Ceux qui sont habitués aux décors rouge vif et aux « N » dorés honorant Napoléon III noteront sans doute la différence. Depuis quelques jours, les murs déjà chargés de la superbe Grand’chambre du Parlement de Bretagne ont été recouverts par six tableaux monumentaux de cinq mètres de haut. Ces « cartons » sont en fait les « brouillons » des tapisseries qui avaient été commandées aux peintres parisiens Édouard Toudouze et Auguste François Gorguet dans les années 1900. Un ensemble monumental de onze tapisseries qui a en partie disparu dans l’incendie de 1994 qui avait frappé ce joyau patrimonial de Rennes.

A l’époque, les œuvres qui avaient pu être sauvées avaient été envoyées dans un atelier de restauration en région parisienne. Atelier qui avait lui aussi brûlé en 1997. Bref, une histoire de feu et d’eau (celle des pompiers venus traiter l’incendie) qui a fait de gros dégâts sur ces œuvres racontant l’histoire de la Bretagne. Mais tout n’avait pas été perdu.

Plusieurs tableaux monumentaux viennent orner les murs de la Grand'chambre du Parlement de Bretagne, à Rennes. Plusieurs tableaux monumentaux viennent orner les murs de la Grand’chambre du Parlement de Bretagne, à Rennes.  - C. Allain/20 Minutes

Dispersés ici et là, les cartons de ces tapisseries ont été restaurés, grâce à l’aide de la Fondation du patrimoine et de quelques mécènes privés. « Ce sont des pièces qui n’étaient pas montrées, parce qu’elles n’étaient pas montrables. On a ici un véritable morceau du patrimoine rennais », assure Sélène Tonon, conseillère municipale déléguée aux musées.

« Personne ne savait trop où ils étaient »

Grâce au travail mené pendant dix ans par les équipes du musée des Beaux-Arts de Rennes et de la cour d’appel, qui occupent le Parlement depuis sa réouverture en 2004, les œuvres peuvent être dévoilées. Ces tableaux majestueux servaient en fait de calque pour les tisserands des ateliers Gobelins qui devaient les reproduire. Restaurés, ils seront présentés pour la première fois ce week-end dans le cadre des Journées européennes du patrimoine.

Et à écouter le conservateur qui a supervisé la restauration, c’est presque un miracle de les voir ainsi accrochés. « Pendant des années, certains ornaient les escaliers de la préfecture. Et puis quelqu’un a demandé à les enlever. Ils ont été arrachés et pliés puis ils ont été stockés dans les caves de la préfecture, avant d’atterrir dans le grenier de la mairie. Il y avait une sorte de mythe. Personne ne savait trop où ils étaient », raconte Guillaume Kazerouni, responsable des collections d’art ancien du musée des beaux-arts.

Après l’incendie de 1994, les cartons avaient finalement été envoyés dans les réserves du musée, sans pouvoir être montrés. « J’étais tout seul devant. J’avais envie que tout le monde les voit », poursuit l’historien. Mais il n’est simple d’afficher des peintures de cinq mètres de haut. Surtout quand elles ne sont pas encadrées. « Les tableaux étaient sales, abîmés et parfois déchirés », raconte Guillaume Kazerouni. Où les mettre ? Comment les restaurer ? L’idée a germé de faire appel à des mécènes pour collecter les fonds nécessaires à leur remise en état. Une opération longue pour des travaux estimés à 20.000 euros par tableau.

Des trésors visibles toute l’année

Pour les mettre en valeur, l’historien et ses équipes ont fait le choix d’accrocher ces cartons dans la Grand’chambre, là où plusieurs tapisseries avaient été abîmées pendant l’incendie. Elles rejoignent ainsi le mariage d’Anne de Bretagne avec Charles VIII et la mort de Duguesclin, déjà présente dans la salle. Quatre des six œuvres présentées sur les murs n’existent plus en tapisserie et sont donc des vestiges uniques de cet ensemble monumental.

Voici à quoi ressemblait la Grand'chambre du parlement de Bretagne avant l'arrivée des cartons, venus recouvrir les murs rouges. Voici à quoi ressemblait la Grand’chambre du parlement de Bretagne avant l’arrivée des cartons, venus recouvrir les murs rouges.  - Bruno Colliot/Sipa

Ce week-end, l’ensemble des œuvres sera visible gratuitement dans le cadre des Journées du patrimoine. Après cette date, les cartons resteront en place et pourront être vus lors des visites guidées organisées toute l’année. Que pourrez-vous y voir ? Jeanne d’Arc et le Connétable Richemont, Le Combat des Trente, Le Couronnement de Nominoë ou encore La Prédication d’Abélard. Des trésors. « L’avantage de ces cartons peints, c’est qu’ils restituent mieux les couleurs d’époque que les tapisseries, qui ont tendance à perdre leur teinte avec le temps », souligne Guillaume Kazerouni. L’occasion de découvrir la Grand’chambre dans une ambiance unique mêlant un plafond du XVIIe siècle, des œuvres du XIXe siècle et des tableaux restaurés en 2025. Un voyage dans le temps. Et un patrimoine vivant.