A Strasbourg, le harcèlement au travail dans la restauration est sur le gril. Le collectif « Diabolo Poivre », qui regroupe huit gros établissements de la ville, semble avoir trouvé la bonne recette pour régler sereinement, voire éviter, le harcèlement moral ou sexuel, et les propos discriminatoires.
Les ingrédients ? Beaucoup de réflexion, de concertation et à l’issue, une formation pour les 300 collaborateurs des établissements et surtout la rédaction d’un « harcèlomètre ». Celui-ci se présente sous la forme d’une affiche qui est placardée dans les vestiaires et cuisines de tous les bars et restaurants du collectif.
A tout moment, les employés peuvent se référer aux trois zones colorées bien distinctes où sont décrites de nombreuses situations et attitudes du quotidien et leurs conséquences, qu’elles soient juridiques ou morales. Objectif de cet harcèlomètre, « savoir de quoi on parle exactement, explique Jérôme Fricker, président de Diabolo Poivre. C’est un sujet extrêmement sensible, et les choses ne sont pas toujours claires, surtout lorsque l’on parle de harcèlement moral ce qui arrive parfois en cuisine. On traitait ces sujets avec beaucoup de stress. Alors se fabriquer des outils et un protocole était devenu une nécessité pour garantir à toutes et tous un cadre de travail respectueux, épanouissant et sécurisé. »
Deux « référents » par établissement
Et pour y arriver, le collectif a réfléchi avec un panel d’employés d’une vingtaine de personnes, représentant toutes les catégories de personnels des huit restaurants, « accompagnés de l’association Dis Bonjour Sale Pute et du Cabinet Barthélémy Avocats pour bien cadrer les choses », souligne Jérôme Fricker. « Plusieurs réunions ont permis de lancer de nombreux débats, de sujets, comprendre de quoi on parlait vraiment, ce qui était grave, ce qui l’était moins, ce qui était évident, ou pas, poursuit Jérôme Fricker. Et ce, même après le travail. » Car une fois le service terminé, des collaborateurs peuvent aller boire un coup ensemble. « Ce n’est plus du travail, mais ça l’est quand même un peu encore », note le président.
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Des outils pédagogiques – trois vidéos faites en interne, présentées aux salariés avant une diffusion sur les réseaux sociaux – sont complétés par une charte donnée à chaque employé et jointe au contrat de travail des nouveaux venus. Deux « référents » volontaires sont présents par établissement. L’intérêt étant de faire tampon avec la direction, de mieux percevoir les problèmes quand il y en a, mais aussi mieux écouter. « Ça a favorisé des débats sur le terrain, assure Valentine, référente d’un des restos du collectif Diabolo Poivre. Certains on prit ça très à cœur quand d’autres, au début, s’en fichaient un peu ou prenaient ça à la rigolade parce qu’ils pensaient que cela ne les concernait pas du tout. Mais avec le temps, beaucoup sont allés au vestiaire voir l’harcèlomètre pour savoir où ils se situaient, espérant bien être dans le vert. » Et non en orange ou rouge.
« Ça a remis certaines personnes en place »
« Cela permet de comprendre ce qu’est le consentement, les gestes déplacés, etc., ajoute Jérôme Fricker prenant pour exemple les déplacements derrière un comptoir de bar exigu pendant le rush. Ce n’est pas toujours facile ou même possible de passer derrière une personne sans la toucher. Avant, on ne se préoccupait pas de ça, on la prenait par les hanches pour la déplacer rapidement. Maintenant, on en discute avant dans le service : « Est-ce que je te le signale oralement ? Est-ce que je te mets une tape sur l’épaule ? ». A partir du moment où on en a parlé, les codes peuvent être acceptés et si ce n’est pas le cas, eh bien on revoit le système, mais les choses sont dites, connues et acceptées. »
Notre dossier sur le harcèlement
Une initiative mise en place il y a moins d’un an et plébiscitée aujourd’hui, par l’ensemble du personnel des huit établissements du collectif, assure-t-on. « J’ai l’impression que ça a remis en place certaines personnes, voire un peu perturbé certains, qui avaient peur de ne plus pouvoir rien dire ou faire. Personnellement, ça a facilité la communication autour de ce sujet, à trouver les bons mots. Ça permet aussi à certaines personnes qui ne parlent pas forcément bien le français ou qui n’ont pas toujours la même culture de pouvoir s’exprimer ou de comprendre. On parletous le même langage », conclut Justine, qui travaille en cuisine.
Le collectif Diabolo Poivre espère que son initiative anti-harcèlement trouve écho dans la profession.