Selon le magazine professionnel Livres Hebdo, 484 livres vont être publiés entre août et octobre cette année pour la rentrée littéraire, contre 559 l’année dernière. Soit bien plus qu’il n’est possible d’en lire en une seule année. Comment s’y retrouver dans cette offre pléthorique ? Pour dénicher quelques pépites, nous avons demandé conseil aux libraires strasbourgeois(es).

À Strasbourg, les librairies nous permettent, tout au long de l’année, de voyager sans quitter notre canapé ou coin lecture préféré. En cette rentrée, on a rencontré plusieurs libraires pour connaître leurs recommandations. C’est parti !


Histoires de liens

En alsacien, il existe une drôle d’expression adressée le soir aux enfants qui vont se coucher : « Dors bien, et rêve d’une pomme acide. » Originaire de Moselle, l’autrice Justine Arnal en a fait le titre de son dernier roman.

Dans Rêve d’une pomme acide, elle raconte l’histoire d’une famille et la place que chacun(e) y occupe. Il y est d’abord question de la mère, devenue prisonnière de sa propre existence. Mais aussi de son mari et de ses filles.

livre © A.Me / Pokaa

« L’autrice décrit très bien les casseroles, les nœuds et les rancœurs qui peuvent exister entre les membres d’une même famille, détaille Diane Albisser, cogérante de la librairie L’Oiseau Rare. La langue est très belle, très riche, presque sensuelle. On y retrouve des thèmes tels que la maternité, les liens intra-familiaux. »

Autre conseil lecture de cette rentrée littéraire : Le monde est fatigué, de Joseph Incardona. L’auteur de Stella et l’Amérique revient avec l’histoire d’une sirène professionnelle, en représentation dans les plus grands aquariums du monde.

« Derrière les paillettes, c’est l’histoire d’une femme brisée, retrace la libraire. On voyage avec elle de ville en ville dans un récit qui revisite le mythe de la sirène et la frontière entre la profondeur et la superficialité. »

livre © A.Me / Pokaa

Une dernière recommandation ? Mon amie de plume, de Yiyun Li. Agnès apprend la mort de Fabienne alors qu’elle vit en Amérique, bien loin de la campagne française où elles ont grandi. Inséparables, les deux fillettes s’étaient créées une bulle d’histoires et de rêves pour échapper à la rudesse du quotidien, dans la France d’après-guerre. Jusqu’à leur séparation, tragique.

« C’est l’histoire d’une grande amitié entre deux femmes, détaille Diane Albisser. On le compare parfois à L’Amie prodigieuse, d’Elena Ferrante. C’est une écriture très posée, sobre : toute en subtilité. »

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1. © Coraline Lafon / Pokaa ; 2. © Nicolas Kaspar / Pokaa

Composer avec la marche de l’histoire

À la Librairie Oberlin, Anne Herduin a également une petite liste de coups de cœur pour la rentrée littéraire. À commencer par Les Ombres du monde, de Michel Bussi. Professeur de géographie à l’université de Rouen, l’auteur s’est intéressé au génocide des Tutsi du Rwanda dès les débuts du conflit.

« Il s’est appuyé sur les faits, sur la réalité de ce génocide pour en faire un roman. C’est extrêmement bien documenté et très instructif, relève la libraire. Je pense que c’est le livre qui permet de comprendre le pourquoi du comment si l’on ne connait pas l’histoire de ce conflit. L’auteur s’intéresse notamment à l’implication de la France dans le génocide. » La Librairie Oberlin accueillera d’ailleurs Michel Bussi pour une rencontre autour de son ouvrage le 25 septembre.

librairie Oberlin © Page Facebook de la Librairie Oberlin / Capture d’écran

Parmi les titres publiés en ce début d’année scolaire, Anne Herduin recommande également Les promesses orphelines, de Gilles Marchand. Fils d’un ingénieur, Gino grandit dans la France des Trente Glorieuses. Son père dirige les travaux du téléphérique du Mont Blanc quand un accident l’emporte, laissant la famille sans ressources.

