de la disparition de Delphine. Il contacte alors les gendarmes. Il est précisément 4h09 du matin.
Au fil de l’instruction, forces de l’ordre, experts psys et magistrats se sont plongés dans l’enfance de l’artisan plaquiste. Et ils ont tenté de comprendre la personnalité complexe de cet homme hyper médiatisé, qui s’est autoproclamé « mec le plus connu du Tarn ».
Arraché à sa mère à 2 ans, rebelle au collège
L’enfance de Cédric est rapidement bousculée par son placement en famille d’accueil à l’âge de deux ans seulement. Il est arraché à sa mère, Nadine Jubillar, sans avoir eu d’explications, selon ses dires. Son père – qu’il nomme son géniteur – ne l’a pas reconnu. Jusqu’à ses 7 ans, il vivra à Castelnaudary (Aude).
Son caractère rebelle ressort à l’époque du collège, en classe de 4e, où l’adolescent se met à fumer et à sécher les cours. L’école le rebute : « rester toute la journée à écouter les profs, pour des trucs qui ne servent à rien… ».
Il tombe dans le cannabis, se fait exclure de trois collèges différents, et passe ses week-ends chez son grand-père maternel, à Castelnaudary où il y fait « les 400 coups », raconte-t-il.
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Minot, il se rêvait cuisinier, mais il entre en apprentissage pour devenir peintre en bâtiment à l’âge de 16 ans. C’est aussi le temps des premiers flirts, avant sa rencontre avec Delphine. Il a 18 ans.
La naissance d’un couple, pour le meilleur…
Les premiers regards, et les premiers baisers, ont lieu lors d’une soirée. Puis le couple naît véritablement lors d’une sortie en boîte de nuit, à Gaillac (Tarn). « Pour Delphine, c’était la première relation amoureuse. »
Deux ans après, ils emménagent dans un appartement d’Albi. Une décennie plus tard, ils bâtissent leur propre maison – le fameux pavillon inachevé – à Cagnac.
Le couple se marie le 22 juin 2013 à la mairie de Cagnac. La naissance de Louis vient couronner leur amour en 2014, avant qu’Elyah ne voie le jour, en 2019.
Le pavillon inachevé de Cagnac (©Photo d’archives / Laurent Derne / Actu Toulouse)…et pour le pire
Mais derrière la photo de famille, il y a une réalité qui est loin d’être parfaite. Delphine bloque l’accès au compte commun du couple. Compte dans lequel Cédric puisait régulièrement, afin de financer son énorme consommation quotidienne de cannabis. « Entre 10 et 25 joints par jour », évalue-t-il.
Le climat favorise les disputes que Cédric rapporte à sa mère, Nadine. Et cette phrase qu’il a prononcée devant elle, entre fin octobre et début novembre 2020 : « Elle m’énerve. Je vais la tuer, je vais l’enterrer et personne ne la retrouvera. » « Sur le coup, je n’ai pas pris ça au sérieux », avait répondu la mère du suspect numéro un, face aux enquêteurs.
Jusqu’à passer vraiment à l’acte ? Selon un proche de l’infirmière, Cédric Jubillar aurait déjà levé la main sur Delphine, en 2018. Face à un expert-psychiatre, le mis en cause admet spontanément avoir eu une altercation physique avec son épouse, qui remonterait à trois mois avant la disparition. La scène que le petit Louis confondrait avec la fameuse dispute au pied du sapin ?
En décrivant une scène de violence entre ses parents le soir de la disparition de Delphine, le petit Louis Jubillar, se retrouve dans un conflit de loyauté shakespearien (©Facebook)Un couple à bout de souffle
Dans les derniers mois de vie commune, le couple arrive à bout de souffle. En témoignent les conversations par SMS des Jubillar. Il sent qu’elle s’éloigne, Cédric tente de la retenir : « je t’aime », « je ne veux pas te perdre », lui écrit-il. Delphine, elle, répond avec de la distance, se plaignant de sa « vie de Bidochon ».
À l’été 2020, l’infirmière semble déjà passée à autre chose. Elle entame une liaison secrète avec celui que l’on surnomme « l’amant de Montauban », un professeur de piano, et se projette dans une nouvelle vie à ses côtés.
« Je n’aurais jamais accepté un divorce à l’amiable »
Cédric a nié avoir été au courant de cette relation. Quand Delphine lui annonce vouloir se séparer, il est surpris. « Je n’aurais jamais accepté un divorce à l’amiable. J’avais de fortes présomptions qu’elle me trompait. »
Aurait-il découvert le pot aux roses le soir du 15 décembre, alors que Delphine venait d’envoyer un message pour saluer le Montalbanais, accompagné d’une photo d’elle en petite tenue ? Lui le maintient, c’est après la disparition de Delphine, via des médias, qu’il a découvert son existence.
