C’est l’un des grands défis d’Emmanuel Macron depuis 2017 : enrayer la désindustrialisation de la France. Et, au contraire, miser sur la réindustrialisation. Il y a moins de deux ans, l’exécutif a ciblé un secteur qui pouvait être érigé en vitrine de cette politique : les pompes à chaleur (PAC) air-eau. Une alternative vertueuse et efficace aux chaudières au fioul et au gaz, dont la croissance rapide en sortie de Covid en a fait l’une des « stars » de la rénovation énergétique.
À tel point qu’en 2023, le président annonçait un plan pour multiplier par dix la production hexagonale de PAC et atteindre le million d’unités en 2027. Un plan présenté en grande pompe en avril 2024 par le ministre de l’Économie de l’époque, Bruno Le Maire, et son ministre délégué à l’Industrie et l’Énergie, Roland Lescure, pour anticiper « une demande amenée à croître très fortement partout en Europe dans la décennie ».
Via plusieurs mesures, notamment des aides sous forme de crédit d’impôt pour les entreprises qui souhaiteraient investir, celui-ci ambitionnait de créer plus de 15 000 emplois dans le secteur (hors installateurs).
Surcapacité et production en berne
Mais plusieurs éléments ont rapidement enrayé la bonne dynamique du secteur : la hausse du coût de l’électricité (qui fait fonctionner les PAC) et la concurrence des chaudières à gaz, le flou sur les aides pour les particuliers ou encore la crise du secteur de la construction et de la rénovation. Résultat ? En 2024, la vente de PAC a chuté de près de 50 % en France par rapport à 2022. « La dynamique s’est inversée depuis 2023. C’est un problème de demande et pour nous, l’enjeu, c’est de la faire redécoller », assure une source au ministère de l’Industrie. Pour l’Uniclima, le syndicat professionnel du secteur, 2025 « risque d’être encore une année difficile ».
L’année dernière, la production hexagonale a, elle, à peine atteint les 170 000 unités, contre 200 000 en 2023. Dans les 21 usines françaises qui en fabriquent, après des investissements s’élevant parfois à plusieurs dizaines de millions d’euros, on atteint actuellement une capacité de production d’environ 500 000 pompes à chaleur par an. L’outil de production s’est donc retrouvé en surcapacité et les industriels ont fait machine arrière : chômage partiel pour les salariés d’Atlantic dans le Pas-de-Calais, plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) concernant 225 des 730 salariés du site nantais de Saunier-Duval…
De l’Alsace à la Slovaquie
Dans le Bas-Rhin, BDR Thermea (groupe De Dietrich) a annoncé mettre fin à son activité industrielle à Mertzwiller, d’ici mi-2027. Il prévoit ainsi la suppression de 320 postes dans cette usine. « En 2022, le groupe nous annonçait qu’on était le centre de compétence de pompes à chaleur, donc on sabrait le champagne, se souvient Philippe Lazarus, délégué Force ouvrière dans l’usine. On avait lancé une phase d’embauches massives, de 150 ouvriers, et on était en train de mettre en place cinq lignes de production [contre deux auparavant] qui auraient dû tourner en 2×8. C’est la douche froide, un crève-cœur pour nous. » La production doit être transférée en Slovaquie, et une autre ligne dédiée aux ballons d’eau chaude va partir en Turquie.
Plus au sud, en Saône-et-Loire, le groupe vendéen Atlantic a pourtant lancé le chantier d’une usine qui devrait embaucher 300 personnes et vise à produire 150 000 unités à horizon 2027. Un investissement d’environ 140 millions d’euros, auquel l’État a participé via le crédit d’impôt pour l’industrie verte. « C’est un marché qui est parti très fort et qui subit une petite baisse. Mais nous pensons que cela va revenir », assurait en novembre 2024 le directeur général du groupe au Journal de Saône-et-Loire.
Le gouvernement, lui, maintient son objectif du million pour 2027 : « Il est toujours d’actualité », assure Bercy. Les décrets publiés par le gouvernement Bayrou, avant son départ le 10 septembre, ont d’ailleurs pour objectif de redonner un coup de boost au marché, via le dispositif des certificats d‘économies d’énergie.
« On n’a jamais eu autant d’aides qu’aujourd’hui »
Audrey Zermati, directrice de la stratégie d’Effy, spécialiste de la rénovation énergétique auprès des particuliers, répond à nos questions.
Les récents revirements du gouvernement concernant MaPrimeRenov’ ont-ils eu un impact sur les installations de pompes à chaleur ?
« Depuis 2024, la perception d’une grande partie de la population était qu’il n’y avait plus d’aide pour les installations de type changement de système de chauffage. Mais on n’a jamais eu autant d’aides qu’aujourd’hui. Effectivement, le coût d’une pompe à chaleur est assez important, autour de 15 000 euros. Mais selon les catégories de ménages, on peut aller jusqu’à 10 000 euros d’aides. Aujourd’hui, on propose des pompes à chaleur autour de 1 000 euros parce qu’on a beaucoup d’aides pour les ménages les plus modestes, notamment sur les certificats d’économie d’énergie (CEE). Même si les plus hauts revenus n’ont pas droit à MaPrimeRenov’, celle-ci est toujours du même niveau par rapport à 2024 pour les ménages qui y ont droit. »
Comment expliquez-vous aujourd’hui que le marché se soit effondré ?
« Notre analyse se porte plutôt sur le prix de l’électricité et sur les prescriptions des artisans. Aujourd’hui, ils penchent plus vers la chaudière à gaz que la pompe à chaleur, avec des arguments comme “c’est plus cher, plus complexe à entretenir.” Il y a toute une rumeur autour de la complexité de la pompe à chaleur. »
Quel est l’impact des prix de l’électricité sur ce marché ?
« Avant, le prix de l’électricité permettait une compétitivité très intéressante vis-à-vis des chaudières au gaz, même si à l’investissement ça revenait plus cher. Aujourd’hui, c’est moins vrai. Au même volume d’énergie consommé, vous payez deux fois plus cher votre électricité que votre gaz. La pompe à chaleur est très performante donc consomme moins. Mais on a pris +45 % de hausse des prix de l’électricité, et la fiscalité n’est pas avantageuse. Les gens en ont conscience. »
Avec un peu de recul, que pensez-vous de l’objectif affiché par l’État pour 2027 ?
« Il ne s’agit pas simplement de le dire, il faut ensuite mettre en place les moyens pour atteindre cette ambition. Il y a le levier des aides, de la fiscalité, de la réglementation. La politique n’est pas autoréalisatrice. Cette volonté politique doit s’accompagner d’éléments tangibles pour les gens. »
Recueilli par Clément Argoud