Pas très bon à l’école, le jeune homme renonce à emprunter la même voie que son père, mais il se passionne pour le projet d’aérotrain censé relier Paris et Orléans. Alors il s’engage sur les chantiers en tant qu’ouvrier, désireux de laisser sa trace dans l’époque, à son niveau. « Tout au long du roman, Gino joue les seconds rôles : il vit simplement sa vie. Ce livre, c’est surtout le portrait d’une époque. »

librairie Oberlin © Page Facebook de la Librairie Oberlin / Capture d’écran

Dans la catégorie « au fil de l’histoire », toujours, Anne Herduin conseille aussi Marcher dans tes pas, de Léonor de Recondo. « Tout commence en août 1936 avec une famille espagnole qui doit tout quitter pour partir en France immédiatement, retrace la responsable de la librairie. C’est l’histoire de la grand-mère de l’autrice, qui a dû faire ses bagages en quelques heures pour aller passer la frontière, en laissant ses frères derrière elle. »

Le roman fait des allers-retours entre l’histoire de l’autrice et celle de sa grand-mère. « C’est une réflexion personnelle sur l’identité politique, une plongée historique dans la période franquiste et ses exilés. L’écriture est jolie, avec un sens aigu du mot juste. »

livre lecture © Bicanski – Pixnio / Photo d’illustration

Des filles normales

À la librairie BD Le Tigre, le gérant, Nico, a aussi son coup de cœur. Dans son album Des filles normales, l’illustratrice Manon Debaye raconte l’histoire de trois amies, l’été de leurs 16 ans.

Alice, Maé et Giulia bullent dans les vertes collines normandes qui les ont vues naître quand elles apprennent que leur idole, une rockstar du nom d’Isaac Dean, se retire provisoirement de la scène musicale pour se réinstaller dans sa maison d’enfance, dans la région. Elles décident de le rencontrer. Et cela va bouleverser leur vie. Sept ans plus tard, que reste-t-il de cet été ? De leur jeunesse et de leur amitié ?

livre © A.Me / Pokaa

« C’est une histoire dans laquelle beaucoup de jeunes femmes peuvent se retrouver, je pense. Ça parle de jusqu’où aller pour bien se faire voir par son premier amoureux, explique Nico. J’aime beaucoup le dessin de Manon Debaye parce qu’il est très doux, très beau. On pourrait presque penser que c’est une histoire jeunesse. Mais ses histoires, elles, ne sont jamais très douces. » 

le tigre patron © Nicolas Kaspar / Pokaa

Résistances

Confiné à Besançon pendant l’épidémie de Covid, Paul Kawczak s’est intéressé à l’occupation de la ville par les Allemand(e)s pendant la Seconde Guerre mondiale. Il en a tiré un livre : Le Bonheur, paru cet été aux éditions La Peuplade.

« C’est l’histoire d’une chasse à l’homme », détaille Juliette Pelletier, libraire au Quai des Brumes, qui a beaucoup aimé ce titre. Un officier nazi sans visage traque un groupe d’enfants, cachés par des Résistantes. Il est persuadé qu’ils détiennent des pouvoirs magiques susceptibles de changer le cours de la guerre.

livre © A.Me / Pokaa

« Ce n’est pas un roman très linéaire, avertit la libraire. C’est déroutant, parfois dérangeant. Parfois, à la lisière du magique. Mais c’est très bien écrit. » L’auteur viendra présenter son livre au Quai des Brumes le 23 septembre à 19h.

Parmi les sorties littéraires de la rentrée, Juliette Pelletier a également adoré Combats de filles, le premier roman traduit en France de Rita Bullwinkel.

« On va entrer dans un tournoi de boxe de filles mineures, aux États-Unis. On assiste aux premières éliminations en plongeant dans la tête des combattantes. On est avec elles à chaque match : on suit ce qui les traverse. Certaines ont galéré pour s’inscrire, d’autres viennent de familles de boxeuses. On les redécouvre à chaque combat et on apprend à connaître celles qui se qualifient, un peu plus à chaque fois. L’écriture est nerveuse : c’est un très beau texte qui parle de la condition féminine. On suit les personnages à l’orée de l’âge adulte et on se demande ce qu’elles vont devenir. »

livre © A.Me / Pokaa

Un dernier pour la route ? Également libraire au Quai des Brumes, Alisée Leiser a eu un coup de cœur pour Le compromis de Long Island de Taffy Brodesser-Akner. « Cela raconte l’histoire d’une famille juive américaine qui vit le rêve américain dans les années 80, pose-t-elle en préambule. Le père a hérité d’une usine : ils sont donc très riches. Mais un jour, il est kidnappé et une rançon est exigée. Une fois payée, il rentre à la maison sans être blessé et l’histoire semble être oubliée. Mais 40 ans plus tard, on va découvrir les conséquences que cet événement a eu pour tous les membres de la famille, dont on devine qu’aucun n’en est sorti indemne. »

« Ce n’est pas du tout plombant, bien au contraire : c’est un roman plein d’humour noir, très acide. Tous les personnages vont se rendre compte qu’ils sont très liés à l’argent familial et que l’argent ne protège pas de tout, poursuit Alisée Leiser. C’est une analyse très fine et très drôle des liens familiaux et du rapport à la religion. »

livre © A.Me / Pokaa

Et vous, quels sont vos coups de cœur en cette rentrée littéraire ?