Joueur, accro à son smartphone…
Amoureux de la nature et de la pêche, le cinéma, la belote et le poker font aussi partie de ses passe-temps. Cédric participe à des tournois. Il fréquente aussi le casino. Son truc ? Le Blackjack.
Des autres, il se dit considéré comme « un connard asocial », « trop franc », et en même temps « travailleur, sympathique, jovial ».
Accro à son smartphone, il passe de nombreuses heures, les yeux rivés sur son écran, entre sites pour adultes, applications de rencontre, réseaux sociaux, messageries et jeu en ligne tiré de la célèbre série Game of Thrones. Cédric y aurait même joué lors de cette mystérieuse nuit d’hiver 2020, de quoi interroger les enquêteurs.
Un jeu dont Cédric était accro. (©Photo d’illustration / Laurent Derne / Actu Toulouse)…jusqu’à le consulter la nuit de la disparition
Une addiction qui a toute son importance quand on sait que le soir de la disparition, son portable était coupé et pas simplement mis en mode avion comme l’avait dit Cédric.
Impossible alors de retracer son activité entre l’heure où il dit s’être couché et le moment où il appelle les gendarmes, soit durant cinq heures environ.
Les phrases de Cédric Jubillar qui sèment le doute
Au cours de ces quatre semaines de procès, les multiples déclarations de Cédric Jubillar seront passées à la loupe. Certaines posent particulièrement question :
– le mercredi matin qui suit la disparition de Delphine, les gendarmes établissent que le portable de la jeune femme borne à Cagnac : « ça, c’est son téléphone, c’est pas elle », répond-il. Que veut-il dire ? À ce stade de l’affaire, comment le plaquiste pouvait-il supposer que Delphine et son téléphone ne sont pas au même endroit ? Cédric Jubillar s’est-il inconsciemment « vendu » ? ;
– lors d’une marche blanche, en juin 2021, il lance à l’une des personnes présentes : « Qu’est-ce que t’as ? Tu veux ma photo ? Tu vas finir étouffé comme l’autre, tu verras ce que ça fait ! ». « L’autre » est-elle cette femme avec laquelle il a construit sa vie et eu deux enfants ? ;
– en prison, devant un expert-psychiatre, qui certifie que Cédric Jubillar « ne souffre d’aucune pathologie mentale », il lance : « je suis un criminel comme les autres ». Criminel, pour détenu…
Jamais il n’appelle Delphine par son prénom
Derrière les barreaux depuis juin 2021, Cédric explique vivre « très mal » la situation, et en particulier son placement à l’isolement. S’il dit écrire régulièrement à ses enfants, privés de mère et de père depuis tant de mois, leur avocat pointe un manque d’assiduité en la matière.
Un expert-psychiatre le décrit comme « immature, assez psychorigide, égocentrique, méfiant, tout en ayant une haute opinion de lui-même ». Plus intéressant encore : « il a habituellement une grande maîtrise de ses émotions et il est peu sujet à l’introspection ».
Avec lui, jamais Cédric ne mentionnera le prénom de Delphine, préférant l’appeler Madame. Comme pour mettre une distance ?
Ses déclarations en prison qui ont interrogé
Plusieurs de ses déclarations en prison ont ouvert de nouveaux chapitres dans cette affaire qui dure depuis plus de quatre ans :
- à Marco, son ex-voisin de cellule, il aurait confié le meurtre de Delphine : « C’est là qu’il me dit que [le corps de Delphine] est enterré pas loin d’un endroit qui a brûlé ». Des fouilles avaient été organisées, sans permettre de découvrir de corps ;
- des déclarations qui impliquaient aussi sa compagne de l’époque, Séverine, avec qui il s’affichait sur les réseaux sociaux, six mois après la disparition de Delphine : « Par amour », il lui aurait proposé de l’emmener « là-bas », raconte Marco. Sous-entendu, à l’endroit où serait caché le corps ;
- lors d’une visite au parloir, l’homme aurait aussi fait des confidences à une autre ex-compagne : « il m’a dit avoir étranglé Delphine et a même imité sur moi le geste qu’il aurait fait pour la tuer », avait-elle déclaré.
Comment voit-il sa vie hors de la prison ?
Comment Cédric Jubillar imagine-t-il sa vie hors de la prison ? « Trouver un travail, n’importe lequel, pour avoir un grand appart qui me permette de recevoir mes enfants. Habiter à la maison [de Cagnac], ça créerait trop de polémiques », avait-il répondu au psychologue.
Mais dans tous les cas de figure – condamnation pour meurtre aux assises ou mise hors de cause – il sait déjà que rien ne sera plus comme avant.
Le verdict est attendu le 17 octobre. Lui clame toujours son innocence.
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