La mémoire des hommes est parfois injustement sélective. L’itinéraire de Raymond Comboul mérite mieux qu’un paragraphe étique dans les livres sur la Résistance azuréenne.
Le cofondateur de Nice-Matin naît à Paris en 1900. À 17 ans, après avoir vécu plusieurs années en Angleterre, il s’engage pour rejoindre ses quatre frères au front. Il est rapidement promu sous-officier et s’illustre sur le champ de bataille, lors de l’offensive allemande de mars 1918, comme agent de liaison auprès des troupes du roi George V.
« À 18 ans, titulaire de la croix de guerre et de la British Military Medal, il était déjà un héros de guerre, sourit son fils Michel Comboul. Il a surtout eu beaucoup de chance de revenir entier d’un conflit où, sur six morts, on comptait en moyenne un gradé. »
« C’est l’homme que tu cherches ! »
De retour à la vie civile, il s’oriente vers la presse. « L’élite avait été décimée par la Grande Guerre ; il y avait des places à prendre, contextualise Michel Comboul. Vers 1930, il a notamment été directeur délégué d’une revue satirique, Cyrano. Puis il s’est exilé deux ans en Inde et au Vietnam. À son retour, en 1934, il a pris la direction d’une usine à Nice : les pâtes industrielles Cérès. »
Cinq ans plus tard, Comboul est de nouveau mobilisé. Officier de liaison auprès des troupes britanniques, il se bat en Belgique et à Dunkerque. Le 17 juin 1940, l’allocution radiophonique du Maréchal Pétain – « c’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat » – l’anéantit. Il réintègre son usine, boulevard de l’Impératrice-de-Russie [aujourd’hui boulevard Stalingrad, Ndlr], dans le quartier du port. Écœuré, mais aucunement résigné, il attend l’occasion « d’être utile ».
Cette occasion se présente début 1941. Claude Bourdet, futur cofondateur de L’Observateur (1), dirige alors la section azuréenne du Mouvement de Libération nationale. Installé à Vence, il cherche à implanter son organisation à Nice. Un ami l’oriente vers Raymond Comboul : « C’est l’homme que tu cherches ! »
« Il y a eu tout de suite un accord politique, raconta Bourdet bien plus tard (2). [Raymond] connaissait bien nos alliés, et l’aspect grotesque de la propagande anti-anglaise que nous assenait la presse ‘‘mise au pas’’ et la radio de Vichy l’indisposait profondément. […] Il prenait à leur juste valeur les billevesées du nouveau régime sur ‘‘Travail, Famille, Patrie’’ et sur l’Europe de la collaboration. Pour lui, il n’y avait pas d’accord possible avec l’hitlérisme. Il n’avait pas la moindre confiance dans le ‘‘double jeu’’ que les plus naïfs attribuaient au régime du Maréchal. »
Nulle complaisance
Claude Bourdet, surtout, est séduit par la personnalité de Raymond Comboul. « Son caractère transparaissait à chaque phrase, à chaque sourire ou clin d’œil ; un mélange de fermeté et de scepticisme gentil, sans aigreur ; la vivacité de l’esprit, mais aucune trace de dureté dans le jugement, confia-t-il. Il n’avait nulle complaisance pour les vilenies, mais ne jetait pas, comme tant d’autres, sur les hommes, l’ostracisme d’une élégante réprobation. Un humour extraordinaire et constant le rendait étonnamment humain. »
Bombardé « responsable de la ville de Nice et chef de l’Armée Secrète pour les Alpes-Maritimes », Comboul organise son réseau pendant deux ans. Début 1943, lorsque Combat, Libération et Francs-Tireurs fusionnent, il devient tout naturellement le responsable azuréen des Mouvements Unis.
En mai 1943, il est arrêté par l’OVRA (3), transporté à Cuneo par la fraction de l’armée italienne fidèle à l’Axe et placé dans une prison contrôlée par la Gestapo. Fin juin 1944, il s’évade, parvient à rejoindre les maquis italiens de l’Ubaye et reprend le combat.
En août, à la libération de Nice, il prend la direction du quotidien Combat de Nice et du Sud-Est qui s’est installé dans les locaux du Petit niçois. « C’est mon père qui a fait venir Michel Bavastro, précise Michel Comboul. Il disait souvent qu’il avait fait appel à lui parce qu’il était le seul qui savait compter ! »
« Sans Comboul, il n’y aurait jamais eu de Nice-Matin »
Les deux hommes se complètent à merveille. Après que des tensions internes eurent provoqué la disparition de Combat en juillet 1945, ils participent ensemble à la création de Nice-Matin. En 1949, lorsque Bavastro devient p.-d.g. du journal niçois, Comboul accepte la vice-présidence. Un rôle qu’il a assumé, avec élégance et discrétion, jusqu’à son décès le 7 octobre 1978.
La longévité du « règne » de Michel Bavastro à la tête de Nice-Matin a partiellement occulté l’apport de Raymond Comboul. « En 1944, pour avoir le droit d’imprimer un journal, il fallait être adoubé par la Résistance, rappelle Charles Guerrin, ancien journaliste et responsable juridique. Ce qui signifie que, sans le prestige et l’aura de Comboul, il n’y aurait jamais eu de Nice-Matin. »
Le 21 mai 1985, la Ville de Nice lui a rendu hommage en donnant son nom à une avenue. Comme une invitation à ne plus faire l’impasse sur un parcours digne d’un roman d’aventures.
1. Revue économique qui devient L’Observateur Aujourd’hui (1953), France Observateur (1954), Le Nouvel observateur (1964) puis L’Obs en 2014 et enfin Le Nouvel Obs en 2024. Bourdet est décédé en 1996.
2. Nice-Matin du 8 octobre 1978.
3. L’Organisation de la surveillance et de la répression de l’antifascisme, dite OVRA (en italien : Organizzazione di Vigilanza e Repressione dell’Antifascismo) est l’ensemble des services secrets de la police politique dont se dota l’Italie fasciste.
L’aura de Raymond Comboul (quatrième en partant de la gauche) a beaucoup fait pour le développement de « Nice-Matin ». Photo DR / Famille Comboul.