Par

Marie Lamarque

Publié le

19 sept. 2025 à 13h14

« On avait plus vu ça depuis Viguier. » À quelques jours de l’ouverture du très médiatique procès Jubillar au tribunal d’Albi (Tarn), la réflexion est sur de nombreuses lèvres. Il faut dire que le parallèle entre les deux dossiers a plusieurs fois été fait par la défense du peintre-plaquiste, soupçonné d’avoir tué sa femme, Delphine, une infirmière de 33 ans, qui a mystérieusement disparu dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020 à Cagnac-les-Mines. Pas de corps, pas d’aveux… Son mari, suspect numéro un, a toujours clamé son innocence. Les similitudes sont troublantes avec ce célèbre fait divers toulousain qui s’est joué 25 ans plus tôt.

Suzanne Viguier disparaît dans la nuit

Le dimanche 27 février 2000, Suzanne Viguier, une prof de danse de 38 ans, disparaît mystérieusement de son pavillon du quartier de l’Ormeau, à Toulouse. Selon les explications de son amant, Olivier Durandet, ce dernier la dépose chez elle à 4h30, au retour d’un tournoi de tarot.

Le couple qu’elle forme avec son époux, Jacques Viguier, professeur de droit à l’université de Toulouse, n’est alors plus qu’une façade, en dépit des trois enfants qui ont consacré leur amour. Lui-même fréquente des maîtresses.

Un mari trop jaloux ?

Rapidement, les soupçons des enquêteurs s’orientent vers le mari dont le comportement après la disparition est jugé étrange. Le « notable » nie avoir tué son épouse, en dépit d’une mise en examen pour meurtre et de neuf mois de détention provisoire. Mobile invoqué par les enquêteurs ? La jalousie. La crainte du qu’en-dira-t-on.

Jacques Viguier, acquitté par deux fois

En première instance, le 30 avril 2009, les assises de Haute-Garonne acquittent Jacques Viguier, après dix jours de débats. Le procureur général interjette immédiatement appel. Le second procès se déroule à Albi. L’accusé est notamment défendu par Éric Dupont-Moretti, ancien ministre de la Justice. 18 jours plus tard, le 20 mars 2010, il est définitivement acquitté du meurtre de son épouse.

Ces éléments qui séparent les deux affaires

Pourra-t-on pousser les ressemblances jusqu’à l’issue de ces deux affaires ? Après quatre semaines de procès, le tribunal d’Albi rendra-t-il le même jugement ? Cédric Jubillar pourrait-il ressortir libre ?

Jubillar-Viguier. Viguier-Jubillar. Plusieurs éléments viennent néanmoins séparer les deux affaires, notamment ces cris entendus par une voisine la nuit de la disparition de Delphine ; la dispute racontée par le fils du couple ; et les aveux supposés que Cédric aurait faits en détention auprès de son ex-voisin de détention, mais aussi auprès de l’une de ses ex-compagnes. Ce que l’intéressé a contesté, selon ses avocats.

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Le regard de l’ex-avocat de Viguier sur l’affaire Jubillar

Pour l’ancien avocat de Jacques Viguier, Georges Catala, dans les deux cas, il y a « une absence totale d’éléments permettant de donner un fil conducteur à l’accusation » : « Aucune démonstration rigoureuse n’a été faite, ce qui explique que Viguier ait été acquitté deux fois et que [Cédric] Jubillar sème quand même le désarroi au niveau de l’accusation », estime-t-il.

Faute de « preuves tangibles », pointe Me Catala, la « subjectivité » risque de prendre le dessus : « on va dire ‘ce gars se présente bien ou mal, il ne ment pas, il est bête, il n’est pas gentil, il n’est pas comme nous, etc’. Bref, on est dans un domaine extrêmement glissant et extrêmement dangereux pour la justice », selon lui.

Pour l’avocat de Delphine, il n’y a pas comparaison possible

En revanche, pour l’avocat de la cousine de Delphine Jubillar, Philippe Pressecq, les deux enquêtes ne peuvent pas être mises sur le même plan. « L’affaire Viguier se caractérisait par une enquête policière d’une très mauvaise qualité. On se souvient des incidents avec l’amant qui intervenait, des scellés qui étaient brisés, des faux témoignages », précise-t-il, rappelant que, pendant le procès en appel, en mars 2010, l’amant de Suzanne Viguier a été mis en garde à vue pour « subornation de témoin » et une baby-sitter l’a été pour « faux témoignage ».

« Jubillar, c’est l’inverse : une enquête extrêmement bien faite, extrêmement objective. Et, contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là, les gendarmes ne se sont pas totalement focalisés sur le mari. Ils ont cherché d’abord à savoir si elle avait pu s’enfuir, disparaître, si elle avait pu se supprimer ou être agressée par quelqu’un d’autre. Et, au bout d’un moment, l’entonnoir est allé vers le mari », poursuit l’avocat.

Deux enquêtes « menées à charge » pour Me Martin

Or, pour l’un des avocats de Cédric Jubillar, Me Alexandre Martin, les deux enquêtes ont bien été menées « à charge » dans ces affaires qui « se ressemblent ». Mais il relève toutefois une différence perceptible : Cédric Jubillar comparaîtra détenu, ce qui n’avait pas été le cas de Jacques Viguier.

Écroué en juin 2021, six mois après la disparition de son épouse, le peintre-plaquiste a vu toutes ses demandes de remise en liberté rejetées. En revanche, après la disparition de Suzanne, Jacques Viguier passe neuf mois en prison. Il est ensuite libéré et comparaît libre, avant d’être acquitté deux fois.

« Cet homme a bénéficié, et c’est bien normal, et j’en suis ravi pour lui, d’une application stricte de la présomption d’innocence, avec une remise en liberté au bout de quelques mois, ce que nous avons sollicité pour Cédric Jubillar en vain pendant quatre années », affirme Me Alexandre Martin.

Le peintre-plaquiste discriminé ?

En mars 2022, furieux de la décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Toulouse qui avait refusé de remettre Cédric Jubillar en liberté, l’avocat avait lâché : « Il vaut mieux être professeur d’université qu’artisan plaquiste pour sortir de prison ».

Auprès de l’AFP, il agite encore aujourd’hui le même chiffon rouge : « Je ne sais pas si c’est parce que d’un côté, on a un plaquiste du Tarn et de l’autre côté un professeur agrégé, je n’ose l’imaginer, mais je suis obligé de constater cette différence de traitement ».

Sous-entendu, le mari de Delphine est-il discriminé au regard de son rang social ? Est-il, depuis le départ, la victime d’une erreur judiciaire ? Le verdict est attendu vendrredi 17 octobre.

Avec AFP

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