Devenus la cible des conservateurs, de plus en plus de magistrats reçoivent une commande qu’ils n’ont pas passée.
C’est la nouvelle tactique d’intimidation. Aux États-Unis, ces derniers mois, des pizzas qu’ils n’ont pas commandées sont livrées au domicile de juges, souvent tard le soir. Le but est de leur faire peur en leur montrant que leur adresse est connue. La plupart des magistrats qui ont reçu ces pizzas ont bloqué des décrets et des mesures mis en place par l’administration Trump. Ils sont devenus ainsi la cible des conservateurs, désireux de se venger. Michelle Childs a reçu une pizza de la chaîne Domino’s un samedi soir chez elle. Cette juge de cour d’appel a rejeté dans le passé les arguments des avocats de Donald Trump qui demandaient que leur client bénéficie d’une immunité contre les poursuites au pénal. « Il est très alarmant de penser que l’on fait juste notre boulot et qu’il faut qu’on ait peur », a-t-elle déclaré dans une conférence. «On ne veut pas que les juges s’inquiètent des décisions qu’ils prendront dans un cas précis.»
«Une hausse significative» des menaces
La campagne d’intimidation va loin. Les enfants de ces magistrats et des membres de leur famille ont vu arriver également à leur domicile des livreurs de pizzas. Encore plus choquant, plusieurs d’entre elles ont été commandées sous le nom de Daniel Anderl. Ce jeune homme de 20 ans était le fils d’Esther Salas, une juge fédérale. En 2020, il était chez ses parents dans le New Jersey quand un type déguisé en livreur a sonné. Il a ouvert la porte. Le faux livreur lui a tiré dessus. Daniel est mort, son père a été grièvement blessé. Le tireur, Roy Den Hollander, un avocat de 72 ans, en bisbille apparemment avec Esther Salas, voulait la tuer. Il avait trouvé son adresse sur internet. Le nom de Daniel est «maintenant utilisé comme une arme contre ces magistrats», se désole cette dernière dans une interview sur la chaîne MSNBC. Et le message est clair. «Ça signifie Je sais où tu vis, je sais où tes mômes vivent et est-ce que tu veux finir comme la juge Salas, comme son fils?»
Selon un rapport de la Cour suprême, les menaces contre les représentants de la Justice ont connu «une hausse significative» et ont «plus que triplé sur la décennie écoulée». Ce n’est pas étonnant. Les Républicains, Donald Trump en tête, attaquent quasiment chaque jour les juges impliqués dans les poursuites contre le président ou qui s’opposent à ses mesures. Récemment, Donald Trump s’est déchaîné contre James Boasberg, qui a suspendu un décret sur l’expulsion de migrants. Il l’a traité de «fou gauchiste extrémiste, de fauteur de troubles et d’agitateur» et a appelé à sa destitution. Cela a suscité une rare rebuffade de John Roberts, le président de la Cour suprême. «La destitution, a-t-il dit, n’est pas une réponse appropriée à un désaccord concernant une décision judiciaire ».
À lire aussi
Trop woke, le Kennedy Center ? La mainmise de Trump sur l’institution culturelle stupéfie le monde de la culture
Ces attaques très médiatisées sont reprises et amplifiées par la nébuleuse trumpiste via les réseaux sociaux. Laura Loomer, une influenceuse proche du président, s’en est prise à la fille de Boasberg et a révélé des informations sur sa vie. Elle travaille dans une ONG de défense «de sans papiers criminels, de membres de gangs», a-t-elle écrit. En fait, cette organisation fournit une aide judiciaire aux plus démunis. Laura Loomer a accusé son père de «conflit d’intérêts» et appelé à ce qu’il se récuse car, selon elle, il a bloqué les expulsions de migrants pour maintenir l’emploi de sa fille. « Sa famille est une menace à la sécurité nationale », clame-t-elle.
Fausses alertes à la bombe et débarquement des forces de l’ordre
Il n’y a pas que les pizzas. La police de Charleston, en Caroline du Sud a été appelée au domicile d’une des sœurs de Amy Coney Barrett, la juge de la cour suprême, après une fausse alerte à la bombe. L’engin explosif, disait le message, se trouvait dans la boîte aux lettres. Amy Coney Barrett a été nommée par Donald Trump lors de son premier mandat. Depuis l’investiture cependant, cette conservatrice n’a pas toujours statué en sa faveur, ce qui lui a valu moult critiques de la part des défenseurs du président.
John Coughenour, un magistrat fédéral qui a bloqué le décret visant à abolir le droit du sol, a été victime à la fois d’une alerte à la bombe et d’une attaque de «swatting». Cette méthode de harcèlement particulièrement brutale consiste à appeler anonymement en pleine nuit la police pour signaler une prise d’otage, une fusillade… Le SWAT, (d’où le terme de «swatting») une équipe d’intervention dans le style du GIGN, débarque alors en force à l’adresse indiquée en enfonçant parfois la porte et terrorise les résidents qui dorment paisiblement. Le nombre d’incidents de «swatting» n’a cessé d’augmenter ces dernières années grâce aux progrès technologiques qui rendent les appels moins traçables. Des dizaines d’élus, de responsables d’élections, de célébrités mais aussi au moins une douzaine d’influenceurs pro Trump en ont fait l’objet. Malgré ces attaques, les juges vont continuer à faire leur travail, conclut Esther Salas. « Nous avons besoin toutefois que nos dirigeants soient les champions de la Justice aujourd’hui dans notre pays… qu’ils montrent qu’ils soutiennent la branche judiciaire, la loi et croient en notre démocratie par-dessus tout».