Longtemps la base navale de Toulon a été en balance avec celle de Brest pour accueillir le successeur du Charles-de-Gaulle. Après mûres réflexions des états-majors, c’est Toulon, le plus grand port militaire d’Europe, qui a finalement emporté la décision en 2019. Un autre débat a alors débuté pour savoir où se ferait l’entretien du navire autrement plus imposant que le porte-avions nucléaire actuellement en service dans la marine française. Fallait-il transformer l’un des bassins Vauban ou bien concevoir un écrin spécifique? « Pour une meilleure maîtrise des coûts et du calendrier, on a fait le choix de construire de nouvelles infrastructures, partie intégrante de l’outil de combat. Une solution qui permet également de conserver les pleines capacités de maintenance de l’îlot Vauban », confie le vice-amiral d’escadre Christophe Lucas, préfet maritime de la Méditerranée.
Le chantier d’une vie
Si les militaires restent discrets sur le coût de l’opération (1) – « C’est confidentiel, d’autant plus qu’on est dans une phase de consultation des entreprises », précise l’amiral Lucas – une chose est certaine: « C’est un chantier extraordinaire qui n’a plus été réalisé dans une emprise militaire opérationnelle française depuis 40 ans. Il s’agissait alors de la forme 10 pour l’entretien des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins », affirme l’ingénieur général Pierre-Jean Rondeau, le directeur du Service d’infrastructure de la Défense (SID) Méditerranée.
Et effectivement, le futur chantier est hors normes. « On va modeler la base navale pour les années à venir », insiste le préfet maritime. Dans l’ouest du quai Milhaud 6 – celui du Charles-de-Gaulle – à la frontière avec la Pyrotechnie, la marine nationale va gagner 15 hectares sur la mer. À titre de comparaison, l’îlot Vauban, où sont aujourd’hui entretenus les principaux bâtiments de guerre basés à Toulon, ne représente « que » 11 hectares. « Dans la continuité de l’actuelle Drop Zone, un polder (une étendue de terre artificielle gagnée sur l’eau, Ndlr) de 15 hectares sera réalisé. Outre un quai de 400m de long et un bassin de radoub de 360m qui correspondent au strict besoin de la marine, ce polder comprendra des hangars, des lieux de stockage, des bureaux et un parking… Tout le nécessaire pour entretenir et soutenir le PA-Ng (porte-avions de nouvelle génération, Ndlr) », détaille l’amiral Lucas.
Un pont de 500m qui deviendra une 4e entrée
Mais le plus spectaculaire du chantier, le plus visible en tout cas, sera sans aucun doute la construction d’un pont de 500m de long reliant la base navale de Toulon à la zone portuaire de Brégaillon, située sur la commune de La Seyne. Dans un article publié le 3 juin 2024, Var-matin avait déjà évoqué cette éventualité. Un an plus tard, la marine nationale valide l’option. « Le pont aura un tirant d’air permettant de laisser passer des bugalets, ces petits bateaux qui transportent les munitions entre la pyrotechnie et les navires de guerre », commente l’ingénieur général Rondeau. « Vingt mille personnes entrent et sortent de la base navale chaque jour. En absorbant le trafic lié au chantier, ce pont permettra de ne pas aggraver les difficultés d’accès à l’enceinte militaire (…) À l’issue des travaux, l’ouvrage ne sera pas démoli, mais transformé en 4e entrée. Il contribuera donc au désengorgement des trois portes d’accès actuelles », ajoute le préfet maritime.
Mais on n’en est pas encore là. Les choses sérieuses ne commenceront en effet qu’en 2027 avec le début des opérations de dragage dans l’extrême partie ouest de la petite rade. À ce sujet, « dans une logique circulaire », les sédiments ainsi récupérés seront, dans la mesure du possible, réutilisés pour la construction du fameux polder pour laquelle pourraient d’ailleurs être sollicitées des entreprises belges ou néerlandaises. « Les leaders européens en matière de poldérisation », dixit l’amiral Lucas.
Plus de 1.000 ouvriers par jour!
Pour l’heure, la phase d’études commencée en 2023 se poursuit. Parmi lesquelles des études de désencombrement, de courantologie, des études sur la biodiversité faune/flore présente, ou encore sur la qualité de l’eau. Et même des études d’archéologie préventive. « Dans la zone où doivent être réalisées les infrastructures dédiées au PA-Ng, il y avait une île avant. On est quasiment sûr de découvrir des choses intéressantes, telles que des céramiques », lâche le directeur du SID Méditerranée. En revanche, en termes de pollution pyrotechnique, les autorités militaires se montrent plutôt confiantes. « On a détecté des débris métalliques provenant probablement du sabordage de la flotte, mais dans la mesure où la zone était assez éloignée de toute activité pendant la Seconde Guerre mondiale, on pense qu’il y a assez peu de munitions non explosées », glisse l’amiral Lucas.
Ce dernier insiste encore sur un point: « Le chantier, sur lequel travailleront potentiellement plus de 1.000 ouvriers par jour, sera un moteur économique pour le territoire. Mais on n’a pas deux ou trois années de marge. Les infrastructures devront impérativement être terminées pour 2035, date à laquelle le porte-avions de nouvelle génération doit arriver à Toulon pour y subir ses opérations d’armement ».
1. Le site Internet Mer et Marine parle d’une enveloppe de 2,5 milliards d’euros.