Plus de trente personnes sans-abri ont installé des tentes dans un espace vert à côté d’une entrée d’autoroute entre Schiltigheim et la place de Haguenau. Certaines expliquent avoir été mises à la rue par l’État ces derniers mois.

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Thibault Vetter

Publié le 19 septembre 2025  ·  

Imprimé le 19 septembre 2025 à 09h09  ·  

Modifié le 19 septembre 2025  ·  

5 minutes

Mari attend sur une chaise en plastique, la musique d’attente du 115 en fond sonore depuis presque quinze minutes. Comme chaque jour, cette Géorgienne compose ce numéro pour obtenir un hébergement d’urgence pour elle, son mari et sa fille de six ans. Si elle oublie d’appeler une fois, elle peut-être rétrogradée dans la liste des prioritaires. En pleine conversation, la voie d’une standardiste la coupe enfin : « Bonjour, vous m’entendez ? ». « Oui », répond Mari, une pointe d’espoir dans la voix. « On n’a toujours pas de place pour les familles. Rappelez demain. Au revoir », expédie la femme à l’autre bout du fil, avant de raccrocher.

Mari attendra 25 minutes en tout, pour un échange de dix secondes avec la standardiste du 115.Photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg

« Avant d’être ici, on était hébergés à l’hôtel Forum à Schiltigheim. En août on nous a dit de partir. »

Mari, sans-abri installée dans une tente à l’entrée de Schiltigheim

Mari hausse les épaules. Elle dormira encore dans ce campement de sans-abris ce lundi 15 septembre. Des familles et des personnes isolées ont installé 25 tentes entre Strasbourg et Schiltigheim, dans un petit parc entouré par la rue de l’Église Rouge et l’entrée d’autoroute de la place de Haguenau. « C’est très dur, il fait de plus en plus froid la nuit. On est fatigués. Le sommeil est très difficile. Même ma fille n’arrive pas à dormir », relate Mari. Elle s’inquiète pour son compagnon, qui a des problèmes pulmonaires. C’est pour cette raison que la famille géorgienne est venue en France. « J’avais un titre de séjour pour l’accompagner mais il a expiré en juin. La préfecture n’a toujours pas répondu à ma demande de renouvellement. Ils me disent d’attendre », souffle la jeune maman :

« Avant d’être ici, on était hébergés à l’hôtel Forum à Schiltigheim. En août on nous a dit de partir. Depuis on est à la rue. »

Mari dort dans une tente avec son compagnon et sa fille, à côté d’autres familles géorgiennes.Photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg

Des familles et des personnes isolées dorment dans ces tentes, avec ou sans-papiers français.Photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg

Au 15 septembre, 25 tentes sont montées dans ce parc.Photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg

De camp en camp

Depuis l’été 2024, l’État met régulièrement à la rue des « ménages à droits incomplets », c’est-à-dire des familles dont certains membres n’ont pas encore réussi à obtenir ou renouveler un titre de séjour par exemple. C’est le cas de Mari.

À l’autre bout du campement, Pellumb et Aferdita font bouillir de l’eau dans une casserole grâce à un feu de bois. La nuit, ils se serrent dans une tente avec leur fille de 14 ans et leur fils de 16 ans. La famille était déjà au camp du parc Eugène Imbs en janvier, avant d’être temporairement logée dans un hôtel pendant cinq mois. « On est ici depuis deux mois, déplore Pellumb. Mes enfants ne peuvent pas prendre de douche avant d’aller en cours. »

Spontanément, Pellumb sort des papiers d’un sac. Un réflexe que beaucoup de personnes migrantes ont intégré pour justifier de leur présence. L’homme de 49 ans, les cernes creusées par les nuits dehors, montre des documents médicaux, dont une attestation d’un médecin demandant qu’il soit logé vu la dégradation de son état de santé. « On ne peut pas retourner en Albanie. Si on fait ça, on se fait tuer par la mafia », assure t-il. C’est aussi pour cette raison qu’il ne souhaite pas que son visage apparaisse dans la presse. « Je ne veux pas qu’ils puissent me retrouver, savoir où je suis », expose t-il.

Le campement est situé juste à côté de jardins ouvriers.Photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg

Pas encore de démarche d’expulsion prévue

« Regardez ces familles… Les enfants ont peur. C’est vraiment la merde. Il n’y a plus de place au 115. Je ne sais pas jusqu’à quand ça va durer », déplore Boujema, de nationalité française. « Je suis né à Schiltigheim. J’ai grandi à Schiltigheim, relate t-il. J’étais en prison et ensuite j’ai été hospitalisé à Brumath. Quand je suis sorti, je n’avais plus rien. Je me suis débrouillé seul. Je suis dans ce parc depuis quatre mois. » De temps en temps il peut dormir dans une structure proposée par le 115 pendant quelques jours. « Mais je me suis déjà retrouvé dans des hôtels pourris, avec des punaises de lits. Je préfère la tente quand c’est comme ça », regrette t-il.

Boujema ramasse des déchets sur le campement.Photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg

L’homme bientôt quinquagénaire ramène près de sa tente une poubelle qu’il vient de vider. Il remet un sac vide dedans : « Je nettoie toujours ce que je peux », dit-il, avant de partir remplir un bidon sur un point d’eau des jardins ouvriers qui bordent le parc. La Ville de Strasbourg a posé deux cabines de toilettes mobiles. Mais les personnes qui vivent là manquent de bâches et de matériel. « J’aurais besoin d’une lampe torche pour la nuit », affirme Boujema.

Le campement grandit petit à petit en cette fin d’été. « Mi-septembre, nous comptons 36 personnes dont cinq familles avec 11 majeurs et cinq enfants », indique Floriane Varieras, adjointe à la maire en charge des Solidarités. « Un ramassage adapté des déchets a été mis en place, et un protocole avec un diagnostic social est en cours. Nous allons faire des demandes d’hébergement des personnes. » Si aucune solution n’est proposée aux personnes et qu’elles sont contraintes de rester dans le parc, la Ville devra demander le démantèlement du camp comme le lui impose le tribunal administratif. Des personnes devraient alors être hébergées après l’expulsion, avant de peut-être se retrouver à la rue. Un interminable cycle qui pourrait s’arrêter si l’État se décidait à régulariser ces personnes, pour qu’elles aient le droit de travailler et de se loger.